OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les chinoiseries des fabricants de jouets http://owni.fr/2011/12/19/les-chinoiseries-des-fabricants-de-jouets/ http://owni.fr/2011/12/19/les-chinoiseries-des-fabricants-de-jouets/#comments Mon, 19 Dec 2011 11:27:18 +0000 Fabien Soyez http://owni.fr/?p=90897

Comme Mattel, la Walt Disney Company (WDC) a recours à des sous-traitants pour fabriquer les jouets à l’effigie de Mickey. Et dans pareil cas, Disney délègue sa responsabilité sociale à ses sous-traitants. Ceux-ci doivent s’engager à faire respecter, dans les usines qu’ils démarchent, un code de conduite propre à la WDC, intégré dans les contrats de licence et d’approvisionnement passés par le groupe.

Mattel et Disney fêtent Noël en Chine

Mattel et Disney fêtent Noël en Chine

Salaires de misère, amendes punitives, quatorze heures de travail par jour, six jours par semaine. Discrimination et ...


Ainsi, les fabricants “n’utiliseront pas” le travail infantile, le travail involontaire ou forcé, “traiteront chaque salarié avec dignité et respect”, “offriront un lieu de travail salubre et non-dangereux”, respecteront “au minimum” les lois en vigueur concernant les salaires et la durée du temps de travail, et ils respecteront le “droit des salariés à s’associer et à négocier collectivement”. Disney est associée à lInternational Council of Toy Industries (ICTI), mais possède sa propre équipe dédiée, The International Labor Standard (ILS), une équipe de juristes qui assure avoir commandité plusieurs milliers d’audits “maison” chez les fournisseurs de l’entreprise.

Chez Disney, on minimise : “Dans ces usines (Hung Hing et Sturdy Products), nos produits ne représentent que 5% de la production. Nous ne sommes pas les seuls clients de ces fournisseurs.” Et d’ajouter, agacés : “Comme par hasard, ces enquêtes sortent à la veille de Noël, elles ont été faites pendant la pleine saison… Je serais curieuse de voir la même étude pendant la période creuse. Mais nous ne cherchons pas d’excuse, bien sûr.’”

Depuis 2005, l’ONG Students & Scholars Against Corporate Misbehaviour (Sacom) a mené une dizaine d’enquêtes sur les usines sous-traitantes de Disney. “Nos rapports prouvent que les audits de Disney sont tout aussi inefficaces que ceux de l’ICTI”, affirme Debby Chan. A l’association Peuples Solidaires, Fanny Gallois s’interroge :

Comment nous faire croire que Disney arrive à faire respecter son code de conduite à des détenteurs de licence que l’entreprise connaît à peine ? Avec son système de licences, Disney sous-traite tellement qu’il n’est plus capable de remonter la chaîne d’approvisionnement, et de la maitriser.

Fanny Gallois décrit le système : “quand un scandale éclate, comme ici avec On Tay Toys ou Sturdy Products, Disney doit d’abord retrouver le nom du sous-traitant avant celui de l’usine, car elle ne possède pas la liste des usines.” Nathalie Dray, directrice de la communication corporate pour Walt Disney France, reconnaît :

C’est très compliqué de contrôler à 100% notre chaîne de production, il faut que les détenteurs de licence jouent le jeu. Mais on essaie de faire au mieux et on les pousse à mettre les usines en conformité.

Code de conduite

Grand classique de la communication de crise, les différents géants du jouet interrogés répondent tous peu ou prou la même chose : “Nous prenons le cas de ces usines très au sérieux”, lancent en chœur Disney et Mattel, qui précisent avoir demandé à leurs sous-traitants de “vérifier” les informations de la Sacom, avant de “prendre des mesures”.

Sur le site de On Tai Toys, les ouvriers fabriquent également les fameux Lego Books, des livres illustrés sur l’univers des briques à plot. Ces Lego Books sont distribués depuis douze ans pour Lego par un détenteur de licence, Dorling Kindersley (DK). Une bonne excuse pour Lego, qui minimise : “Nous avons demandé à DK de faire une enquête sur On Tai Toys. Par ailleurs, nous ne produisons que 10% de nos briques en Chine, dans des usines en relation très étroite avec nous. Ces usines et celles utilisées par nos détenteurs de licence sont régulièrement contrôlées par des cabinets d’audit accrédités par l’ICTI. Nous prenons tout cela très au sérieux et en cas de violation de notre code de conduite, nous pouvons aller jusqu’à la rupture des relations commerciales avec les usines concernées, mais en tout dernier recours“, explique Charlotte Simonsen, porte-parole du groupe danois.

Mattel, qui se contente de fournir aux journalistes ses statements et refuse “les interviews one to one”, rappelle que “depuis plus de 15 ans“, l’entreprise utilise un système de contrôle indépendant dans ses usines, avec un code de conduite “des plus exigeants”, et collabore activement avec l’ICTI “pour améliorer sans cesse les conditions de travail dans les usines.”

Tout va bien dans le meilleur des mondes. Après avoir “mené sa propre enquête”, Mattel considère le suicide de l’ouvrière de l’usine Sturdy Products Nianzhen Hu, comme un “incident tragique, mais isolé.” Et de préciser que “l’audit n’a trouvé aucune preuve de dépassement d’horaires imposés”, et que les ouvriers ayant dépassé la limite d’heures supplémentaires durant l’été “pouvaient refuser de les effectuer”.

Solution de survie

À la Sacom, Debby Chan demande aux géants du jouet de “prendre leurs responsabilités, et de ne plus lancer de promesses en l’air après chaque scandale : c’est à eux de changer leurs pratiques d’achat, la pression que Disney ou Mattel exercent sur les fournisseurs pour obtenir des prix toujours plus bas, les pousse à violer les lois du travail.” Les multinationales, exigeant des producteurs des délais de livraison “de plus en plus courts”, inciteraient les usines à fabriquer vite, quitte à ne pas respecter les codes de conduites.

“Les sous-traitants ont le couteau sous la gorge, exploiter les ouvriers devient presque pour eux une solution de survie !”, lance Marie-Claude Hessler, qui demande aux multinationales d’augmenter le prix à la commande, pour “permettre aux fournisseurs de payer un salaire décent aux ouvriers.” A Disney, on répond tout de go : “Nous ne sommes pas des donneurs d’ordres, ce sont nos licenciés qui passent les commandes, et nous on ne va pas leur imposer quoi que ce soit.” Qui sont ces détenteurs de licence ? “Nous ne révélerons pas la liste de nos sous-traitants, de nos fournisseurs et de nos licenciés“, répondent Disney et Mattel. À la Sacom, Debby Chan soupire :

Les géants du jouet ne jouent pas le jeu. S’ils rendaient publiques les listes de leurs fournisseurs, comme Nike, Adidas ou Puma l’ont fait avant elles, les organisations civiles pourraient au moins renforcer leur surveillance et pousser les usines à adopter une meilleure conduite.

Pour le moment, parmi les géants du jouet, seul l’éditeur du Monopoly, Hasbro, publie sur son site internet la liste de ses fournisseurs en Chine. Des usines situées sans surprise autour de Shenzhen et de Dongguan.

Ce que les ONG réclament, c’est aussi une “nouvelle organisation”, autre que l’ICTI, qui travaillerait en étroite collaboration avec les fournisseurs et les associations, pour pousser le gouvernement chinois et les usines à garantir aux ouvriers une “réelle liberté syndicale”. En Chine, pays qui n’a pas adhéré aux normes fondamentales de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) sur la liberté d’association et de négociation collective, le système est celui du syndicat unique. “Les syndicats qui existent dans les usines sont assujettis au syndicat unique, qui est lui même soumis à l’État et au parti communiste”, explique Anthony Jin, qui a dirigé une entreprise en Chine pendant cinq ans.

La Fédération syndicale de Chine (ACFTU) donne une illusion de liberté syndicale, mais en réalité c’est une façade. L’ACFTU est le syndicat des patrons, il fait le lien entre les ouvriers et la direction, mais il ne permet pas aux ouvriers de défendre leurs droits, qui ne peuvent pas former eux mêmes le syndicat de leur choix.

D’après Anthony Jin, “le gouvernement chinois a peur des revendications collectives, il se souvient de l’URSS et de Solidarnosc.” Pour Debby Chan, de la Sacom, il revient aux multinationales comme Mattel ou Disney de faire pression sur le gouvernement chinois. A Disney, Nathalie Dray constate : “Isolément, nous n’avons pas de poids, pour faire changer les choses au niveau du gouvernement chinois, nous ne pouvons nous reposer que sur l’ICTI, c’est au travers de la Fédération que nous pourrons négocier.”

D’ici là, la Sacom, qui ne fait “aucunement confiance en l’ICTI” et demande donc la création d’une nouvelle Fédération, propose une alternative : la mise en place dans les usines de “comités d’ouvriers”, qui ne sont pas mentionnés dans la loi chinoise. “C’est une zone grise, ces comités peuvent donc être créés, en théorie.” Dans deux usines sous-traitantes de Disney, “les ouvriers ont pu élire des représentants, grâce à la pression de Disney. Il ne s’agit pas de vrais syndicats, mais c’est déjà un progrès”, lance Debby Chan.


Photos sous licences Creative Commons via Flickr : source

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Mattel et Disney fêtent Noël en Chine http://owni.fr/2011/12/19/mattel-disney-noel-chine-usine-jouets/ http://owni.fr/2011/12/19/mattel-disney-noel-chine-usine-jouets/#comments Mon, 19 Dec 2011 07:35:01 +0000 Fabien Soyez http://owni.fr/?p=90241 Les ménages français dépenseront en moyenne 67 euros en jouets pour ces fêtes de Noël. Toupies Beyblade, Zhu Zhu Pets et voitures télécommandées Cars 2 devraient être les jouets vedettes de ces fêtes. Mais dans les coulisses, se profile un tableau moins joyeux. Celui de la production des jouets en question. Ce marché du jouet qui connaît peu la crise. Il pèse 80 milliards de dollars sur le plan mondial, 3 058 millions d’euros en France. Pas de chance pour les majors du secteur, un rapport sur les conditions de travail dans l’industrie du jouet en Chine accable particulièrement Disney et Mattel.

Les chinoiseries des fabricants de jouets

Les chinoiseries des fabricants de jouets

Mattel, Lego ou Disney profitent allègrement des terribles conditions de travail imposées dans les usines chinoises où ...


Entre mai et octobre, quand les usines de jouets tournent à plein régime en vue des fêtes de Noël, une association d’universitaires basée à Hong Kong, la Sacom, et l’organisation China Labor Watch (CLW), ont mené une enquête approfondie chez plusieurs sous-traitants de ces multinationales.

Salaires payés en retard, heures supplémentaires obligatoires, privation de jours de repos, interdiction de parler ou de se rendre aux toilettes, amendes punitives, discrimination sexuelle, harcèlement au travail : l’enquête révèle une liste impressionnante d’abus et de violations de principes fondamentaux. Les responsables de Disney et Mattel que nous avons contactés ont cherché à relativiser les résultats de ces travaux , en citant les audits qu’ils affirment réaliser sur le sérieux de leurs sous-traitants en Chine (lire notre enquête sur ce point).

Trois Barbie vendues par secondes

L’industrie du jouet en Chine, ce sont 4 millions d’ouvriers, qui produisent 80% des jouets vendus à travers le monde, 90% des jouets importés en Europe. 60% de ceux importés en France. 4 000 usines chinoises travaillent pour les sous-traitants de Mattel et Disney. 70% de ces usines se situent en Chine du Sud, près de la côte, dans le delta de la Rivière des Perles, une “zone économique spéciale“, sorte d’arrière-pays de Hong-Kong.

Barbie à la chaîne

En 2001 déjà, un rapport du Hong Kong Christian Industrial Committee (HKCIC) y dénonçait des conditions de travail “infernales”, épinglant sans ménagement Hasbro, McDonald’s, Disney et Mattel. “Dix ans plus tard, rien n’a vraiment changé, malgré quelques améliorations minimes”, déplore Debby Chan, chef de projet à la Sacom.

Premier géant du jouet pointé du doigt : Mattel. Chaque année, le leader mondial du jouet commercialise des millions de poupées Barbie (trois par seconde) fabriquées à 80% en Chine. Sur le site de Sturdy Products, à Shenzhen, on ne fabrique pas la célèbre poupée, mais des voitures miniatures, qui s’arracheront probablement à Noël : les Hot Wheels. Dans l’usine chinoise, déjà dénoncée par la Sacom en 2007, quelque 6 000 ouvriers travaillent d’arrache-pied, 12h par jour, 6 jours par semaine, pour des salaires ridiculement bas. Selon la Sacom :

Les salaires sont maintenus à des niveaux extrêmement bas, à cause des quotas de production qui sont presque impossibles à remplir.

Dans cette fabrique, qui a exporté en 2010 plus de 30 millions de dollars de jouets, les ouvriers touchent 154 euros par mois, le salaire minimum. En effectuant des heures supplémentaires, ils peuvent espérer atteindre 327 euros. Pour cela, le maximum légal de 36 heures supplémentaires par mois est allégrement dépassé. Les ouvriers de Sturdy Products ont ainsi effectué, l’été dernier, pendant la “haute saison”, entre 100 et 120 heures supplémentaires par mois, comme le prouvent des fiches de paie que s’est procurée la Sacom.

Une voiture Hotwheels, beaucoup d'heures supplémentaires

Au moment de l’embauche, certains ouvriers affirment avoir été poussés à signer un document les engageant à travailler au delà du maximum légal. Debby Chan, de la Sacom, décrit des conditions de travail “indignes”, proches de “l’enfer” :

Les ouvriers, des femmes le plus souvent, sont harcelés et insultés en permanence par leurs patrons. Les cadences de travail sont excessives, il faut produire beaucoup en peu de temps. Il y a de graves négligences en matière de sécurité du travail. Les ouvrières utilisent des produits chimiques dangereux, des diluants, des colles, du plomb. Des masques chirurgicaux leur sont fournis, mais ils sont inefficaces pour les protéger des vapeurs toxiques. Récemment, deux ouvrières ont dû être hospitalisées, mais elles n’ont reçu aucune compensation de la part de leurs employeurs.

D’après l’enquête de l’ONG, l’usine de Shenzhen aurait employé plusieurs enfants âgés de 14 à 15 ans. En mai 2011, Nianzhen Hu, une ouvrière de l’usine, s’est suicidée en sautant du sixième étage de l’usine. Selon sa famille, elle était souvent “réprimandée” par la direction “parce qu’elle n’était pas assez efficace”. On lui avait ordonné, en guise de punition, de ne pas venir travailler.

Audits inefficaces

Depuis 2006, l’usine est pourtant régulièrement certifiée décente” par la Fédération Internationale des Industries du Jouet (ICTI). Depuis dix ans, l’ICTI effectue des audits sociaux dans plus de 2 400 usines chinoises. Destiné à “promouvoir une fabrication éthique”, le “Care Process” de l’ICTI repose sur un code de pratiques commerciales” imposé aux sous-traitants de multinationales membres, comme Mattel, qui interdit le travail des enfants et édicte une série de “règles de bonnes conduites” à respecter : “environnement de travail sûr“, “assistante médicale en cas d’urgence”, congés maladie, etc.

Disney Store Toys

Un rayon de peluches au Disney Store des Champs Elysées. Tous ces jouets sont "made in China".

Marie-Claude Hessler, ancienne juriste d’Amnesty International, est actionnaire minoritaire de Mattel. À chaque assemblée générale, en mai à Los Angeles, elle prend la parole et pose aux dirigeants des questions qui fâchent. Les audits de l’ICTI, l’ex-juriste les considère comme “de la poudre aux yeux.”

Les inspecteurs de l’ICTI viennent d’Europe ou des Etats-Unis, sans vraie connaissance du terrain. Ils sont très faciles à leurrer. Et quand la Fédération fait appel à des compagnies d’audit externes, régulièrement, des usines se plaignent de la corruption des inspecteurs, qui leur réclament de l’argent contre une certification.

Les ONG dénoncent des audits sociaux inefficaces, inutiles. Feng Yu, 21 ans, a travaillé pendant trois ans dans plusieurs usines de jouets à Shenzhen. Elle raconte : “Avant les contrôles, on nous réunissait dans une salle, et on nous expliquait les questions que l’on allait nous poser, et surtout ce qu’il fallait répondre aux inspecteurs.” A Sturdy Products, la Sacom reporte même le cas d’ouvriers payés pour mentir lors des audits. Debby Chan ne se fait aucune illusion :

Dans la pratique, les directeurs d’usines sont informés à l’avance de l’arrivée des inspecteurs, ils ont le temps de faire le grand ménage, de cacher les produits chimiques, de faire partir les enfants, de fabriquer de faux contrats de travail, de fausses fiches de paie. C’est tout un cinéma qui est mis en place pour tromper les inspecteurs.

Marie-Claude Hessler déplore l’attitude de Mattel et d’autres géants du jouet, comme Disney, qui “se reposent de plus en plus sur les audits de l’ICTI, avant de mener leurs propres vérifications.” En 1997, Mattel avait monté une cellule d’experts indépendants, qui visitaient les usines tous les trois ans, faisant respecter le code de conduite de l’entreprise. “A l’époque, l’entreprise avait un PDG un peu avant-gardiste, mais depuis qu’il a été remplacé, Mattel a supprimé cette commission indépendante et se cache derrière l’ICTI, se bornant à publier de temps en temps les rapports de la Fédération”, lance Marie-Claude Hessler. L’ancienne juriste déplore l’attitude de l’ICTI : “Pour l’industrie du jouet, les audits doivent rester inefficaces… ça rapporte beaucoup trop.”

Interrogé par OWNI, le président de l’ICTI Care Process, Christian Ewert, n’apprécie pas. “Le but de notre Code de conduite est d’assurer un traitement équitable des ouvriers des usines de jouets, dans le monde entier. Quand une usine ne respecte pas le code, nous veillons à ce qu’elle corrige le tir. Nos contrôles sont quant à eux d’une grande qualité “ Et de tirer à boulets rouges sur la Sacom :

La Sacom n’est vraiment pas gentille avec l’ICTI Care Process. Ces dernières années, elle n’a cessé de nous critiquer, n’a jamais donné de crédit à nos actions, et refuse de nous rencontrer. Nous sommes pourtant ouverts au dialogue, acceptons les enquêtes des ONG, et agissons dès que les résultats de ces enquêtes nous sont communiqués, ou lorsqu’un ouvrier nous contacte pour dénoncer son usine. Notre travail se fait dans la durée, il prend du temps, et chaque année les choses vont de mieux en mieux.

30 heures de travail ininterrompues

Également pointée du doigt, la Walt Disney Company. À Sturdy Products, les ouvriers chinois produisent ses petites voitures à l’effigie de Flash McQueen, héros de Cars. Dans son dernier rapport, la Sacom se penche aussi sur la situation à On Tai Toys et Hung Hing Printing, deux usines nichées dans le delta de la Rivière des Perles. Les figurines Buzz l’Eclair, les albums de coloriage Disney sortent chaque hiver de ces fabriques, où les ouvriers travaillent entre 12 et 14 heures par jour, dans des conditions dangereuses.

