Rapport de force sur les interouèbes

Un récent rapport des Nations Unies vient clairement trancher en faveur des droits des usagers sur Internet. En taclant les dirigeants du G8, l'ONU se lance dans un bras de fer sur l'avenir du réseau.

Branle-bas de combat dans le réseau. Fini les placards, maintenant c’est sûr, Internet a pris une envergure internationale et les différents acteurs institutionnels avancent leurs pions pour faire face à ce nouvel enjeu. Après le G8, qui a mis les utilisateurs sur la touche et la défense de la propriété intellectuelle au centre des préoccupations, c’est au tour des Nations Unies de donner de la voix.

Dans une tonalité bien différente de celle employée par les gouvernants de ce monde.

Tous ceux qui veulent changer le monde

“Le Rapporteur Spécial considère que le fait de couper l’accès à Internet, quelle que soit la justification avancée, y compris pour des motifs de violation de droits de propriété intellectuelle, est disproportionné et donc contraire à l’article 19, paragraphe 3, du Pacte International relatif aux Droits Civiques et Politiques.”

Rapport sur la promotion et la protection de la liberté d’expression et d’opinion, page 21

Opposé à une coupure de la connexion Internet, préoccupé par la mise en oeuvre de technologies de blocage ou de filtrage “souvent en violation avec l’obligation faite aux États de garantir la liberté d’expression”: le document des Nations-Unies, rendu en fin de semaine dernière [PDF], pouvait difficilement être plus éloigné des positions prises par les gouvernants réunis à Deauville, les 26 et 27 mai derniers, à l’occasion du G8.

Les thématiques dominantes du rapport des Nations Unies

Les thématiques dominantes de la déclaration finale du G8

Dans une déclaration commune, les chefs d’État renouvelaient alors leur ”engagement à prendre des mesures fermes contre les violations des droits de propriété intellectuelle dans l’espace numérique, notamment par des procédures permettant d’empêcher les infractions actuelles et futures”. L’occasion de préparer le terrain à la signature du traité ACTA, en négociation depuis près de quatre ans, et qui vise à introduire des sanctions pénales pour les “pirates de tous les pays”.
Et mises à part les déclarations d’intention d’usage (”l’Internet est désormais un élément essentiel pour nos sociétés”, ” la censure ou les restrictions arbitraires ou générales sont incompatibles avec les obligations internationales des États et tout à fait inacceptables”), aucune mention n’a clairement hissé la protection de la liberté des internautes au-desssus d’impératifs économiques ou sécuritaires. Neutralité des réseaux, protection des données personnelles: sur ces points pourtant essentiels à la pérennité et au développement du réseau, seul a été évoqué ”le défi de promouvoir l’interopérabilité et la convergence entre [les] politiques publiques”. Du charabia diplomatique qui n’offre pas grand chose de solide. Ou de fiable.

L’ONU contre-attaque

En optant pour le contre-pied, pour ne pas dire le tâcle franc en direction des dirigeants du G8, les Nations-Unies ont marqué d’un même coup quelques points au sein de la communauté des défenseurs des libertés sur Internet. Du côté de la Quadrature du Net, on se réjouit de l’initiative, ne manquant pas au passage de relever les contradictions entre les grandes puissances et l’organisation internationale. Seul problème, de taille: si l’ONU peut gronder, elle peut difficilement passer de la parole aux actes. D’autant que l’organisation mondiale a chapeaute déjà l’Internet Governance Forum (IGF) . Sans renier la portée symbolique du rapport, non négligeable dans une sphère où la retenue diplomatique est de mise, difficile d’entrevoir son effectivité.

Il aura peut-être le mérite de faire sortir du bois les différents acteurs qui souhaitent jouer un rôle dans la sacro-sainte “gouvernance de l’Internet”. Les États bien sûr, mais également des institutions telle la Commission Européenne, dont les multiples virevoltes sur le sujet commencent à agacer. Soufflant le chaud et le froid, un jour explicitement en faveur de la neutralité sur tous les réseaux, l’autre permissive sur les dispositifs de blocage sur l’Internet mobile, la Commission n’a de cesse de faire le yoyo entre pressions opérateurs de télécommunication et intérêts des usagers. Il faut dire que la situation en Europe est loin d’être harmonisée (voir notre carte à ce sujet), le continent faisant le grand écart entre une France à la riposte graduée qui patine et des Pays-Bas qui viennent d’adopter une loi interdisant blocage et dégradation des applications sur l’Internet mobile… garantissant ainsi légalement la neutralité des réseaux.


Illustration CC FlickR: rickyli99

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés