Youpi! Ils ont gagné?

Le 22 mars 2010

Un discours de triomphe modeste, mais un discours de triomphe quand même. Ainsi donc, comme en 2004, la plupart des régions sont restées colorées de rouge. Et depuis hier les ténors avec ou sans twitter, de nous marteler qu’il s’agit d’un vote sanction de la politique du gouvernement à la tête de la république française. Je n’ai [...]

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Un discours de triomphe modeste, mais un discours de triomphe quand même.

Ainsi donc, comme en 2004, la plupart des régions sont restées colorées de rouge. Et depuis hier les ténors avec ou sans twitter, de nous marteler qu’il s’agit d’un vote sanction de la politique du gouvernement à la tête de la république française.

Je n’ai pas voté pour la région île de France où je réside. Je ne peux pas. Je ne suis pas Français (un choix de fainéant, depuis que mon pays de racines, la Belgique a autorisé il y a six mois la double nationalité à ses ressortissants). J’ai entendu les arguments balancés par les futurs votants et les abstentionnistes dans #lafrancedutrain qui m’emmène chaque matin de Seine et Marne à Paris. On y parlait de la personnalité bonhomme de Huchon et du sourire coquin de Valérie Pécresse. Ou alors on parlait des résultats désastreux de Paris en championnat ou on ne parlait pas.

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J’ai reçu des tracts de Jean Paul Huchon à ma gare d’extrême Seine et Marne. J’ai vu aussi des poubelles pleines des mêmes tracts quelques mètres plus bas, dans le couloir qui mène au train. J’ai lu les batailles à coup de Ali Soumaré, les déclarations facebook de Frédéric Lefèbvre, j’ai entendu le triomphalisme de gauche demander la tête de François Fillon entre les lignes. Et si c’était Jean-Marie Le Pen qui avait eu la seule bonne analyse du scrutin en version 2010 « Le Pen, c’est une bonne marque, en laquelle les gens ont confiance ».

Et si le vote sanction, le vote épidermique qui permet d’excuser sinon d’expliquer les revirements complets de l’opinion publique n’étaient en fait que le reflet du monde contemporain ?

Combien sont-ils, les petites gens à mon image ? Ceux qui luttent autant pour le pouvoir d’achat au quotidien que pour l’écran plat ? Ceux qui ne noieraient pas leur prochain dans l’eau d’un bain de merde, mais seraient prêts à gueuler si les voisins se mettent à marcher sur les plates bandes ? Combien sommes-nous à conchier  les extrêmes de tout bord sans pour autant soutenir d’idéal ni de droite ni de gauche. Combien sommes-nous à voter, ou ne pas voter, par habitude ?

Parce que les préoccupations politiciennes nous semblent à ce point éloignées de nos quotidiens que nous avons l’étrange impression qu’un système vaut bien l’autre. Qu’on ne sera jamais tous frères unis sous le drapeau rouge, mais pas dupes non plus de lois votées au profit de certains, sous le couvert de la réponse à un fait divers, une préoccupation sociale. Et je me souviens à 17 ans, de ce gros couillon qui fustigeait ses camarades de classe donnant leur vote à la pensée paternelle sans réfléchir à l’idéologie, au monde qu’ils désiraient pour plus tard. Je suis pire qu’eux. J’ai abdiqué. Je survis. J’envie. Je possède et constate.

L’économie quotidienne. La tambouille dans la gamelle de tous les jours et l’hédonisme capitaliste ont depuis longtemps remplacé notre préoccupation politique.

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On veut tous plus. On veut tous mieux. Et tant pis si parfois on doit faire taire l’internationale socialiste qui chante au fond de nos cœurs. Les vacances aux Maldives valent bien quelques grammes de C02, et on ne se priverait pas du café à la machine parce qu’il est servi dans un gobelet plastique. On veut bien être un peu justes, mais pas jusqu’au point de partager nos appart’s avec tous les miséreux du monde. On veut bien accueillir les réfugiés politiques, mais à la seule condition qu’ils n’habitent pas à 15 dans la maison mitoyenne, qu’ils évitent les ablutions matinales sonores et les odeurs de friture insupportables. On veut bien être socialistes, mais pas au point de nourrir tous les tire au flanc, que parfois on envie, le soir quand on est crevé par la journée de boulot, la grève SNCF ou le trafic à la sortie de la méga-ville.

La politique n’est plus au mieux, qu’un outil de notre développement personnel. Au pire une habitude ou un sujet de conversation. Nous sommes volatiles, changeants, inconsistants. Nous sommes capables de sacrifier un idéal au gré de notre ambition personnelle. Nous sommes près à tous les compromis parce qu’ils servent notre cause propre ou perpétuent notre consensus mou.

Nous pensons la politique en terme de phrases assassines, de discours grand guignolesques ou de spiritualité sur Twitter.

Un casse-toi pauvre con et nous sommes capables de causer six heures avec nos collègues. Un désir d’avenir et notre journée numérique est enjouée à coup de retweet.

Nous avons la vague impression que quelque chose ne va pas. Nous voudrions que l’île de sacs plastiques au milieu de l’Atlantique soit nettoyée, mais ne serions pas prêts à être taxé pour le nettoyage à sec. Nous votons pour les chaussures de Nadine Morano, la petite marche de Nicolas Sarkozy, la serpillère flasque de Van Rompuy ou le nœud papillon d’Elio di Rupo.

Notre conscience politique se construit autour d’un clip « pour ceux qui veulent changer le monde » et d’un bon mot des guignols. Notre idéologie se développe pour Stéphane Guillon ou contre lui. Nous nous en foutons royalement (sans jeu de mot), tant que rien n’empêche les courses chez H&M, le caddie chez Intermarché et les vacances au mois d’Août.

Nous avons la conscience diffuse que quelque chose ne va pas, ne va plus, n’a jamais été. Cohn Bendit représente la génération de l’échec des idéaux, mais nous n’avons pas d’idéaux. Besson ou Strauss Kahn la preuve qu’on peut être de gauche sans finir professeur d’histoire à collier de barbe. Saint Sega priez pour nous. Et priez, priez que tous nous veuille absoudre.

On aimerait changer le monde, mais notre temps de cerveau disponible est restreint, une fois achevée la lutte pour notre propre survivance et le visionnage de la saison 6 de Docteur House. On aimerait que quelqu’un le change à notre place, par baguette magique et qu’on puisse tous en profiter, y faire des profits. Boire le café à la machine le matin et continuer à respirer correctement, parce qu’on est les pères de nos enfants. On aimerait donner notre destin à un guide, un despote éclairé. Mais on n’a pas confiance en les icônes politiques, qui tournent au vent des électeurs comme des girouettes.

On a l’impression de devoir prendre le destin du monde en main, mais on a déjà du mal à se saisir du nôtre. Et on a peur d’être roulés dans la farine alors on évite de se commettre à adorer une icône politico médiatique qui sera balayée plus tard par une affaire, un revirement ou un mauvais mot glosé par les humoristes.

Nous sommes défiants

C’est là notre seule conscience politique. On sait qu’on ne se fera plus avoir par le politique. Alors on se fait avoir par l’économique. Saint Sega priez pour nous . Et soumets-nous à la tentation. On se rassure en écoutant les radios qu’on imagine colorées à peu près à notre goût et les trublions de bon ton. Nous oublierons. Nous serons prêts à contourner les lois, défier les dogmes si seulement l’économie nous offre une drogue légale. Here we are now, Entertain us, comme disait l’autre.

Parce que quand on se met à penser on pleure. Parce que devant l’ampleur des tâches on se rend compte de nos différends, de nos différences, et de ce qu’on n’aura pas assez d’une vie pour que tout change à notre rythme mollasson.