Dans l’usine de On Tai Toys, les ouvriers manipulent ainsi des produits chimiques sans étiquettes, et sans moyens de protection (gants, masques). Ils dorment à l’usine, dans des dortoirs minuscules, envahis par les rats et les insectes. Le logement et la cantine, 40 euros en tout, sont retenus sur les salaires des ouvriers. A Hung Hing, l’une des 30 usines chinoises comptant le plus d’accidents de travail, les blessures sont monnaie courante, et les salaires sont payés avec trois semaines voire un mois de retard.

OWNI a contacté les différentes usines concernées, souvent en vain. À On Tai Toys, “on ne répond pas aux journalistes”, lance froidement un responsable de l’usine. A Sturdy Products, Damon Chan, l’un des responsables de l’usine, demande très poliment un peu de temps avant de répondre (OWNI attend toujours sa réponse), mais indique “prendre cette affaire, sujet très sensible à Sturdy Products, très au sérieux.”

Seule véritable réaction, celle du directeur général de Hung Hing Printing Group, Dennis Wong, qui justifie le dépassement des heures supplémentaires par des salaires de base “insuffisants pour vivre : les ouvriers ne peuvent gagner plus de 154 euros par mois, ils ont besoin de ces heures supplémentaires.” Entre juin et octobre, pendant la haute saison, des ouvriers de Hung Hing ont effectué jusqu’à 100 heures supplémentaires par mois, certains jusqu’à 30 heures interrompues, uniquement pour “honorer les délais d’une commande.”


Photos sous licences Creative Commons via Flickr : source et photo du Disney Store au mobile par Fabien Soyez

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Mickey retourne la CGT http://owni.fr/2011/11/22/mickey-retourne-la-cgt/ http://owni.fr/2011/11/22/mickey-retourne-la-cgt/#comments Tue, 22 Nov 2011 14:46:57 +0000 Alexandre Marchand et Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=87788

Le malaise social persistant à Disneyland Paris pourrait trouver son origine dans les relations singulières que le groupe semble entretenir avec les syndicats. Au cours de notre enquête, nos interlocuteurs nous ont plusieurs fois alerté sur l’entente cordiale qui régnerait entre des syndicats majoritaires et la direction, malgré les multiples dysfonctionnements soulevés par des audits sociaux.

Magie des négociations

Un accord sur le stress au travail et les risques psychosociaux a été ratifié le 1er septembre dernier. Moins que le contenu de l’accord, ce sont les modalités de sa ratification qui font l’objet d’interrogations chez UNSA et FO, non signataires. Plusieurs responsables se sont étonnés de la reprise des négociations après des mois de blocage. Patrick Maldidier, responsable du syndicat UNSA, non signataire, raconte :

Les négociations ont duré longtemps sur l’accord portant sur le stress et les risques psychosociaux car personne ne signait. D’un coup, la CFTC [seul signataire d'une première version au mois de juin NDLR], qui ne peut décider sans une majorité de syndicats, a demandé la réouverture des négociations. Le 1er septembre, une version très proche, à la virgule près, du dernier accord refusé en juin est déposée sur la table. Et là, surprise, sans que l’on ait ouvert une quelconque négociation, plusieurs délégués syndicaux procèdent aux signatures. Comme une séance de dédicaces. Plus tard, un délégué syndical m’a raconté qu’il avait appris le matin du 1er septembre qu’il signait l’accord…

Ce «nouvel» accord est signé par quatre syndicats représentant plus de 50% des salariés, il est par conséquent inattaquable.

De son côté, Disneyland le considère comme «équilibré» comme l’expliquait Karine Raynaud, directrice des relations sociales à AEF, une agence de presse spécialisée en droit du travail :

En juin 2011, la direction comme les organisations syndicales avaient sans doute besoin de marquer un temps de pause pour prendre le recul nécessaire afin de passer outre cette situation de blocage apparente. J’ai compris, lors de mes entretiens bilatéraux, au cours de l’été, que nous avions la possibilité d’aboutir en avançant sur ce point [la question de la formation nldr]. Avec quatre organisations syndicales signataires, représentant 65% des suffrages au cours des dernières élections, nous avons conclu un accord équilibré.

La signature de la CGT

Le retournement de situation début septembre avec la signature de l’accord suppose un revirement de la part de responsables syndicaux, CGT en tête. À en croire certains salariés, la CGT serait le syndicat le plus proche de la direction si l’on comptabilisait le nombre total d’accords qu’elle a ratifié ces dernières années. Comme le confirme David Charpentier de Force Ouvrière :

Je n’ai pas souvenir d’un accord sur les quatre-cinq dernières années que la CGT n’ait pas signé. L’entreprise veut une paix sociale facile mais surtout le silence autour de ce qui se fait en interne.

Contacté à ce sujet, les représentants CGT de Disney n’ont pas répondu à nos sollicitations. Pour sa part, Patrick Maldidier de l’UNSA, déplore une situation sociale qui «s’est aggravée depuis les trois suicides de 2010» sans que les syndicats, qu’il juge trop proche de la direction du parc puissent jouer un vrai rôle :

On raconte qu’il y a des liens. Je pense que c’est vrai.

250 000 euros

La même CGT apparaît impliqué dans une obscure affaire de malversations, faisant toujours l’objet d’une instruction judiciaire. Ainsi au mois de mai 2009, la direction de l’entreprise a gracieusement récompensé le comité d’entreprise pour sa “bonne gestion financière” de deux gros chèques de 250 000 euros chacun, à l’occasion de la signature d’un “accord atypique”. Bémol, le comité d’entreprise de Disney avait une fâcheuse tendance à perdre de l’argent en 2009. Et une partie de ces 500 000 euros auraient disparu sans laisser trop de justificatifs.

Au moment des faits, le délégué syndical de la CGT, Amadou N’Diaye (qui n’a pas répondu à nos demandes), occupait le poste de secrétaire général du comité d’entreprise. Ce même responsable syndical a été mis en examen dans une autre affaire financière. Il est soupçonné, avec un autre salarié, d’avoir détourné quelques 300 000 euros à travers une manipulation du système informatique de billetterie, entre 2006 et 2009. Selon le document de l’expert judiciaire chargé de déterminé l’origine de la fraude, dont OWNI s’est procuré une copie (voir ci-dessous) précisait dans son rapport au tribunal :

Le mode opératoire de cette affaire relève d’un dysfonctionnement systémique. C’est toute la chaîne de responsabilité qui aura permis l’infraction et non seulement le maillon informatique.


Photo par Lord Jim [cc-by] et illustration par Christopher Dombres [cc-by] via Flickr
Illustration par Loguy pour Owni /-)

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La magie noire de Disneyland Paris http://owni.fr/2011/11/22/la-magie-noire-de-disneyland/ http://owni.fr/2011/11/22/la-magie-noire-de-disneyland/#comments Tue, 22 Nov 2011 13:42:05 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=87785

Le 26 septembre dernier, Disneyland Paris se félicitait d’avoir signé avec les syndicats un accord pour mieux gérer les risques psychologiques touchant les 14 700 employés du parc d’attraction. Un message rassurant, adressé aux rédactions, pour faire oublier les trois suicides de salariés survenus au printemps 2010. Depuis, de saines relations de travail auraient été rétablies. Pas si sûr. L’enquête que nous avons menée sur place met en évidence des relations de travail souvent exécrables, au moins jusqu’en 2011, et de curieuses accointances entre syndicats et direction.

Selon un rapport interne confidentiel, daté de mai 2011 et dont nous avons obtenu une copie (voir plus bas), les relations entre salariés et direction sont marquées par une forme d’agressivité systématique. Et les situations décrites évoquent, régulièrement, des pratiques s’apparentant à du harcèlement moral.

Ce document de 32 pages synthétise deux audits réalisés par le cabinet MCS et par le cabinet Hay Group, et effectués quelques mois après le drame de 2010, à la demande de la direction du parc de Marne-la-Vallée et de la direction du groupe (la Walt Disney Company). Plus de 50% des salariés ont été interrogés dans ce cadre de ces études. Objet : évaluer les «facteurs socio-organisationnels du stress au travail». Cette synthèse n’a été diffusée dans son intégralité qu’aux principaux responsables du parc et aux membres de son comité d’entreprise.

Salariés surchargés et non soutenus

En premier lieu, le document mentionne des sentiments positifs, exprimés par les salariés. Comme la «fierté d’appartenir à l’entreprise» et la «bonne ambiance». Mais plusieurs critiques multiplient les ombres au tableau.

L’un des enseignements des deux études porte sur le fait que les salariés ont le sentiment fort d’une surcharge de travail, et ce à l’unanimité (…) Par ailleurs, parallèlement à la surcharge, il règne un sentiment d’injustice par rapport à la manière dont le travail est réparti (…) L’une des conséquences directes de cette surcharge est un ressenti important d’un déséquilibre entre vie privée / vie professionnelle (…) Moins d’un collaborateur sur deux considèrent que son manager direct l’aide à atteindre un équilibre raisonnable entre vie privée / vie professionnelle.

Pire encore, le niveau de concentration requise pour l’exécution des tâches est vécu comme une souffrance à l’unanimité, selon les auteurs du document, et cela tous statuts confondus. C’est également tous statuts confondus et à l’unanimité que les salariés ont l’impression que la direction générale n’aurait pas conscience de la réalité du terrain.

Enfin, les employés Disney dénoncent de façon récurrente une forme de copinage qui permet à certains de progresser dans l’entreprise. À en croire le document, le fait d’entretenir de «bonnes relations avec les managers» assurerait des perspectives d’évolution de carrière ainsi que d’obtention de bonus.

Un océan

Face à ces dysfonctionnements, un accord sur les risques psychosociaux a été ratifié le 1er septembre par une majorité de syndicats, mais après douze réunions réparties sur 18 mois. Celui-là même à l’origine du communiqué rassurant émis par Disneyland Paris le 26 septembre. Ce texte d’une vingtaine de pages redéfinit les rôles de chaque personne pour prévenir les risques de suicide, accentue la formation, la prévention et définit des sanctions en cas de harcèlement. Des mesures très insuffisantes pour Patrick Maldidier, responsable de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), qui a refusé de signer cet accord :

Il y a un océan entre l’accord que nous avons proposé et celui qui a été signé. La situation sociale est encore pire qu’avant (…) Rien n’a été fait pour permettre aux salariés d’arriver dans de bonnes conditions le matin en allant au travail.

Pas de crèche pour les bébés Disney

Selon lui, les problèmes du stress au travail ne sont pas «réglés à la racine». Tandis que des problèmes logistiques importants pèsent au quotidien. Par exemple en matière de logement :

La plupart des logements du parc sont réservés aux saisonniers. Alors les permanents doivent acheter ou louer dans la région mais les coûts sont surélevés. Les niveaux de salaires sont très bas puisque la moyenne des salaires est de 200 euros de plus que le SMIC. La situation actuelle est catastrophique car, en se sédentarisant, on a du mal à payer un loyer avec un salaire bas.

Dans la même veine, on découvre que le groupe Disney aurait refusé d’installer une crèche d’entreprise, pour ses centaines de salariés qui ont des enfants en bas âge :

Ce n’est plus la même population qui a commencé, ils se sont mariés et ont eu des enfants. Alors naturellement, on a proposé la mise en place d’une crèche pour les salariés de l’entreprise mais il y a eu opposition de la part de la direction. Ils justifient leur refus en disant que «le coût est élevé» et qu’ils «ne pourront satisfaire tout le monde». Alors, autant ne rien faire pour personne. C’est hallucinant.

Contacté dans le cadre de cette enquête, Laurent Manologlou, responsable de la communication de Disneyland Paris, n’a pas souhaité être cité. Pour toute réponse à nos questions, il nous a transmis un texte de quelques lignes rédigé par la directrice des relations sociales de Disneyland Paris, Karine Raynaud, portant sur la négociation de l’accord de septembre :

Il faut bien avoir à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une négociation isolée, mais qu’elle s’inscrit dans un contexte de négociations intenses. En juin 2011, la direction comme les organisations syndicales avaient sans doute besoin de marquer un temps de pause pour prendre le recul nécessaire afin de passer outre cette situation de blocage apparente. Nous étions confrontés à des points de blocage forts, de la part de certains négociateurs, sur des sujets comme l’amélioration des dispositifs d’aide au logement ou encore la multiplication des crèches d’entreprise. Or ce sont des sujets sur lesquels nous menons d’autres négociations en parallèle, et surtout qui impliquent d’autres acteurs extérieurs à l’entreprise, comme les organismes collecteurs du 1% logement ou les collectivités territoriales. Autre point de désaccord sur lequel nous avons pu travailler, certains négociateurs considéraient que nous ne distinguions pas suffisamment ce qui relevait de démarches de sensibilisation et de démarches de formation. Nous avons remis à plat la question de la formation, que nous réservions initialement aux directeurs généraux et managers. J’ai compris, lors de mes entretiens bilatéraux, au cours de l’été, que nous avions la possibilité d’aboutir en avançant sur ce point. Avec quatre organisations syndicales signataires, représentant 65% des suffrages au cours des dernières élections, nous avons conclu un accord équilibré.


Photos et illustrations par Môsieur J [cc-by] et Ti.mo [cc-by-nc-sa] via Flickr

Crédit une Loguy pour OWNI

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Le procès Google http://owni.fr/2011/04/19/google-prud%e2%80%99hommes/ http://owni.fr/2011/04/19/google-prud%e2%80%99hommes/#comments Tue, 19 Apr 2011 15:39:42 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=57852 Le Conseil des Prud’hommes de Paris a jugé recevable les plaintes de deux cadres de Google France ; l’une pour licenciement abusif et l’autre pour incitation déloyale à la démission. Le Conseil des Prud’hommes vient de fixer les deux audiences au 21 septembre et au 18 novembre prochains. Contacté par Owni, l’avocat des deux plaignants, Lionel Paraire, a confirmé la réalité des deux procédures mais n’a pas voulu les commenter. Au siège de la société Google France, avenue de l’Opéra à Paris, la direction ne souhaite pas s’étendre sur le sujet. Sa porte-parole, Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, nous répond par une règle de communication maison :

Nous ne commentons aucune information de nature juridique.

Selon des éléments du dossier que nous avons consulté, l’une des plaintes provient de l’ancienne responsable commerciale de Google France. Cette dernière dirigeait le département commercial de Doubleclick, le géant des courtiers en publicité sur Internet, quand la société a été rachetée par Google en mars 2008 (pdf). Les quelque 25 salariés qu’employait Doubleclick en France ont alors intégré les équipes de Google. Avant que plusieurs d’entre eux se voient pousser vers la sortie. Les magistrats spécialisés en droit du travail devront déterminer s’il s’agit de manœuvres déloyales.

D’ici là, au Conseil des Prud’hommes de Paris, des juges laissent entendre que le management de Google se distingue par d’étranges pratiques. Ils citent le cas d’un ancien cadre de la direction des ressources humaines de Google France, David X., parti en 2009 avec de très substantiels dommages et intérêts, en contrepartie de l’abandon d’une procédure gênante pour le groupe. Nous avons retrouvé un document consacré à ce contentieux. Il s’agit d’un procès-verbal de conciliation du 16 juin 2009 entre Google France et ce cadre de la société, qui a longtemps exercé les fonctions de directeur des recrutements pour l’Europe.

Le document, signé par les représentants de Google, prévoit que la société s’engage à verser à ce membre de la direction des ressources humaines :

À titre de dommages et intérêts bruts pour réparation du préjudice subi par son licenciement 77.000 € brut.

Dans les archives du Conseil des Prud’hommes de Paris, l’épisode n’apparaît pas comme un cas isolé. Le 20 novembre 2008, les magistrats avaient condamné Google à verser 30 000 € à un ancien coordinateur des ventes, licencié pour des motifs assez mystérieux, à en croire ce jugement que nous nous sommes procurés.

Actuellement, près de 180 personnes travaillent chez Google France. Une peccadille comparée à l’activité du moteur de recherche dans l’espace francophone. L’essentiel des revenus tirés du marché hexagonal est maintenant géré par « plusieurs centaines de Français basés en Irlande, dans les sociétés irlandaises du groupe », selon la porte-parole de Google. Un pays dont les actionnaires apprécient “les performances” au plan du droit du travail. Et qui permet de transférer les bénéfices du groupe dans des paradis fiscaux, sans risquer de mauvais procès.


Photo flickr CC Steve Rhodes

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Modernisons l’emploi : abolissons les droits de l’Homme ! http://owni.fr/2010/11/11/modernisons-lemploi-abolissons-les-droits-de-lhomme/ http://owni.fr/2010/11/11/modernisons-lemploi-abolissons-les-droits-de-lhomme/#comments Thu, 11 Nov 2010 13:43:59 +0000 Actuchomage http://owni.fr/?p=37158 Article initialement publié sur :

sous le titre Et si on supprimait les Droits de l’Homme, tout simplement ?

Pourquoi s’emmerder avec des vieux textes qui nous autorisent à donner des leçons aux autres sans balayer devant notre porte, ou des conventions internationales qu’on signe pour ne pas les respecter ?

Telle est la question qu’a posé Patdu49 au Médiateur de la République

Boutade ? Oui, bien sûr. Pas question de revenir sur ces principes de civilisation dont nous sommes si fiers et qui, parfois, servent encore de garde-fou.

Mais au quotidien, quand on voit comment les élites politiques et économiques bafouent nos principes fondateurs en toute impunité, instillant ces multiples trahisons dans nos esprits jusqu’à les transformer en norme de société, quand on s’aperçoit que même le citoyen lambda ne s’offusque plus des coups de canif répétés dans notre contrat républicain, notre Constitution, nos chers Droits de l’Homme et nos conventions internationales, comment, au dégoût, ne succèderait pas un brin de dérision ?

Le travail : « devoir » des travailleurs mais pas des employeurs

L’alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris intégralement dans la Constitution du 4 octobre 1958, affirme que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Or, s’il est clair que travailler est un « devoir » — il est surtout, pour la majorité des actifs, l’unique moyen d’assurer sa subsistance —, le droit constitutionnel à « obtenir un emploi » est le seul à ne bénéficier d’aucune portée juridique dans un contexte où l’emploi est l’objet de destructions massives. En clair, si le chômeur a le devoir de travailler (ce que la loi n°2008-758 du 1er août 2008 lui rappelle), qu’il se démerde pour obtenir un emploi qui lui permette de vivre, puisque l’obligation de résultat se heurte à la non-obligation de moyens : le chômeur se doit toujours de travailler, tandis que l’Etat et les entreprises ont le droit de continuer à détruire des emplois et de ne plus en créer.

N’en déplaise à ceux qui voudraient en finir avec la protection sociale, l’alinéa 11 du même texte précise que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Cependant, les 8 millions de Français qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, les chômeurs en fin de droits qui survivent avec l’ASS, le RSA ou rien du tout, apprécieront le caractère « convenable » et hautement constitutionnel de ces « moyens d’existence »

Le 1er alinéa de l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 affirme le « droit au travail » et, aussitôt après, celui à la « protection contre le chômage » : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ». Les chômeurs non indemnisés, ceux que l’on oblige à accepter des emplois indignes, déclassés ou des formations non désirées sous peine de sanctions/radiation apprécieront également.

L’article 25 du même texte précise que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ». Pourtant, ici ou ailleurs, non seulement on s’assoit sur les conséquences de la crise — les chômeurs sont responsables de leur situation et, paraît-il, s’y complaisent —, mais il est question de renier ces principes fondateurs.

Le travail gratuit pour les chômeurs en Angleterre, « une excellente idée » pour Apparu

Voyez Benoist Apparu qui estime, avec un naturel confondant, que l’obligation faite aux chômeurs de longue durée britanniques de travailler gratuitement pour la collectivité constitue, en effet, « une excellente idée » car « mieux vaut travailler pour rien que de ne rien faire du tout »… Mais oui : il faut aider ces profiteurs de « l’Etat-providence » à « se réadapter au travail » ! Faute d’emplois rémunérés, profitons de la crise pour les faire bosser à l’œil (et laissons la Finance dégager des profits sur le dos des états endettés).

Or, ce petit secrétaire d’État oublie que la Grande-Bretagne, à l’instar de la France et de l’Allemagne (pays des jobs à 1 €), a signé le 25 juin 1957 la Convention sur l’abolition du travail forcé qui, dans son article Premier, précise :

« Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail qui ratifie la présente convention s’engage à supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n’y recourir sous aucune forme :
a)en tant que mesure de coercition ou d’éducation politique ou en tant que sanction à l’égard de personnes qui ont ou expriment certaines opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi
b) en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’oeuvre à des fins de développement économique [valable pour les contrats aidés]
c) en tant que mesure de discipline du travail [valable pour les chômeurs anglais]
d) en tant que punition pour avoir participé à des grèves
e) en tant que mesure de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse. [on peut retenir la discrimination sociale]

Benoist Apparu n’est pas le seul a être frappé d’amnésie : nombre de politiques, de droite comme de gauche, et de citoyens ordinaires ne s’indignent pas de la scandaleuse proposition du gouvernement britannique. Certains estiment même qu’il faudrait importer cette mesure quasi esclavagiste dans la patrie des Droits de l’Homme !

Qu’ils se rassurent, le principe existe déjà : Pôle Emploi propose des EMT (évaluations en milieu de travail) et des AFPR (actions de formation préalable au recrutement), soit des mini-formules de travail gratuit pour les employeurs qui ne veulent plus s’emmerder avec une période d’essai qu’il faut, hélas, rémunérer.

Enfin, certains estiment qu’il faut en finir avec ces gens qui sont payés pour ne pas travailler. Qu’en pense Christine Lagarde qui, en tant qu’élue du 12e arrondissement de Paris, touche 4.000 € brut par mois en faisant siège vide depuis deux ans et demi ?

Rompre avec les valeurs démodés de la justice et de l’égalité

Comme le propose notre ami Patdu49, finissons-en avec ces textes qui datent de Mathusalem et tous ces organismes qui les défendent mais ne servent à rien. Nous sommes au XXIe siècle, celui du tout-libéral, du tout-décomplexé, de la “rupture” : des valeurs du passé faisons table rase !

Tiens, par exemple, au lieu de conserver cette devise éculée sur le fronton de nos institutions — Liberté, Égalité, Fraternité — qui ne colle plus vraiment à la France d’aujourd’hui, si on mettait à la place :
• Corruption, Inégalité, Répression
• Travail, Famille, Patrie
• Copinage, Corporatisme, CAC40
• Stock options, Parachutes dorés, Jetons de présence, Rentes Immobilières ?

Ça en jetterait, non ?

Dans la foulée, enfin débarrassés de nos vieux préceptes, licencions un maximum de salariés, laissons-les mariner au chômage pendant un an minimum, et reprenons-les ensuite pour effectuer gratuitement des travaux d’intérêt général !

FlickR CC Sunny Ripert ; Des Temps Anciens ; George Eastman House.

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L’obsession de la flexibilité ? Un court-termisme économique dangereux http://owni.fr/2010/11/02/lobsession-de-la-flexibilite-un-court-termisme-economique-dangereux/ http://owni.fr/2010/11/02/lobsession-de-la-flexibilite-un-court-termisme-economique-dangereux/#comments Tue, 02 Nov 2010 10:39:12 +0000 Olivier Bouba-Olga http://owni.fr/?p=37067 Vous le savez tous : la France manque de flexibilité. Les commentateurs des rapports Ernst & Young sur l’attractivité de notre beau pays nous le disent tous les ans, ce qui leur permet de prédire la dégradation probable de notre situation pourtant flatteuse. Laurence Parisot idem, avec une formule inoubliable : « La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi? »

En réfléchissant un peu, l’argument semble imparable, un manque de flexibilité étant synonyme de réduction des choix : si jamais vous avez fait un mauvais choix, vous ne pourrez que plus difficilement vous en défaire ; l’agrégation de ces dysfonctionnements conduit à des performances plus faibles. Redonnons donc de la flexibilité, de la liberté, et tout ira bien mieux.

Sauf que ce type de raisonnement souffre d’un biais important : il suppose que les acteurs ne prennent pas en compte, avant de décider d’un comportement, de ces différences de flexibilité. Or, on peut supposer qu’il n’en est rien : les acteurs agissant dans un environnement plus rigide intègrent ce fait à leurs calculs, adoptent des comportements différents, ce qui peut influer sur leurs performances futures. L’évaluation ex post d’un dispositif législatif plus rigide ne suffit donc pas, il convient également d’en évaluer les conséquences ex ante.

C’est précisément l’analyse que déroulent trois économistes dans un document de travail du NBER qui vient juste de paraître. Il s’intitule « Labor laws and innovation ». Voici le résumé, suivi de ma traduction :

Abstract

Stringent labor laws can provide firms a commitment device to not punish short-run failures and thereby spur their employees to pursue value-enhancing innovative activities. Using patents and citations as proxies for innovation, we identify this effect by exploiting the time-series variation generated by staggered country-level changes in dismissal laws. We find that within a country, innovation and economic growth are fostered by stringent laws governing dismissal of employees, especially in the more innovation-intensive sectors. Firm-level tests within the United States that exploit a discontinuity generated by the passage of the federal Worker Adjustment and Retraining Notification Act confirm the cross-country evidence.

