OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Ellroy et les femmes, sa “malédiction” est la nôtre http://owni.fr/2011/02/14/ellroy-et-les-femmes-sa-malediction-est-la-notre/ http://owni.fr/2011/02/14/ellroy-et-les-femmes-sa-malediction-est-la-notre/#comments Mon, 14 Feb 2011 07:30:44 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=44840

Bonsoir à vous autres pédérastes, sniffeurs de colle, punks, maquereaux, clodos et renifleurs de petites culottes ! Vous auriez pu rester chez vous pour vous adonner à vos vices habituels – le sexe, la drogue, les obsessions – mais vous êtes venus m’écouter moi qui suis né dans les sources du pêché

Lundi soir, le grand cirque Ellroy passait par Paris, tout en sexorama fiftie’s, vociférations réactionnaires et injures à caractère sexuel, moulinets de bras, ricanements et roulements d’yeux furibards. Représentation unique: “James Ellroy lu par James Ellroy”. L’immense écrivain (1m90 à la toise, 15 romans déglingués au compteur sans compter les nouvelles) était venu vendre son dernier livre, “La Malédiction Hilliker”, sous-titré “mon obsession des femmes”, devant une foule acquise et fascinée par le numéro de ce fou furieux semblant tout droit sorti d’un de ses romans de la trilogie américaine…

Il y avait donc ce James Ellroy cabotin, showman imparable, white-trash graphomaniaque…

Grand échalas de droite aux allures de colonel des Marines dément, montant sur la scène du théâtre Marigny comme on monte sur un putain de ring. Mais il y avait aussi ce petit garçon de 10 ans au regard perdu, cherchant encore sa mère assassinée à travers toutes les femmes de sa vie, plus de 50 ans après le début de la “malédiction”… qui a commencé à lire, scander son texte comme une incantation en forme d’autobiographie exorciste.

La salle médusée s’est tue, son éditeur François Guérif de Rivages a fermé les yeux comme on écoute une prière, et les deux interviewers de service, Arnaud Viviant et Eric Naulleau, ont communié avant l’épreuve (le mot n’est pas trop fort) du jeu de questions-réponses avec l’intransigeant auteur du “Dahlia Noir”, de “LA Confidential”, d’”American Tabloïd”.

Zoom arrière. Le 22 juin 1958, Geneva Hilliker Ellroy, la rouquine, est retrouvée morte, martyrisée, dans un terrain vague près du lycée d’Arroyo dans le quartier populaire d’El Monte à Los Angeles. “Evidemment c’est moi qui ait causé sa mort”, lâche le gamin de 62 ans, émouvant comme jamais. 1954, “Jean Hilliker prenait des bitures au bourbon et balançait du Brahms à plein tubes sur l’électrophone.

Armand Ellroy était abonné à des feuilles à scandale et à des magazines pornos”.

Le petit James a six ans, ses parents divorcent. James part vivre avec sa mère, femme libre, infirmière fumant clope sur clope, collectionnant les hommes mais pleine de tendresse pour son garçon…et bien sûr prend le parti de son père, qui voyeur, va espionner “Jean” derrière la fenêtre en train de faire l’amour avec un inconnu. James est fasciné par ce paternel looser, comptable minable “au sourire d’escroc” qui “avait une queue de quarante centimètres, elle dépassait de son caleçon” et prétendait avoir “trombiné” Rita Haiworth, “La Roja”…

Amoureux transi de sa mère et “petit-fils de pasteur en rut”, il est voyeur idem: “Je fais semblant de dormir. Elle sort d’un nuage de vapeur d’eau, et nue, se frotte avec une serviette. J’entrouvre à peine les paupières et je mémorise son corps pour la dix milliardième fois”. Mais il lui voue aussi cette haine inoculée par son père comme une toxine: trois jours avant l’assassinat de Geneva Hilliker, il profère la fameuse malédiction en souhaitant sa mort…

Dès lors, “le monde où je vis est celui qu’Elle m’a laissé et qu’Elle à travers elles m’a donné, assène le géant dégingandé au regard d’enfant sur la scène du théâtre Marigny.

Sorti en 1996, “Ma part d’Ombre” était une tentative désespérée pour tenter de retrouver le meurtrier de sa mère avec l’aide du flic à la retraite Bill Stoner. Il en sortira un hommage bouleversant, des retrouvailles presque apaisées avec “Jean”. Près de 15 ans plus tard, “La Malédiction Hilliker” est un numéro d’auto-analyse virtuose, égotique et obsessionnel sur l’air qui m’aime me suive, rien à foutre de ce que vous pourrez penser. Avec un seul objet: “pour que les femmes m’aiment”, écrit-il sans masque en ouverture du livre… les Femmes de sa vie, et les autres, toutes les femmes, et non plus sa mère unique et déifiée.

« Jean Hilliker aurait 95 ans aujourd’hui. La Malédiction est vieille de cinquante-deux ans. J’ai passé cinq décennies à chercher une femme pour détruire un mythe». Place à l’obsédé sexuel onaniste mais “sooo romantic”: “Je m’allonge dans le noir, je ferme les yeux et je réfléchis. Avant tout, je pense aux femmes. Assez souvent, je tremble et je sanglote. Mon coeur se gonfle au moment où des visages de femmes se fondent dans des aventures imaginaires…” Et c’est parti sur le grand huit des femmes de sa vie à un train d’enfer.

Entrée en matière avec cet extrait:

Un document témoigne de ma fixation précoce. Il est daté du 17 février 1955. Il précède de trois ans la Malédiction. C’est un tirage sur papier Kodak en noir et blanc, qui représente un terrain de jeu. Une cage à poules, deux toboggans et un bac à sable encombrent le premier plan. Je suis debout, seul, sur la gauche. J’ai l’air d’une grande perche, les cheveux en bataille. Il est évident que je suis un gamin perturbé. Quelqu’un qui ne me connaît pas me classerait tout de suite môme à problèmes qui en bave tous les jours. J’ai des yeux de fouine. Ils sont braqués sur quatre fillettes, qui forment un groupe sur la droite de l’image. La photo regorge d’enfants qui jouent allègrement avec divers objets. Mais moi, je suis recroquevillé sur moi-même, absorbé par mon examen. J’observe ces gamines avec une intensité ahurissante. A cinquante-cinq ans de distance, je vais relire mes propres pensées.

Je crois que c’est ma mère qui a pris cette photo. Un adulte impartial aurait recadré la scène pour en exclure le gamin caractériel.

Auto-flagellation bien protestante de petit blanc dingo prédestiné selon lui-même à se biturer, à se droguer, à s’introduire chez les femmes pour les reluquer et voler leurs dessous ?

C’est ainsi. Ellroy en joue aussi quand il raconte avoir commandé une paire de lunettes à rayon  X dans un “Comics” en dressant “la liste de toutes les filles de l’école et de l’église que je pourrais voir nues”. Les lunettes arrivent, vissées sur les yeux, James lorgne comme un fou sa voisine Sandy et sa mère en train de poser des guirlandes de Noël dans le jardin d’à côté. Evidemment Rien, une arnaque…grosse désillusion à l’arrivée sous le regard méprisant de  Sandy faisant tourner son doigt sur sa tempe pour dire: “il est diiiingue”.

Mais fort heureusement, il y aura cette baby-sitter allemande de 17-18 ans, “grassouillette et couverte d’acné” et “semblant tout droit sortie des Hitler Jugen” qui lui “suce la bite” à 9 ans révolus. Précoce le gamin.

Suivront donc cinq décennies d’errance (les 10 première années à boire, se défoncer, pratiquer le vol avec effraction, mater les femmes…) à poursuivre la Femme cardinale, figure centrale de son oeuvre qui feront de lui un immense écrivain, à travers toutes les femmes. A commencer par Elisabeth Short, le “Dahlia Noir”, une jeune starlette assassinée en 1947 dans des conditions atroces, projection assumée-fantasmée de Geneva Hilliker.

Homme impossible à vivre, totalement cintré, jaloux, égocentrique, partant dans des diatribes hallucinées, puis fondant en larmes comme un enfant, “Je t’aime, j’ai peur”…elles le surnomment “mad dog”. Il est de droite, fan intransigeant de Beethoven…pourquoi les choisit-il libres, gauchistes, aimant le rock, lui demande Arnaud Viviant. “J’ai l’esprit ouvert”, répond il sans rire. La vérité c’est que faute d’avoir tué le père, il les aime toujours à l’image de sa mère. Dans l’obsession amoureuse. Cela donne ce rêve éveillé avec Joan, la “déesse rouge” (encore), la femme centrale qui l’a quitté sans crier gare (on la comprend un peu) il y a quelques années:

“Je vois Joan avec des hommes étranges. Elle répète des mouvements sensuels qu’elle a inventé pour moi. Je la vois baiser avec ses anciens amants. Je la vois draguer des Noirs. Je la vois surfer sur internet à la recherche de types montés comme des bourricots…” , écrit-il dans cette langue folle que n’aurait pas renié Céline.

Mais aujourd’hui à l’issue de l’écriture de ce livre qui l’a “dévasté” dit-il, l’ado sexagénaire grimpant toujours “la Montagne de l’Amouuur” comme un dératé, le chien fou semble presque apaisé: “Voilà cinq décennies que je fais mon numéro d’enfant unique/orphelin/coureur de jupons/mari à temps partiel”…Il est temps de se poser Mec. Et voilà que James Ellroy dédicace ce quinzième roman à Erika Schickel, son actuelle compagne. “Voilà ce qui me stupéfie : j’aime Erika au-delà de toutes mes espérances”, écrit le supposé misogyne et sociopathe.

Etes-vous Misogyne ?

Aïe Arnaud Viviant a eu la mauvaise idée de lui poser la question: “C’est la question la plus stupide que j’ai entendu en trente ans de carrière”, répond l’écrivain rock star jouant à peine la colère feinte. Eric Naulleau est plus chanceux en lui demandant si d’aventure “La malédiction Hilliker” ne constituerait-elle pas l’introduction idéale à toute son oeuvre pour les novices qui ne sauraient par où commencer avec ce monstre vivant de la littérature noire : “C’est la question la plus intelligente que l’on m’a posé depuis le début de ma tournée européenne”…

La psychanalyse ? “Je vois un psychothérapeute, c’est un piètre substitut à la prière”. Haw Haw quel numéro d’acteur ! Une dernière pour la route: L’écriture ?”Depuis plus de trente ans, je recherche obstinément la perfection à travers toutes ces femmes prototypes qui m’ont mené à LA Femme”. La salle de Marigny en redemande. Mais le show Ellroy est terminé, il est temps de prendre congés: “On y va ?” lance-t-il à François Guérif, son “meilleur éditeur à travers le monde”. Une séance de signatures à la volée pour la foule des fans enamourés. Et Adios, une dernière provocation en direction de “ces enculés de français existentialistes qui adorent ce trou du cul d’Obama” et  le fou furieux se carapate.

Au menu de son séjour parisien: une discussion avec Guérif au sujet de son prochain roman, un “nouveau volet” après le quatuor Los Angeles (“Le Dahlia Noir”, “Le Grand Nulle Part”, “LA Confidential” et “White Jazz”)…La suite de la trilogie américaine (“American Tabloid”, “American Death Trip”, “Underworld USA”) attendra.

Alors c’en est vraiment fini de son obsession oedipienne des femmes, la notre, celle de tous les hommes cherchant LA Femme pour en finir avec Maman ? Faut croire: “Avec ce livre j’ai fais ma révolution du coeur, elle est en moi, elles sont toutes en moi et je vis avec”, assure James presque apaisé. Jusqu’à la prochaine fois. Car la rouquine Geneva est toujours là sur cet autel littéraire qu’un petit garçon de 10 ans inconsolable et torturé par la culpabilité lui a dressé livre après livre: “J’écris des livres pour consoler le fantôme qu’elle est devenue. Elle est omniprésente et toujours insolite. les autres femmes sont faites de chair et leur sang”. C’est bien le mot de la Fin.

Jean-Christophe Féraud

Article Initialement publié sur Mon Écran Radar

Crédit Photo Flickr CC : Mark Coggins / Tomi Kukkonen / Mao Paolis /

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Hathi Trust et le nouveau pouvoir des auteurs http://owni.fr/2010/06/15/hathi-trust-et-le-nouveau-pouvoir-des-auteurs/ http://owni.fr/2010/06/15/hathi-trust-et-le-nouveau-pouvoir-des-auteurs/#comments Tue, 15 Jun 2010 10:11:08 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=18744 Hathi Trust, c’est le nom d’un consortium de grandes bibliothèques universitaires américaines qui se sont rassemblées pour créer un gigantesque entrepôt de conservation des livres numérisés. Hébergé par l’Université du Michigan et développé à l’origine par les établissements du Midwest américain, le projet s’est peu à peu étendu à de très grandes bibliothèques comme celles de l’Université de Californie ou de Virginie, et tout récemment à la prestigieuse New York Public Library.

Abritant à ce jour près de 5,6 millions d’ouvrages, Hathi Trust annonce l’objectif d’atteindre les 18 millions de volumes en 2012, ce qui le placerait certainement à une hauteur comparable à Google Books. Les liens entre les deux projets sont d’ailleurs étroits, puisque bon nombre des bibliothèques formant le Hathi Trust sont des partenaires de Google pour la numérisation de leurs fonds (liste ici).

Google a en effet accepté que plusieurs de ses bibliothèques partenaires aux Etats-Unis puissent se rassembler et verser dans un entrepôt commun les copies numériques qu’il leur remettait. Les objectifs du Hathi Trust sont différents de ceux de Google, dans le mesure où il vise essentiellement à la préservation pérenne des données et c’est certainement cette complémentarité des approches qui a conduit Google à accepter cette concession.

Hathi Trust: la seconde bibliothèque numérique du monde

Hathi Trust forme donc à ce jour la seconde bibliothèque numérique au monde après Google Books et comme lui, elle présente la particularité de comporter à la fois des ouvrages du domaine public et des ouvrages encore protégés. En effet, certains membres du trust (Michigan en premier lieu, mais aussi l’université de Virginie) ont accepté que Google numérise dans leurs fonds tous les livres, sans distinguer selon qu’ils étaient protégés ou libre de droits.

Comme Google Books, Hathi Trust ne donne pas accès à ces livres protégés, ou alors seulement de manière restreinte (voyez ici). Néanmoins, le Trust s’est lancé dans des opérations d’envergure visant à contacter les auteurs des ouvrages pour rechercher leur permission pour diffuser les livres protégés, et c’est là une grande différence par rapport à Google Books qui constitue peut-être l’un des aspects les plus intéressants de cette initiative.

Vers la libération des droits

Tandis que Google cherche à présent à régulariser son coup de force originel par le biais d’un règlement judiciaire global avec les titulaires de droits, Hathi Trust développe une stratégie de contact direct avec les auteurs pour obtenir la libération des droits.

Cette démarche est expliquée de manière détaillée dans cet article signé par Mélissa Levine, responsable des questions de copyright à l’Université du Michigan : Opening Up Content in Hathi Trust : Using HathiTrust Permission Agreements to Make Author’s Work Available.

Hathi Trust a ainsi mis en place une licence qui est présentée aux auteurs pour obtenir une autorisation non-exclusive de diffuser un ouvrage présent dans l’entrepôt, ainsi que d’en faire des reprints et des copies papier pour un usage non commercial. Melissa Levine explique que cette stratégie s’avère payante dans la mesure où bon nombre d’auteurs, notamment dans le milieu universitaire, recherchent avant tout une visibilité pour leur écrit, que leur assure la qualité des métadonnées de la base bibliographique du Hathi Trust (pas vraiment le fort en revanche de Google…).

Pour que ces licences soient valides, il est nécessaire que l’auteur soit bien titulaire des droits sur l’ouvrage. Cela peut être complexe à établir, mais il s’avère que c’est souvent le cas, même quand l’ouvrage a été édité. En effet aux Etats-Unis (mais c’est la même chose en France), les droits retournent à l’auteur lorsqu’un ouvrage est épuisé. Même pour des œuvres encore commercialisées, il est fréquent lorsque les livres ont été publiés avant le milieu des années 90 que les cessions consenties aux éditeurs n’incluent pas explicitement les droits numériques, ce qui en laisse la jouissance aux auteurs.

Les auteurs au centre du dispositif

Ce qu’explique cet article, c’est que les auteurs sont des interlocuteurs bien plus intéressants que les éditeurs pour déployer une stratégie de libération des droits : leurs objectifs sont plus facilement convergents avec ceux des bibliothèques et ils disposent des droits pour délivrer valablement des autorisations, ce qui n’est pas toujours le cas des éditeurs. Nous ne sommes pas loin alors de ce qui est pratiqué dans le cadre de l’Open Access et des Archives ouvertes, où bibliothèques et auteurs travaillent souvent ensemble pour ménager un accès libre aux articles scientifiques en jouant sur des cessions des droits maîtrisées aux éditeurs.

L’article explique que ce modèle de libération peut en outre tout à fait s’articuler avec un modèle économique viable. En effet, l’accès ouvert aux ouvrages sur la bibliothèque numérique du Hathi Trust n’est pas incompatible avec des formes d’exploitation commerciale, notamment par le biais de l’impression à la demande. L’université du Michigan par exemple s’assure que la libération des droits lui permettra d’imprimer les ouvrages à la demande grâce à l’Expresso Book Machine ou en partenariat avec Amazon. Ces activités sont possibles dans la mesure où Google a accepté de revoir ses contrats avec certaines bibliothèques partenaires (Michigan, Virginie) pour leur permettre de développer des activités commerciales lorsqu’elles ne concurrencent pas directement celles mises en place par Google.

L’intérêt de l’article de Melissa Levine, c’est de démontrer que les bibliothèques sont en un sens particulièrement bien placées pour développer ces stratégies de contact direct avec les auteurs (je traduis) :

Aussi bien comme individus que comme institutions, les bibliothécaires et les bibliothèques entretiennent souvent des relations professionnelles et personnelles étroites avec des universitaires en poste ou à la retraite. Parfois, ces contacts personnels avec des membres de l’Université peuvent conduire à des avancées significatives, comme par exemple l’obtention d’une permission pour ouvrir l’accès à tout le contenu qu’ils ont la faculté de libérer. L’expérience du Hathi Trust confirme que le cycle débute avec l’auteur et retourne à présent vers lui, parce qu’il peut être encouragé à exercer les droits qu’il possède pour devenir l’acteur d’un système global, de distribution, de préservation et d’accès à ses œuvres comme cela n’a jamais été le cas auparavant.

On parle beaucoup du rôle de médiation que les bibliothécaires peuvent jouer vis-à-vis des contenus numériques, mais il existe aussi un versant juridique à cette médiation que les bibliothèques peuvent assumer pour tisser un nouveau type de relations avec les auteurs.

J’en ai toujours eu la conviction.

En 2008, j’ai écrit un livre (Bibliothèques numériques : le défi du droit d’auteur), dans lequel j’étudiais les stratégies possibles de libération des droits et exposais l’idée que les bibliothèques avaient justement tout intérêt à jouer la carte des auteurs pour favoriser la numérisation d’ouvrages protégés. J’expliquais également que la meilleure « cible documentaire » pour conduire ce genre d’opérations étaient les œuvres épuisées. On m’a souvent opposé que cette démarche était trop coûteuse en temps et en énergie et qu’il valait mieux, soit s’en tenir aux œuvres du domaine public, soit se tourner vers d’autres partenaires comme les éditeurs ou les sociétés de gestion collective.

L’exemple du Hathi Trust montre que la stratégie qui consiste à redonnner aux auteurs le pouvoir qui est le leur par le biais de la libération des droits peut s’avérer payante.

Redonner le pouvoir aux auteurs

En France, la stratégie de libération des droits sur les livres est très peu développée, mais pas complètement absente. Les Presses Universitaires de Lyon diffusent par exemple sur leur site un certain nombre d’ouvrages épuisés, avec l’accord des auteurs, certains ayant même accepté une licence Creative Commons pour la version numérique de leur œuvre. Le portail de numérisation rétrospective Persée, outre les revues qui constituent le cœur de son activité, comporte à présent un volet monographies, donnant accès aux publications d’institutions scientifiques. Une démarche de numérisation des épuisées à plus grande échelle est en cours en Belgique, à la Digithèque de l’Université Libre de Bruxelles, avec des difficultés particulières pour certains types de corpus, mais aussi de belles réalisations menées en partenariat avec les auteurs ou leurs héritiers.

Ces expériences sont intéressantes, mais on pourrait imaginer des opérations de bien plus grande envergure : une vaste campagne de mécénat des droits lancée en direction des auteurs au niveau national.

A la fin de mon livre, je proposais dix pistes pour favoriser la numérisation d’ouvrages protégées, dont celle de créer au niveau national un Registre de la numérisation et de lancer un grand appel en direction des auteurs pour qu’ils viennent manifester leur souhait que leurs ouvrages soient numérisés et intégrés à la bibliothèque numérique.

Et je terminai par cette citation de Napoléon qui m’est chère :

Une bataille perdue est une bataille que l’on croit perdue.

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Billet originellement publié sur Scinfolex.

A lire également : le billet de Christian Fauré sur les enjeux d’une bibliothèque sur le web.

Crédit Photo CC Flickr: Moriza, Pfala, Troyholden.


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http://owni.fr/2010/06/15/hathi-trust-et-le-nouveau-pouvoir-des-auteurs/feed/ 1
Auteurs-éditeurs: la guerre numérique est-elle déclarée ? http://owni.fr/2010/04/16/auteurs-editeurs-la-guerre-numerique-est-elle-declaree/ http://owni.fr/2010/04/16/auteurs-editeurs-la-guerre-numerique-est-elle-declaree/#comments Fri, 16 Apr 2010 10:35:35 +0000 iPh http://owni.fr/?p=12448

Photo CC Flickr Ricecracker

Lancé initialement par les auteurs de BD, un mouvement plus large des auteurs semble en train de décoller, avec l’Appel du numérique des écrivains et illustrateurs de livres. Comme on pouvait s’en douter, les questions d’argent sont au cœur de la prise de conscience des auteurs. Publication des extraits de la pétition et commentaires par iPh, nouveau venu sur la soucoupe.

La « révolution numérique » du livre se passe ici et maintenant, à marche forcée, et sans les auteurs. (…)
• Comment et sur quoi seront rémunérés les auteurs ? De quoi vont-ils vivre ?

• Quels seront les circuits et systèmes d’exploitation des livres numériques ? Qui seront les vrais commerçants de ce marché numérique qui reste à construire ?

• Comment l’éditeur va-t-il adapter au numérique les usages établis de l’exploitation permanente et suivie qui sont au cœur de son métier : vente active, promotion, disponibilité permanente du « produit » ?

• Pourquoi les auteurs devraient-ils céder leurs droits numériques leur vie durant et même 70 ans après leur mort ?
Au lieu d’ouvrir le débat, le Syndicat National de l’Édition et chaque éditeur essaient d’imposer sa règle et ses conditions.
Mais les auteurs ont maintenant bien compris que si le livre numérique est vendu deux ou trois fois moins cher que son équivalent papier, si la TVA appliquée au livre numérique (19,6 %) est presque quatre fois plus élevée que celle applicable au livre papier (5,5 %), même si leurs éditeurs leur proposent un pourcentage identique pour le livre numérique que pour le livre papier, mécaniquement cela entraîne une baisse très importante de leur rémunération.
Nous pouvons légitimement nous demander si les éditeurs ne nous considèrent pas, ainsi que nos droits d’auteur, comme de simples variables d’ajustement dans l’économie du livre numérique. (…)
Nous voulons que la cession des droits numériques fasse l’objet d’un contrat distinct du contrat d’édition principal.
Nous voulons que la cession des droits numériques soit limitée précisément dans le temps afin d’être réellement adaptable et renégociable, au fur et à mesure, de l’évolution des modes de diffusion numérique.
Nous voulons que toute adaptation numérique des livres soit soumise à la validation des auteurs et que ceux-ci soient cosignataires de toute cession à un tiers des droits numériques. (…)
Gardons nos droits numériques pour faire entendre notre voix.
Premier point : la « révolution numérique » dans le livre se passe surtout… à reculons. Aucun des éléments du « système livre » de la chaîne papier (auteur, éditeur, diffuseur, distributeur, détaillant c’est-à-dire libraire) ne semble pressé d’y plonger. C’est le succès inattendu des liseuses depuis deux ans qui a créé une pression sur un monde n’ayant montré, depuis quinze ans, qu’une relative indifférence (voire une défiance) vis-à-vis d’Internet. De mon point de vue, les auteurs ne sont pas les mieux placés pour donner des leçons aux éditeurs : les deux nagent dans l’immobilisme et, souvent, la méconnaissance de la culture Internet. Combien d’auteurs tiennent un blog ou un site d’échange avec leurs lecteurs ? Combien ont un site dédié à chacun de leur livre ? Combien préfèrent un chat avec lecteurs à une émission de promo sur une télé ou une radio ? Combien se sont enthousiasmés des possibilités nouvelles d’écriture et de partage à l’âge numérique, ou ont simplement réfléchi à leur conception personnelle de la propriété intellectuelle ?
Deuxième point : Internet n’est pas une grande librairie avec un vigile devant chaque livre. Conséquence du point précédent : les auteurs envisageant Internet comme un simple marché, une sorte de grande libraire virtuelle qui va uniquement permettre de nouveaux débouchés à leurs œuvres, se préparent des lendemains qui déchantent. D’abord, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de librairies physiques, ces auteurs vont se retrouver en compétition avec bien plus d’autres œuvres dans la même catégorie que la leur, dont certaines gratuites. Ensuite, sur Internet, les lecteurs ont un comportement actif : ils ne subissent pas le matraquage du système de promotion marketing et médiatique, mais fabriquent la réputation des livres, aussi bien dans les commentaires ouverts des librairies en ligne que sur les réseaux sociaux, le microblogging, les blogs de critique, les forums, etc. Le livre numérique sera un « livre social ». Enfin, la numérisation du livre change ses conditions de production : il y aura de plus en plus d’auto-édition, de micro-édition, de wiki-édition (voir ici) et la première exigence d’un auteur devrait être de réfléchir aussi à ces modes d’écriture et de diffusion, au lieu de délivrer un message uniquement corporatiste axé sur ses revenus à court terme.
• Troisième point : le droit d’auteur est inadapté à l’ère numérique (surtout sa cession à l’éditeur). On l’observe dans la pétition, l’idée de céder ses droits à l’éditeur toute sa vie et soixante-dix ans après sa mort devient absurde dans un système à évolution rapide. Personne ne sait ce qu’il en sera de la diffusion numérique du livre dans dix ans ou dans cinquante ans. Il est impossible de demander à l’auteur numérique de signer un chèque en blanc sur l’avenir. L’éditeur devra plier et accepter des contrats révisables (par exemple tous les cinq ans). Mais les auteurs doivent de leur côté comprendre que l’inadaptation du droit d’auteur est bien plus profonde. C’est toute la propriété intellectuelle littéraire et artistique qui devient problématique à l’âge numérique, car elle a été pensée pour le papier, et selon des conditions d’exclusivité longue (patrimonialité sur près d’un siècle, voire plus) devenues à la fois incompréhensibles pour les lecteurs, intenables dans les technologies numériques, nuisibles pour le bien commun que constitue l’accès à la culture et à la connaissance de son temps. Sur les problèmes du « piratage », les auteurs soucieux de leur image devraient réfléchir à deux fois aux enjeux pratiques et symboliques de cette question sur le Net, avant de jouer les idiots utiles des Hadopi et autres mesurettes du flicage politico-industriel.
• Quatrième point : la baisse de revenu est inévitable dans le système actuel du livre, elle ne peut être conjurée que par un modèle entièrement nouveau. Le problème va au-delà de la TVA ou du prix unique. Sur l’Internet, les contenus sont ubiquitaires, innombrables, souvent gratuits ou peu coûteux. Les normes de consommation culturelle évoluent en conséquence : le comportement de l’acheteur numérique n’est pas celui de l’acheteur physique. Le lecteur n’est pas prêt à payer cher pour un livre numérique, et la tendance ira très probablement à la baisse à mesure que la compétition entre livres coûteux / peu coûteux / gratuits s’accentuera. Les industries de contenus (musique, presse, cinéma) ne préservent leurs revenus qu’en inventant de nouveaux modèles économiques, non centrés exclusivement sur la vente d’un bien – qui risque fort de devenir, à court terme, l’accès provisoire à un contenu (location de livre dans le cloud et non accumulation de fichiers, par exemple pour tous les livres de « divertissement » formant des grosses ventes en poche).
• Cinquième point : « le livre » en toute généralité ne signifie rien, chaque secteur du livre a des revenus, des contraintes et des perspectives différentes à l’ère numérique. La numérisation du livre ne va nullement affecter de la même manière les romans, les guides pratiques, les BD et livres de jeunesse, les livres d’art, les encyclopédies, les travaux universitaires et scientifiques, les essais, les manuels scolaires. Aujourd’hui fondues dans la même chaîne du livre en raison du format final unique (un objet papier), ces écritures sont en réalité très différentes. Par exemple, elles ne procurent pas les mêmes revenus (la meilleure vente essai est très en dessous de la meilleure vente roman ou BD), leurs contenus sont plus ou moins évolutifs, leur transition multimédia a plus ou moins de sens, leur circulation en copie privée (dite piratage) est plus ou moins simple, etc. Ni les auteurs ni les éditeurs n’ont les mêmes préoccupations selon le secteur concerné, qu’il s’agisse des questions économiques relatives aux revenus ou des questions pratiques relative à l’écriture, à sa mise en page, sa mise en ligne et sa mise à jour.
• Sixième point : les éditeurs sont sur la sellette face à de nouveaux concurrents et doivent clarifier leur position. A l’ère numérique, les coûts de production et de diffusion sont considérablement allégés, et les éditeurs doivent affronter de nouveaux concurrents. Aussi bien les fabricants de liseuse (Apple, Sony) que les distributeurs et agrégateurs (Amazon, Google) vont proposer de meilleures conditions aux auteurs (Amazon teste des formules à 70% de revenus sur les ventes, sans céder ses droits). Ils donnent à l’auteur la possibilité de toucher des publics plus nombreux : le tirage moyen d’un livre papier est de 9340 exemplaires (ministère de la Culture 2010), et un grand nombre d’auteurs (romans, essais) doivent se contenter de bien moins, quelques centaines, au mieux quelques milliers d’exemplaires papier perdus dans le réseau physique des libraires. Les éditeurs doivent donc repenser leurs offres aux anciens auteurs du monde papier, mais surtout aux futurs auteurs du monde numérique. La priorité du moment me semble d’obliger ces éditeurs à clarifier leurs positions, et cela autrement que par le rapport de force individuel auquel ils étaient habitués en raison de l’argument-massue : la production-diffusion-promotion du livre papier à l’âge industriel était inaccessible à l’auteur individuel, ce qui sera de moins en moins le cas.
• Conclusion : En attendant que les évolutions concrètes éclaircissent les enjeux secteur par secteur, la protection minimale de tous les auteurs consiste en effet à revendiquer un contrat numérique à part entière (non un simple avenant au contrat papier), avec cession courte des droits à l’éditeur (maximum cinq ans) et négociation sur la part des royalties dans le prix final du livre numérique. Pour cette raison, je soutiens la pétition avec toutes les réserves indiquées ci-dessus.

Billet initialement publié sur Mon iPhone m’a tuer

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L’oeuvre ou le livre ? http://owni.fr/2010/03/05/loeuvre-ou-le-livre/ http://owni.fr/2010/03/05/loeuvre-ou-le-livre/#comments Fri, 05 Mar 2010 11:51:04 +0000 Serge-André Guay http://owni.fr/?p=9440 rosette1

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Dans le compte-rendu de sa participation à La Fabrique du numérique (Québec), l’écrivain québécois Dominic Bellavance écrit : « On m’a sermonné quand j’ai parlé de ”livre numérique”, mais il est vrai que l’on doit maintenant utiliser le terme ”œuvre numérique” qui englobe beaucoup plus de possibilités. »Source ] Le chroniqueur Michel Dumais allait dans le même sens en écrivant ce commentaire sur Twitter pendant le même événement : « On a cessé de parler de l’industrie du disque au profit de celle de la musique. On arrête de parler de livre? Industrie de l’œuvre ? » [ Source ]

On  se souviendra également du commentaire de l’auteur français François Bon peu avant l’événement : « ai été surpris retour en force du mot “livre” dans la présentation, pourtant évincé de la phrase principale du chapeau — ça dit bien un des enjeux de la rencontre : c’est comme faire du vélo sans roulettes, on n’est pas encore habitué à l’idée d’aller dans ces zones-là débarrassés de l’idée même du livre qui en a été le support non pas daté, mais datable — en gros : est-ce qu’on n’a pas déjà dépassé le stade d’une “métamorphose” du livre pour être dans l’éclosion d’usages neufs, sur des supports nouveaux aussi, et où transporter notre responsabilité de transmission, de création, d’imaginaire, n’impose pas forcément d’emporter l’ancien équilibre, et ne peut en aucun cas soulager ses marques grandissantes d’incapacité ou d’échec ? »

L’œuvre ou le livre ?


Il est aisé de comprendre cette demande de référence à l’œuvre plutôt qu’au livre chez ceux qui pratiquent de nouvelles formes d’écriture venues du numérique et du web. En effet, difficile d’affirmer qu’une série de billets publiés dans un

carnet web (blogue) soit un livre. Difficile aussi de considérer qu’une série de commentaires de 140 caractères maximum chacun publiée sur Twitter (site web d’échange social) soit un livre. À ces deux exemples s’ajoutent l’écriture collective, à plusieurs auteurs, sur un site web, l’écriture en direct sur un site web sous l’influence des commentaires des lecteurs, l’écriture avec des liens hypertextes conduisant à des définitions, des descriptions de lieux et de personnages…, l’écriture avec des vidéos intercalées, l’écriture en mise à jour constante, et que sais-je encore. On veut nous faire comprendre que toutes ces nouvelles formes d’écriture ne sont pas nécessairement des livres et qu’il vaut mieux parler d’œuvres.

Certes, allons-y avec œuvre. Mais il faut alors percevoir l’œuvre comme un simple manuscrit, le fruit d’une écriture qui n’est pas encore éditée. Dans le domaine traditionnel du livre, l’œuvre se présente d’abord sous la forme d’un manuscrit et ce n’est qu’une fois éditée qu’elle se présente sous la forme d’un livre. Et puisque l’édition ne se limite pas à une simple reproduction de l’œuvre sous la forme d’un livre, on parle de l’œuvre originale, le manuscrit soumis à l’éditeur, et de l’œuvre finale, c’est-à-dire le livre proposé aux lecteurs.

Si l’on veut parler de l’industrie de l’œuvre plutôt que du livre, il faut savoir que l’œuvre demeure au départ un produit brut. Une industrie de l’œuvre serait alors ni plus ni moins qu’un

e industrie de la matière première, une simple pile de manuscrits (papier et numériques) en tous genres sans aucun apport des éditeurs. Une industrie de l’œuvre nous ramène donc à un concept bien connu et fort populaire : l’autoédition.

Évidemment, il ne s’agit pas là de la vision des tenants de l’œuvre face au livre. La question suivante est posée à l’éditeur : n’y a-t-il pas un nouveau produit de transformation à tirer de ces œuvres nouvelles aux formes d’écriture tout aussi nouvelles, autre chose qu’un livre ? On veut attirer notre attention sur l’œuvre de peur que le livre nous aveugle et ne nous permette pas d’imager le ou les nouveaux produits de transformation de l’œuvre en remplacement du livre.

4 livres

Photo Wa So sur Flickr

Le modèle économique et le contenu

Du même coup, on suggère de ne pas s’attarder au modèle économique, comme le rapporte l’écrivain Dominic Bellavance dans

son compte-rendu de l’événement La fabrique du numérique : « J’espérais surtout sortir de cette journée en ayant fait prendre conscience aux acteurs du milieu qu’on avait besoin de définir des standards pour le contrat d’édition. Ma première grosse déception de la journée, une suggestion citée par Gilles Herman et qui a été applaudie dans toute la salle : « ne nous concentrons pas sur le modèle économique, il se définira lui-même, mais concentrons-nous sur les contenus ». [ Source ] (Gilles Herman est directeur général et éditeur aux Éditions du Septentrion et il siège au comité du numérique de l’Association nationale des éditeurs de livres (Québec)). On peut comprendre la déception de l’écrivain face à cette suggestion d’autant plus qu’elle fut reléguée par un éditeur.

Clément Laberge, vice-président édition numérique chez la firme De Marque (Québec), apporte un bémol à la suggestion : «Exprimée à la fin de la première série d’atelier [citée par Gilles]: ”ne nous concentrons pas sur le modèle économique, il se définira lui-même, mais concentrons-nous sur les contenus”. Je suis d’accord si cela est une invitation à définir les modèles par l’action, en tentant des expériences. Mais très franchement je n’aime pas tellement l’idée que les ”modèles économiques vont se définir eux-mêmes”. Ce n’est pas vrai ! Les modèles économiques ne sont pas neutres, ils rendent compte de rapports de forces et d’interactions complexes entre des acteurs qui poursuivent des objectifs très différents et ils s’appuient sur des valeurs (au sens moral) dont on ne peut pas se désintéresser. Il ne faut pas perdre de vue que les modèles économiques ne seront pas neutres sur la nature de la création littéraire ni sur la nature de ce à quoi les gens s’intéressent au moment de choisir de la lecture. Ne soyons pas candides.» [ Source ]

Le produit de l’édition

Il faut insister : le produit de l’édition, c’est le livre. Et un livre, c’est un livre. L’oeuvre est dans le livre et le livre peut aussi être lui-même une oeuvre d’art. Voilà la réalité du modèle économique actuel et, plus important encore, la réalité du lecteur. Pour guider ce dernier dans le passage au support numérique et électronique, il faut préserver le concept du livre : livre numérique, livre électronique. La résistance naturelle au changement exige que l’on procède par étape, d’abord en ajoutant quelque chose de nouveau à quelque chose de vieux, dans ce cas-ci, le numérique au livre.

Ceci fait, on pourra inventer autant d’autres produits que l’on voudra. Mais je vous rappelle que le taux de succès des nouveaux produits de consommation (sans vouloir insulter le livre) ne dépasse pas les 10%. Autrement dit, 90% des nouveaux produits connaissent l’échec, d’où l’importance d’expérimenter, comme le dit si bien Clément Laberge. Mais attention à l’expérimentation sur la place publique car il n’y a rien de plus risqué pour s’attirer de mauvaises critiques ou, pis encore, pour rebuter la population avant même le lancement du nouveau produit. Et c’est plus particulièrement vrai dans le cas du livre, une institution culturelle de grande envergure.

Ce n’est que dans la démocratisation de l’accès à l’édition grâce aux nouvelles technologies qu’il y a révolution dans le domaine du livre.

Pour le reste, c’est de l’évolution. Le livre passe au numérique comme le téléphone fixe est passé au téléphone mobile. Notez que le produit est encore et toujours appelé « téléphone » et que cela n’a pas empêché le développement de nouvelles applications, bien au contraire. Dans ce contexte, la référence au livre comme le produit de l’édition s’avère essentielle au succès des nouvelles formes d’écriture.

La mode du moment et l’avenir du livre

Et si on mettait nos pupitres en cercle ? Et si on avait un écureuil en classe ? Et si on fabriquait un théâtre de marionnettes ? J’étais en sixième année à l’école élémentaire lorsque la méthode active a fait son entrée dans l’enseignement au Québec. J’en garde un excellent souvenir. Contrairement aux années précédentes, très austères avec ses cours magistraux et ses coups de règles sur les doigts, ma sixième année fut un terrain de jeux.

Cependant, la méthode active ne fut qu’une mode du moment adoptée que par quelques enseignants aventuriers. Qui allait nourrir l’écureuil, les poissons, les tortues, les couleuvres,… pendant les deux mois de vacances estivales ? La réalité a rattrapé bon nombre d’enseignants adeptes des méthodes actives au cours des années 80. Mais l’idée fondamentale a persisté et a influencé tous les programmes pédagogiques au Québec adoptés en réformes successives depuis l’époque. Aujourd’hui, les résultats concrets de l’école moderne de la nouvelle éducation laisse à désirer au chapitre des connaissances. L’intégration de l’activité et, plus récemment, de l’apprentissage par projet dans la pédagogie semblent se faire au détriment de la maîtrise des matières de base dans nos écoles. Curieux n’est-ce pas comme l’euphorie du moment envers une nouvelle mode peut tout faire dérailler à long terme ? Je crains que l’avenir du livre, sans le livre et au profit des œuvres, soit dans une telle euphorie. Comprenez-moi bien, je ne suis pas contre l’expérimentation et l’exploration mais je crains l’altération voire la destruction du déjà su avant même l’arrivée d’un nouveau savoir.

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Photo bob august sur Flickr

Les créations collectives et les nouvelles formes d’écriture : le même avenir ?


L’euphorie manifeste des opposants à la référence au livre (au profit de l’œuvre) se compare à celle observée lors de l’arrivée des créations collectives dans le milieu théâtral au Québec dans les années 60 et 70. Je me souviens encore de l’engouement suscité par le projet de création collective proposé par l’un des professeurs de théâtre à mon école secondaire.

« Dans son usage le plus courant, l’expression désigne une technique permettant de concevoir une pièce en groupe, avec ou sans l’aide d’un dramaturge. Les défenseurs de ce processus de création soutiennent qu’il transforme l’acteur en artiste créateur et l’amène à exprimer sa propre expérience à travers son jeu. » explique Gilbert David dans son article sur le sujet publié par L’Encyclopédie canadienne, offerte en ligne par la Fondation Historica.