Nous votons par habitude, ou nous ne votons pas. Ou pire nous votons pour la marque électoraliste qui nous tente le plus. Le Pen a raison (dit comme ça ça fait peur… toi qui pratique la culture de l’extrait remonte plus haut je t’en supplie). Nous choisissons notre préférence électorale plus en fonction des idées, mais en fonction du catalogue, de la vitrine que propose le candidat. Une poitrine avenante, un regard mutin peuvent amener plus de voix qu’un vrai programme dûment calibré. Je vous jure avoir entendu peu avant l’élection de 2007 dans #lafrancedutrain « sarko il gagnera pas, il est trop petit pour faire un président». Quelques bons mots sur Twitter et @benoithamon m’enthousiasme plus que Martine Aubry.

Un site internet pourri ou le rappel opportun d’une opposition ancienne avec le Club Dorothée et c’est une élue de Poitou Charentes qui fait les frais de notre courroux. Un Yann Arthus Bertrand par hasard programmé la veille du scrutin et c’est le monde qui devient écologiste d’un soir. Un policier abattu dans l’exercice de ses fonctions et nous sommes tous profondément convaincus que le monde ne tourne plus rond et qu’il faut resserrer les boulons.

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Quand la victoire est une question de plus’ produit

Nous sommes citoyens d’une méga-ville planétaire. Qu’une explosion se passe sur le pont d’à côté, et nous ne croirons à sa véracité que si le présentateur vedette nous le confirme. Qu’on pense révolution et on se pique de regarder exactement sur quel point de détail du discours de l’UMP on peut porter un estoc parce que sur le fond, on n’est pas si différents. Qu’on soit de gauche et il faut en porter la coquarde : « libé-Guillon-FranceInter » ou de droite « costard, cheveu beatles et microentreprise.

On ne vote plus sur foi d’idées ou de concepts, parce qu’on a la diffuse impression que les concepts ne changent plus le monde et qu’un concept sera toujours moins puissant que l’économie. Et que de l’économie dépend Saint Sega. On vote sur catalogue. On choisit sa marque électorale comme on choisirait un Jean dans un catalogue de La Redoute. Parce qu’il est pas cher, parce qu’il fait le cul rond ou que l’air du mannequin donne envie de lui mettre une cartouche. On applique à notre philosophie, à nos actes, des mécaniques économiques marketing/envie/acte d’achat sensibles aux saisons, à l’ADN de la marque et à la publicité. Notre culture, notre conviction politique est un catalogue France Loisir.

On y picore ce qui nous est bien présenté. Et on s’engage à bien lire chaque mois un morceau de la culture qu’on nous ressemble, que quelqu’un un jour a formaté pour qu’il nous ressemble…. L’économie a non seulement remplacé l’idéal politique, mais il y plaque aujourd’hui ses mécaniques.

Donner des leçons c’est bien…

Mais je n’ai ni le courage ni l’envie de me lancer dans une croisade pour un retour de la prise en main de nos réflexions politiques, pour le retour de la conviction philosophique avant le glamour du glissement du bulletin dans l’urne. Je n’ai pas le temps.

Comme tout le monde je galère d’abord avec l’envie de me payer un resto par mois en famille et des vacances à la côté cet été. Comme tout le monde je m’émeus du ministère de l’identité nationale et m’amuse des spots de campagne blafards du PS. Comme tout le monde si j’allais voter, je choisirais mon candidat sur catalogue (je le fais déjà pour les élus belges que je dois choisir à distance).

Avant j’imaginais que pour éviter que le titanic se mange l’iceberg, il fallait que je grimpe à bord et que je convainque le capitaine. Aujourd’hui je suis plus enclin à rester sur la rive tirer dessus au bazooka, et préparer les chaloupes pour sauver qui pourra. Sauf que… être belliqueux c’est pas classe, et je me vois pas négocier en loucedé l’achat et le montage de mon bazooka. Pas le temps pour ces conneries, y’a Breaking Bad S03E01.

Vivent les régions à gauche ?

> Article initalement publié sur le coin d’Emgenius dans la soucoupe

> Illustrations by mainblanche et par alainalele

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