Ma traduction

Un droit du travail restrictif peut inciter les firmes à ne pas sanctionner les défaillances de court terme et donc les conduire à encourager leurs employés à poursuivre des activités innovantes créatrices de valeur. En utilisant des données sur les brevets et sur les citations d’articles pour rendre compte de l’activité d’innovation, nous analysons cet effet en exploitant des données temporelles qui nous renseignent sur les changements observés dans certains pays relatifs aux lois sur les licenciements. Nous montrons qu’au sein d’un pays, l’activité d’innovation et la croissance économique sont renforcées par des lois plus restrictives sur le licenciement, spécialement pour les secteurs les plus intensifs en innovation. Des tests réalisés au niveau des entreprises américaines, qui exploitent une discontinuité liée au passage au Worker Adjustment and Retraining Notification Act, confirment ce résultat.

Article publié originellement sur le blog d’Olivier Bouba-Olga sous le titre Vive la rigidité !

Photos FlickR CC Gerlos ; World Economic Forum.

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Mourir pour un iPad ? http://owni.fr/2010/05/28/mourir-pour-un-ipad/ http://owni.fr/2010/05/28/mourir-pour-un-ipad/#comments Fri, 28 May 2010 14:51:07 +0000 Arnaud Bihel (LES NOUVELLES news) http://owni.fr/?p=16840 Attention, voici venue l’ère de l’iPad. La tablette numérique d’Apple arrive à disposition des Européens vendredi 28 mai dans un grand élan de célébration médiatique. Mais tandis que des ONG profitent de ce symbole technologique pour mettre en question la « société de gaspillage », des suicides en Chine viennent aussi gâcher la fête. À la veille de l’événement, l’anglais The Independant se montrait offensif à la une (relevée par @rrêtsurimages) :

Sous le titre « Mourir pour un gadget ? », le quotidien appose une image de l’iPad et celle de Ma Xiangquian, ouvrier chinois « poussé au suicide, dernière victime des conditions de travail inhumaines dans les usines électroniques d’Asie ». Et l’article poursuit :« Le lancement de l’iPad terni par les préoccupations sur son coût humain ». Ma Xiangquian est l’un des dix employés de l’usine Foxconn de Shenzen, en Chine, à s’être donné la mort sur son lieu de travail depuis le début de l’année, et trois autres tentatives de suicide y ont été comptabilisées.

Foxconn, appartenant à un groupe taïwanais, compte 300 000 salariés à Shenzen et est le principal sous-traitant d’Apple qu’il fournit en iPhones, iPods et iPads. Le complexe fabrique également des produits pour d’autres géants de l’informatique comme Sony, Dell ou HP.

Chanteurs et filets anti-suicide

Mais c’est évidemment le plus médiatique d’entre eux, Apple, qui se retrouve sous les feux de la presse, prompte dans le même temps à célébrer l’arrivée de l’iPad. La firme à la pomme se dit « attristée et bouleversée » par cette vague de suicides et a indiqué son intention d’enquêter sur les conditions de travail dans l’usine Foxconn.

Face à la médiatisation récente de ces suicides, Foxconn nie tout malaise et a accueilli la presse, cette semaine, pour montrer entre autres la piscine du complexe, tandis que ses dirigeants assurent que les suicides sont liés à des raisons sentimentales, et non aux conditions de travail. La compagnie a également annoncé avoir fait appel à 2 000 chanteurs, danseurs et profs de gym pour travailler dans la joie. Mais n’a pas oublié non plus de faire signer à ses ouvriers une promesse de ne pas attenter à leurs jours et, au cas où, compte installer des filets anti-suicide.

Une usine mise en cause depuis au moins deux ans

Dès août 2008, pourtant, les conditions de travail dans l’usine géante étaient pointées du doigt dans un rapport de l’organisation China Labour Watch. Journées de travail pouvant dépasser dix heures, avec des heures supplémentaires non payées, humiliations, pressions, dortoirs où s’entassent les ouvriers (qui sont nourris et logés par leur employeur)…

En juillet 2009, Foxconn se trouvait à nouveau mis en cause, après le suicide d’un ouvrier accusé d’avoir volé un prototype d’iPhone. Et à nouveau China Labour Watch dénonçait un « système de management inhumain » et les nombreuses violations du droit du travail. À noter le bon point alors décerné à Apple, puisque l’ONG notait que dans l’usine, « seuls les ouvriers produisant pour Apple ont droit à un tabouret pour travailler assis, les autres devant rester debout ».

Des règles mais des contrôles insuffisants

Au delà de Foxconn, d’Apple ou d’autres, que ce soit dans l’informatique ou le textile (voir à ce sujet notre article sur les Maquilas), mais aussi la grande distribution, c’est le système mondialisé de la sous-traitance que cette affaire met à nouveau en question. Les grandes compagnies occidentales utilisent toutes les capacités de production des pays à faible coût de main d’œuvre. Elle fixent certes des règles de bonne conduite et normes droit du travail. Mais reconnaissent en même temps ne pouvoir contrôler tout ce qui se passe chez leurs sous-traitants.

Dans un rapport dévoilé en février, Apple admettait par exemple que plus de la moitié des usines qui travaillaient pour elle ignoraient les règles interdisant de travailler plus de 60 heures par semaine. La firme de Steve Jobs promettait alors d’améliorer ses moyens de contrôle sur ses fournisseurs. Visiblement, une longue marche reste à parcourir.

Billet initialement publié sur LES NOUVELLES news, sous le titre “iPad et compagnie, le prix de la sous-traitance” ; image CC Flickr sushiesque

À lire aussi notre dossier Apple 0% idolâtrie

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L’Ovomaltine, le DRH, la stratégie de guerre http://owni.fr/2010/01/10/l%e2%80%99ovomaltine-le-drh-la-strategie-de-guerre/ http://owni.fr/2010/01/10/l%e2%80%99ovomaltine-le-drh-la-strategie-de-guerre/#comments Sun, 10 Jan 2010 10:30:51 +0000 Admin http://owni.fr/?p=6842 Bonjour, je suis le DRH.
Hier matin, j’ai bu de l’Ovomaltine. Croqué des barres d’Ovomaltine, avec un peu de pâte à tartiner (Ovomaltine, la diététique de l’effort ). La caféine, pour les instants qui allaient suivre, n’était pas indiquée. J’avais décidé de petit-déjeûner light, pour ne pas en rajouter aux tourments à venir.  Des œufs brouillés, pour me mettre dans l’ambiance d’une journée sans fin. Mais, à bien y réfléchir, je me suis ravisé: il fallait prendre des forces.

C’était un jour du temps d’aujourd’hui, comme les autres, « dans un contexte social actuel, particulièrement tendu ». Glaçé.

» La suite sur http://raphaeljornet.owni.fr

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