Malheureusement, on termine souvent sa course dans le décor quand on démarre sur les chapeaux de roues. Des centaines de petites troupes de théâtre adeptes de la création collective tracent leur chemin au cours des années 60 et 70, puis disparaissent.

À mon humble avis, c’est un avenir aussi sombre qui frappera à moyen terme les nouvelles formes d’écriture numérique tout comme les œuvres numériques qui en résultent. Pour sa part, le livre numérique traditionnel (avec ou sans lien hypertexte, vidéo intégrée…) gagnera en crédibilité et s’imposera à côté du livre papier.

Gilbert David souligne dans L’Encyclopédie canadienne qu’«une fois la dramaturgie canadienne parvenue à un stade où les dramaturges peuvent vivre de leur art, la création collective apparaît moins nécessaire.» Il en sera ainsi dans le domaine du livre. Je paraphrase : une fois l’industrie du livre parvenue à un stade où les auteurs de livres numériques pourront vivre de leur art, les nouvelles formes d’écritures numériques apparaîtront moins nécessaires. Je me réfère ici autant aux auteurs publiés sous la forme de livres papier accompagnés de leurs versions numériques qu’aux auteurs publiés uniquement sous la forme de livres numériques. Notez la répétition du mot « livre » par opposition à la référence imposée à l’œuvre depuis peu.

Gilbert David ajoute : « Paradoxalement peut-être, la création collective a conduit à la redéfinition des tâches artistiques au sein des compagnies théâtrales, en pavant la voie à un retour en force de la mise en scène. » Je paraphrase de nouveau : Paradoxalement peut-être, les nouvelles formes d’écriture conduiront à une redéfinition de la chaîne du livre, en pavant la voie à un retour en force de l’édition (et de l’éditeur). Il faut se rappeler que le numérique permet à plusieurs auteurs de contourner l’éditeur voire toute la chaîne du livre traditionnel.

En résumé, le jour où un modèle économique rentable pour le livre numérique aura fait ses preuves, la recherche de nouvelles voies dans les nouvelles formes d’écriture numérique cessera ou deviendra une spécialité de quelques universitaires. Il n’est donc pas utile de mettre de côté le livre au profit d’un concept plus large (l’œuvre) mais de travailler très fort à l’émergence d’un modèle économique viable et équitable pour tous les acteurs du livre, industriels et artisans. Il n’y aura pas de nouveaux produits littéraires qui émergeront des nouvelles formes d’écriture numérique.

Des nouvelles formes d’écriture, vraiment ?

Doit-on parler de nouvelles formes d’écriture ou de nouveaux supports technologiques ? Est-ce que mettre des liens hypertextes dans un texte constitue une nouvelle forme d’écriture ? Non, car je n’écris pas en fonction des liens que je place dans le texte. Le lien hypertexte est uniquement un nouveau support technologique offert par le numérique pour livrer des références au lecteur. Est-ce que le blogue est une nouvelle forme d’écriture ? Non, le blogue est ni plus ni moins qu’un nouveau support pour les formes d’écriture que l’on connaît déjà : billet, nouvelles, articles… L’écriture «blogue» n’existe pas. Est-ce que l’écriture collective est une nouvelle forme d’écriture ? Non, ce n’est pas d’hier que des gens se réunissent pour écrire une œuvre collective.


Où sont-elles ces nouvelles formes d’écriture dont on parle tant ? Sur Twitter, morcelées en 140 caractères ? Aussi bien dire qu’on trouve une nouvelle forme d’écriture dans les 140 post-it collés sur mon réfrigérateur . On ne peut pas parler d’une nouvelle forme d’écriture à l’arrivée de chaque nouveau type de site web. Voyons donc, ce n’est pas sérieux ?

Même dans le cas du «journalisme citoyen» on ne peut pas vraiment parler d’une nouvelle forme d’écriture. Si l’expression doit son existence au web, il faut se rappeler que plusieurs citoyens pratiquaient déjà ce type de journalisme dans les médias communautaires et libres (journaux, radio, télévision). Le journalisme citoyen est l’une des déclinations du style journalistique et non pas une nouvelle forme d’écriture.


Ah ! Oui, on saura me dire que les nouvelles formes d’écriture sont dans le support lui-même. On n’écrit pas pareil lorsqu’on utilise un clavier et un ordinateur que lorsqu’on utilise un crayon et du papier. Peut-être, mais cela ne donne pas pour autant naissance à une nouvelle forme d’écriture.

Je sais, on parle de l’écriture web. Certains fournisseurs de contenu web en font une spécialité. Ils écrivent des textes en fonction des particularités du web. Par exemple, on répète volontairement certains mots-clés dans le texte. Les moteurs de recherche s’attardent au nombre de fois qu’un mot-clé est présent dans un texte pour en déterminer le classement parmi les résultats de recherche. J’utilise parfois cette approche et je la considère davantage comme une technique qu’une nouvelle forme d’écriture.

Bref, si le support technologique a le pouvoir d’influencer l’écriture, aucune nouvelle forme d’écriture n’a vu le jour jusqu’à présent. Certains ont peut-être l’impression de réinventer le monde de l’écriture dans l’univers technologique, mais ce n’est qu’une impression. Écrire et publier sur un nouveau support est une chose, inventer une nouvelle forme d’écriture en est une autre. Et si je me trompe, j’aimerais bien qu’on me liste et me définisse ces nouvelles formes d’écriture en prenant grand soin de tenir compte des formes existantes.

CONCLUSION

L’avenir n’est pas dans un détour par l’œuvre

Une grande confusion régnerait au sien de la population si toutes les discussions autour de ces soi-disant nouvelles formes d’écriture et au sujet de la remise en question de la référence au livre au profit de l’œuvre trouvaient un écho public étendu. Déjà incité à se familiariser avec le livre électronique et les exemplaires numériques, le bon peuple a déjà plusieurs décisions à prendre dans la balance. S’il faut que des « hippies des pixels » viennent mêler les choses, plusieurs personnes vont tout simplement décrocher et l’avenir du livre souffrira d’une mauvaise réputation, sans doute passagère, mais tout de même néfaste à la campagne d’information en cours depuis quelques années auprès de la population. Forcer un détour par l’œuvre pour ensuite nous rendre compte qu’il faut revenir en force au concept du livre sèmera la confusion.

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Image Gileslane sur Flickr

L’avenir du livre est dans le livre

Qu’il soit imprimé sur papier ou sous la forme d’un fichier numérique, l’avenir du livre est pour longtemps encore dans le concept même du livre. Pour le définir, il faut respecter la perception du livre au sein de la population : un objet de papier imprimé d’une œuvre. Actuellement, le livre papier domine mais le livre électronique et les exemplaires numériques font leur petit bonhomme de chemin dans la culture populaire. La force de l’idée du livre réside dans sa clarté.

On peut évaluer l’ampleur de cette force de l’idée du livre dans les différentes histoires du livre. Par exemple, on peut lire : « Les premiers livres ont pour support des tablettes d’argile ou de pierre ». Comment un historien peut-il affirmer que les écritures de ces époques étaient des livres ? Il faudrait savoir comment les gens de ces époques nommaient leurs écrits. C’est sans aucun doute en raison de la domination de l’idée du livre dans son intellect que l’auteur de cette histoire du livre projette dans le passé un produit qui naîtra beaucoup plus tard. Telle est la force de l’idée du livre au siècle dernier et de nos jours. L’industrie du livre ne deviendra pas l’industrie de l’œuvre, comme l’industrie du disque est devenue l’industrie de la musique, car même l’œuvre fait référence au livre au sien de la population.

L’œuvre fermée et l’œuvre ouverte

Enfin, certains justifient la référence à l’œuvre plutôt qu’au livre parce que ce dernier se rapporte à une œuvre fermée dès qu’elle est imprimée. On parle de l’œuvre ouverte, c’est-à-dire en constante évolution, telle que le permettent les nouvelles technologies, notamment le web. L’auteur retouche alors son œuvre librement sur le web, la bonifie, en réécrit des passages, ajoute des liens hypertextes et peut-être même des vidéos. Malheureusement, le public est habitué à la lecture d’œuvre fermée. Le lecteur ne tient pas à relire sans fin la même œuvre pour en apprécier l’évolution constante en décelant ici et là les retouches et les ajouts. Même dans la musique chaque version est fermée. Il en va de même de l’œuvre d’un peintre. Même s’il peut la réaliser sur plusieurs années, un jour ou l’autre, il complète définitivement son œuvre. Et c’est le résultat final, le produit fini, dont l’amateur se porte acquéreur. Assister au travail en direct de l’écrivain sur le web intéressa sans doute certains lecteurs mais ils se lasseront si l’accouchement s’éternise ou en l’absence d’un produit fini.

Il y a déjà tant à lire, si nous devons lire et relire sans cesse les œuvres numériques ouvertes, nous abandonnerons… si l’auteur ne baisse pas les bras avant les lecteurs. Chez l’éditeur Robert ne veut pas lire, ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont abandonné leurs feuilletons en premier. L’éditeur exige désormais de ses auteurs l’ensemble de l’œuvre, une œuvre complétée, fermée, avant de la publier en feuilletons. Seule l’œuvre fermée a un avenir commercial.

Billet initialement publié sur Le Monde du livre sur Internet, le magazine en ligne de la Fondation littéraire Fleur de Lys, sous le titreLa fabrique du numérique vue par le trou de serrure, L’œuvre ou le livre”

Image de une Gileslane sur Flickr

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Le miroir aux alouettes de l’auto-édition (numérique ?) http://owni.fr/2010/02/24/le-miroir-aux-alouettes-de-l%e2%80%99auto-edition-numerique/ http://owni.fr/2010/02/24/le-miroir-aux-alouettes-de-l%e2%80%99auto-edition-numerique/#comments Wed, 24 Feb 2010 15:26:32 +0000 Jean-Francois Gayrard http://owni.fr/?p=8969 ecrivain

Nous accueillons sur la soucoupe Jean-François Gayrard, écrivain et blogueur français installé à Montréal au Québec. Son blog Numerikbook est consacré à l’actualité de l’édition numérique.

L’auto-édition est à la littérature ce que Kodak a été à la photographie: à trop vouloir démocratiser un art, à trop vouloir le populariser, à trop vouloir le rendre accessible au plus grand nombre, on finit par le désacraliser, on finit par lui enlever toute son essence, toute sa raison d’être.

Depuis toujours l’auto-édition est un concept qui me hérisse le poil sur les bras. Et ça empire avec l’avènement de la numérisation du livre.  Je suis un fervent défenseur de la numérisation du livre. Pas un militant, pas un évangéliste. Non, parce que ce qui me motive avant tout, c’est d’encourager la lecture, quelque soit le support de lecture, papier ou électronique et surtout c’est d’encourager les générations futures à lire, tout en étant bien conscient que ces générations là n’auront pas du tout le même rapport avec le papier que nous connaissons. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’elles ne liront pas, bien au contraire.

Revenons à l’auto-édition. Les sites Internet pour publier un livre soi-même, généralement moyennant un prix substantiel, pullulent ces derniers temps. C’est un des avantages de la numérisation; on peut facilement télécharger son manuscrit et le mettre en vente sur une plate-forme. Et là, ça y est, je suis auto-proclamé auteur ! Génial. Un mois, deux mois, trois mois passent et je me rends compte que je n’ai vendu qu’une petite dizaine d’exemplaires, avec un peu de chance. Bienvenu, dans le monde merveilleux de l’auto-édition; un beau miroir aux alouettes, ni plus ni moins.

Citez-moi un auteur célèbre contemporain qui a connu un vrai succès d’édition grâce à l’auto-édition ? Citez-en moi juste un seul ?

Comme me l’expliquait un ami éditeur tout récemment, “ce n’est pas parce que je fais du jogging tous les matins que je suis assuré de gagner le marathon“. Ce n’est pas parce que j’aime le vin qu’il faut absolument que j’achète un vignoble demain, ce n’est parce que je suis un passionné de cinéma que demain, je serai réalisateur, ce n’est pas parce que je suis un amateur de bonne bouffe que demain j’ouvrirai un restaurant gastronomique.

Ce n’est pas parce que j’écris que je serai forcément demain un auteur ou un écrivain. Bien des auteurs, qui se sont auto-proclamés eux-mêmes auteurs, ne comprennent pas pourquoi les maisons d’édition refusent leur manuscrit. Frustrés et surtout convaincus que leur manuscrit est le meilleur au monde – et c’est peut-être le cas – ils se tournent vers l’auto-édition ou de la pseudo auto-édition.  Mais ce n’est pas parce qu’un manuscrit est auto-édité qu’il est forcément diffusé puis lu. Parce que finalement qui décide, en bout de ligne, qu’on est auteur ou qu’on ne l’est pas: c’est le lecteur, celui qui achète ou pas votre livre. Et qui est le plus structuré, le plus organisé, qui possède le savoir-faire pour donner toutes les chances à un manuscrit qu’il soit numérique ou papier de trouver son lectorat? L’éditeur et sa maison d’édition, quelque soit la taille de celle-ci.

L’auto-édition est un miroir aux alouettes, le polaroid de la littérature, le Prozac de l’auteur déprimé de ne pas être publié. Tout le travail éditorial que fait une maison d’édition est précieux et indispensable, sans oublier tout le marketing de mise en marché et la promotion qu’elle va déployer pour donner une chance à un auteur d’être connu.

Pour conclure, je reprendrais les propos de Eric Simard, responsable de la promotion aux Editions Septentrion, parus sur son  blog: “de nos jours, beaucoup de gens écrivent et rêvent d’être publiés. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi (il y a pire motivation dans la vie), mais très peu y arriveront. Je ne crois pas ce que ce soit dramatique. Combien ont rêvé d’être astronautes et combien y sont parvenus?

Article initialement publié sur Numerikbook

Photo Carl M. sur Flickr

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Le lecteur s’impose : de l’avenir pour l’édition numérique… [2] http://owni.fr/2009/10/06/le-lecteur-simpose-de-lavenir-pour-ledition-numerique-2/ http://owni.fr/2009/10/06/le-lecteur-simpose-de-lavenir-pour-ledition-numerique-2/#comments Mon, 05 Oct 2009 22:35:01 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=4250 Ce billet est le deuxième d’une série consacrée aux transformations des métiers du livre. Ce deuxième volet s’intéresse à la montée en puissance du lecteur et au déclin du comptable.

La diffusion massive des outils de communauté(s), ou social media, transforme la nature des rapports que nous entretenons avec l’information et avec le savoir. D’une société de la connaissance relativement verticale, nous passons à une société de l’information très horizontale. D’une méthode de transmission et de diffusion décidée par un centre, nous passons à des méthodes de transmission et de diffusion multiples élaborées par le chevauchement de ces mêmes méthodes et par les usages qu’en font les utilisateurs. Cette transition a parfaitement été identifiée et intégrée par une firme comme Google qui joue sur ces leviers multiples permettant aux utilisateurs de faire triompher leurs désirs.

ecritoiresDans ce nouveau paysage de la dissémination et de l’échange des informations, la place centrale détenue hier par l’économie est très fortement restreinte, mais sans pour autant disparaître. Elle devient progressivement invisible et n’occupe plus la place déterminante de base comme le prouvent l’émergence de projets d’envergure mondiale dont le modèle de rentabilité économique reste encore à déterminer. Certains projets passent même l’essentiel de leurs temps de vie dans cet état de work in progress opérationnel, de version Beta perpétuelle, pour finalement devenir la propriété d’une compagnie ou d’une autre qui dépense sans compter pour ce qu’elle pense être la poule aux œufs d’or. Parmi les cas d’école : MySpace, dont le succès a été énorme, puis son rachat par Rupert Murdoch et puis son déclin rapide face à la montée en puissance d’un autre projet d’envergure : Facebook. L’économie ne règne pas sur le monde numérique, ou du moins pas comme elle le voudrait, comme dans le temps, de manière impériale et univoque.

Tous ces outils de mises en relation entre les individus, qui secondaient hier le téléphone et qui le supplante désormais totalement,
représentent une menace bien réelle pour les groupes financiers qui fondent leur économie sur la propriété culturelle. La fluidité et l’horizontalité des relations qu’ils imposent minent et contreviennent à toutes les règles verticales et hiérarchiques imposées par les méthodes traditionnelles d’exploitation des œuvres culturelles. Cela a été fulgurant et évident pour la musique. C’est également vrai pour le cinéma et la photographie. Pour des arts plus adaptés à une interaction dans l’espace comme la peinture, la sculpture, les spectacles vivants, la danse, le théâtre… les outils communautaires, et plus généralement le Web, offrent une porte d’entrée par cooptations, par relations, par affinités et parfois même par un travail pédagogique de proximité entre les connaisseurs et les curieux. Si la télévision et le divertissement restent les sujets de prédilection dans les échanges sociaux, les arts n’en sont pas absents, loin de là et sont aussi un signe de reconnaissance entre individus d’une même tribu.

Pour la musique, le cinéma et la photographie, les technologies de l’information ont également permis un partage total des ressources,
sans aucune limite physique de support ou d’espace. Cette capacité de partage a été complètement diabolisée par les détenteurs de droits qui l’ont immédiatement assimilée à du vol, à du piratage, tout en admettant qu’il pouvait y avoir des similitudes avec le prêt et l’échange qui préexistaient dans le monde de la distribution traditionnelle d’œuvres culturelles. Dans ces conditions quand est-il du livre ? Ce dernier est-il condamné à devenir également un objet immatériel qui pourra être disséminé dans le flux incessant des échanges numériques qui saturent le Réseau ? La réponse est évidente et il n’est pas besoin de s’interroger sur le support de lecture final pour formuler une conclusion. Le livre numérique sera lui aussi et de manière massive l’objet d’échanges, de partages et donc de piratages. Il l’est déjà aux Etats-unis où les ouvrages techniques et universitaires sont disponibles de manière systématique en version électronique peu de temps après leur parution papier, si ce n’est avant la sortie de cette dernière.

On peut polémiquer encore longtemps sur la nature du support final de lecture du livre numérique.
Ces querelles rejoindront celles des inconditionnels de la photographie argentique contre les adeptes des appareils numériques, ou bien des cinéastes de pellicule contre les utilisateurs de caméras numériques, etc. Ces débats parfois intéressants mais souvent stériles renvoient à des différents encore plus anciens sur d’autres innovations de l’histoire. Que ce soit sur papier (par impression à la demande, impression privée) ou sur un appareil électronique (ordinateur, tablette, netbook, lecteur électronique), cela ne changera rien à la volatilité acquise des livres numériques.

Ce qui change également et de manière radicale, c’est la place de chacun dans le dispositif du livre.
La chaîne de fabrication traditionnelle fortement Taylorisée (découpée en segments performants et les plus rentables possibles) a donné, et donne encore, une place très importante à l’économie et à ses experts. Mais l’irruption des technologies de l’information, un moment apprivoisée par l’industrie du livre, va débarquer les contrôleurs de gestion et les comptables pour rendre la place aux lecteurs. Ce phénomène gagne de l’ampleur à mesure que ces mêmes lecteurs s’engouffrent allègrement dans la brèche créée par les « médias sociaux ». Affranchi de l’engeance du plan média et des canaux traditionnels de diffusion et de partage de l’information, le lecteur tisse ses propres relations avec les œuvres qui lui sont présentées tantôt par affinité, recommandation, ou bouche à oreille électronique. Il/elle tisse également ses propres liens avec d’autres lecteurs dont il/elle partage les goûts et les lectures.

Demain, au cœur de l’économie numérique du livre, le lecteur s’impose comme le pivot de l’ensemble du secteur de l’édition.
Il se manifeste sous la forme de trois « avatars » :
— l’éditeur,
— l’auteur,
— le libraire.
Ces trois types de lecteurs seront les grands vainqueurs de la métamorphose numérique du livre. Dans un paysage technologique permettant la publication à des coûts marginaux et en offrant une personnalisation accrue, les lecteurs disposent de tous les outils nécessaires pour numériser l’œuvre, la conditionner, la diffuser en mode libre ou restreint, lui faire de la publicité localisée, massive ou confidentielle, l’intégrer dans un univers créatif et imaginaire, ou dans un univers technique et référencé. Le lecteur devient roi, et l’univers du livre lui est rendu dans toute sa dimension littéraire.

Mais résistons un instant à l’idéalisme technophile de cette approche visionnaire et revenons à des contingences plus immédiates.
On pourrait croire que les trois formes sont trois fonctions que le lecteur peut occuper tour à tour et devenir ainsi homme-orchestre du livre. Mais c’est oublier que ces formes ne sont pas que des rôles, elles sont aussi des passions et par extension des métiers. Il est probable que nous verrons dans l’économie numérique du livre apparaître des prodiges capables à la fois de produire une littérature de qualité, éditer par goût et avec intelligence la littérature des autres et ajouter à cela une grande capacité à organiser la vente numérique et/ou physique des ouvrages auprès du plus grand nombre. Ces prodiges seront fort heureusement rares. Mais il sera moins rare de rencontrer des auteurs-éditeurs ou des éditeur-libraires, ou même des auteurs-libraires. Pour rester pragmatique disons que l’édition est une affaire de collaboration(s). Car ce qui relient les trois facettes du lecteur, c’est la capacité imaginative et c’est aussi là dessus que s’articule le sens de toute entreprise. Se pose alors la question des moyens dont disposent les lecteurs pour construire cette économie nouvelle ?

Les équipements d’impression à la demande existent et sont développés depuis plus de dix ans par les plus grandes enseignes de la reprographie.
Nombre de prestataires d’impression proposent depuis plusieurs années déjà des services à des tarifs très compétitifs des impressions en petits tirages, voire en tirages uniques. Le Web 2.0 offre une panoplie d’outils intégrés (CMS) pouvant servir aussi bien de plate-forme de vente, de site de divulgation, de blog(s) et/ou de vitrine. Et les médias sociaux ouvrent des possibilités incontestées pour générer du bruit, des effets d’annonce, des communications virales et toutes sortes d’initiatives qu’il est déjà impossible de les consigner toutes. C’est à ces possibilités que s’attaquent aujourd’hui les lecteurs, c’est-à-dire une foule d’éditeurs indépendants, de libraires atypiques, d’auteurs visionnaires et d’excentriques en tous genres… Et les groupes financiers ne seront pas absents de cette recomposition à condition de calibrer autrement leur offre à la fois dans sa nature et dans sa complémentarité avec le travail des lecteurs.

Cette révolution n’ira pas sans résistances. Nous connaissons déjà celle des détenteurs de droits.
J’en ai parlé dans le premier billet de cette série. Et d’autres résistances sont à prévoir. Elles viendront à la fois de la nature conservatrice des institutions publiques en charge de valoriser et de défendre le patrimoine culturel. Elles viendront également des sociétés et syndicats civils ayant pour mission d’agréger les composantes professionnelles du secteur qui ne pourront que se cristalliser sur les méthodes traditionnelles et sur les codes en vigueur.
En même temps qu’ils devront s’approprier les outils et les espaces de travail, les lecteurs devront également convertir les institutions et les associations professionnelles. Par cette conversion à l’économie numérique du livre, il sera possible d’envisager une transformation des dispositifs de subventions, des mécanismes d’aide et des conventions de conservation et  de dépôt. Le plus difficile sera naturellement un chantier âpre concernant les droits de propriété intellectuelle.

Le processus que je décris ici n’est pas de l’ordre de la prospective. Il est déjà à l’œuvre partout. Les réactions françaises tant de la part des maisons d’édition que des institutions sont la preuve manifeste que la transformation a débuté. Mais pour l’instant, la mutation se fait un peu dans la douleur et le bébé a bien l’air de se présenter assez mal. Rien n’est perdu et les agitations et manœuvres guerrières des mastodontes de l’informatique et du Réseau ne peuvent absolument rien contre la barrière naturelle de tous les patrimoines culturels : celle de la langue. Il y a donc encore du temps pour mettre en place les articulations nécessaires à une révolution en douceur et profitable pour tous.

Le livre est une affaire de lecteur(s).
Pendant une courte période (moins d’un siècle), les marchands ont crû pouvoir s’approprier le livre comme objet d’une économie de masse. Les avantages notables et bénéfiques ont été de permettre une éducation et une information de masse. Mais les effets pervers ont été nombreux et indésirables. Avec l’explosion numérique, le livre cesse de nouveau d’être une affaire de comptables et de commerçants pour redevenir une affaire de lecteur(s). Il n’y a rien à déplorer dans ces mutations successives. Elles apportent toutes leur lot de bénéfices. Il faut en revanche, le moment venu, les accepter sans se crisper, ni tenter de s’enchaîner au passé. Comme lors d’un deuil, il faudra lâcher prise et tourner la page.


N.B. : Dans ce billet, j’ai employé très (trop) souvent le masculin pour désigner le lecteur et ses avatars. Cela n’est pas la marque d’un caractère sexiste, mais la triste réalité d’une langue et d’une culture. Je reconnais volontiers le rôle majeur des femmes dans l’univers du livre, dans toutes les formes de la lectrice et dans toutes les langues que j’ai la chance de comprendre. Je compte sur leur bienveillance et leur indulgence.

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