OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Hacker 007 http://owni.fr/2012/08/17/hacker-007/ http://owni.fr/2012/08/17/hacker-007/#comments Fri, 17 Aug 2012 13:44:43 +0000 Maxime Vatteble http://owni.fr/?p=118123 Watchdogs, un des jeux vidéo les plus attendus de 2013. Un costume difficile à porter selon Olivier Mauco, docteur en science politique spécialisé dans les cultures numériques, car il pourrait camoufler l'activité des véritables hackers.]]>

Capture d'écran officielle de Watchdogs, jeu vidéo d'Ubisoft

Devenir un héros. C’est le nouveau rôle donné aux hackers dans Watchdogs, jeu d’Ubisoft à venir qui avait fait sensation au dernier E3, le plus grand salon mondial du jeu vidéo organisé chaque année à Los Angeles. Les joueurs pourront se glisser dans la peau d’Aiden Pierce, technophile super débrouillard et fondu de hacking.

Capable de déchiffrer des codes d’accès, de brouiller des caméras de surveillance ou encore de modifier la signalisation des feux rouges avec son smartphone, il détourne incognito les technologies disséminées dans le paysage urbain. Une vision bien éloignée de la vrai nature du hacking puisqu’Aiden Pierce se contente a priori d’appuyer sur des boutons, comme on peut le voir dans la démo du jeu :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le pirate devient alors aussi efficace que James Bond. Même si la menace potentielle que représentent les blacks hats, c’est-à-dire les cybercriminels de tout poil, suscite encore la méfiance des administrations, des entreprises et des géants de l’industrie informatique, le talent des white hats, des bidouilleurs bienveillants, est recherché : pour le Sénat français, leurs compétences sont même considérées d’intérêt public.

Pour Olivier Mauco, auteur du blog Game in Society , docteur en science politique et membre de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH) c’est la perception du hacking dans les représentations populaires qui a évolué : le pirate informatique n’a plus cette image de parasite qui lui colle à la peau, il peut désormais être un acteur de la société civile et défendre des causes, à l’instar de certains Anonymous. Il a analysé pour Owni cette nouvelle incarnation de la figure du hacker.

Un hacker peut-il être aujourd’hui un héros de jeux vidéo populaire ?

Olivier Mauco : La figure du hacker fascine depuis un moment au sein de la communauté geek. Il avait déjà été mis en scène au cinéma, notamment dans le grand classique War Games où un adolescent qui pense jouer à un jeu vidéo est sur le point de déclencher la troisième guerre mondiale. Plus globalement, le pouvoir de la technologie est une composante classique des films de science fiction, l’intelligence artificielle Skynet dans Terminator en est l’exemple le plus frappant. La glorification de la figure du hacker est une tendance de fond et non une véritable nouveauté.

Les hackers ont enfin fait cracker le Sénat

Les hackers ont enfin fait cracker le Sénat

Enfin ! Le dernier rapport du Sénat sur la cyberdéfense montre un changement net de regard sur la communauté des hackers. ...

Toutefois, la culture du hacking s’est démocratisée grâce à la simplification des outils et à la nouvelle image véhiculée par les hackers après Wikileaks et le mouvement Anonymous. L’internaute lambda ne sait pas lire le code ou ne sait pas ce qu’est un langage informatique, il ne maîtrise pas la technique mais il aime l’interaction, le rapport direct avec les machines.

Dans Watchdogs, le héros va jusqu’au bout de cette interaction et prend le contrôle grâce à des outils technologiques. Ce hacker pirate est effectivement un héros de jeux vidéo en puissance mais il n’est qu’une représentation fantasmée du hacking. Ce qui est véritablement nouveau ici est l’aboutissement du processus d’identification à un héros qui est traditionnellement anonyme et généralement peu connu et surtout peu apprécié du grand public.

Watchdogs est un GTA-like, un genre souvent décrié pour sa violence. Les hackers risquent-ils d’être stigmatisés ?

Bien sûr, le hacker que l’on peut contrôler dans Watchdogs n’est pas un hacker ordinaire, il peut manier des armes et a des capacités physiques et intellectuelles dignes de faire de lui un héros. Les potentielles réactions négatives des parents des joueurs de Watchdogs ne constituent cependant pas le principal problème pour la communauté hacker. Là où elle peut être stigmatisée, c’est dans son rapport avec la société civile.

Alors que le hacker se place volontairement en dehors du système, il doit maintenant s’employer à le changer. Il devient ici un chien de garde au service des libertés et non d’un parti ou d’une institution. Il ne s’agit pas de remettre en cause le monde occidental mais de donner une nouvelle image du pirate, plus investi, plus en phase avec des réalités triviales. Il y a une nouvelle reconnaissance de l’action, et ainsi une nouvelle responsabilité.

Une responsabilité à vocation politique ?

C’est la notion de pouvoir qui est au centre de la question. Le hacking repose sur une question de plate-forme alors que le politique relocalise l’action. Dans le premier domaine, l’on cherche à diffuser une nouvelle information, à se réapproprier un message, à détourner des signaux. Dans le second, l’on cherche à représenter une population, à agir en son nom. Le hacking est une action politique, c’est-à-dire engagée, relevant d’une opinion ou d’une vision de la société mais n’est pas une action relevant de la vie politique traditionnelle, reposant sur un modèle vertical où le pouvoir est cloisonné et transférable.

L’institutionnalisation et l’organisation propre au système politique n’est pas adaptée à l’éthique du hacking car elle impose un cadre indépassable. Les hommes et femmes politiques actuelles ne semblent pas non plus prêts à apprivoiser totalement cette contre-culture comme on a pu le constater durant la dernière campagne présidentielle. L’UMP et le PS n’ont encore qu’une vague notion de ce qu’est et représente le numérique. Plus récemment, Fleur Pellerin a dit vouloir combattre la neutralité du net car l’Europe n’a pas appris à penser en termes de réseaux.

Le Parti Pirate pourrait-il en tirer bénéfice ?

La seule glorification de l’hacktivisme ne suffirait pas à donner un nouveau souffle politique à ce parti mais elle aurait le mérite de rendre visible son action et de redonner une signification plus concrète à ses attentes. Elle permettrait aussi de mettre au premier plan des débats essentiels à propos de la neutralité du net et des libertés numériques en général. Reste que cette structure n’est pas non plus pensée comme plate-forme mais comme une organisation.

De toute façon, il est réducteur d’associer tous les hackers sous la même bannière, qu’elle soit culturelle ou politique d’ailleurs. La politisation du hacker ne va pas de soi, ce qui lui importe c’est de pouvoir apporter sa voix au chapitre, de donner de nouvelles clefs de compréhension du monde numérique, culturel, politique.

Le hacker est-il alors condamné à être le seul maître d’un savoir faire ?

Tout le dilemme est là : il faudrait instituer la liberté individuelle et la masse au sein d’un même mouvement alors que le hacker n’est qu’une figure abstraite et non le représentant d’un groupe. Il n’est pas non plus voué à être érigé en modèle.

Encore une fois, c’est la notion de plate-forme qui importe ici : le hacker ne fait pas partie de l’organisation politique du pouvoir, il ne cherche pas la légitimité ou une position dominante puisqu’il s’intéresse à un partage horizontal de l’information et des savoirs.


Olivier Mauco analyse régulièrement la place des jeux vidéo dans la société sur son blog.

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Bienvenue au festival du film bidouillé http://owni.fr/2012/05/21/bienvenue-au-festival-du-film-bidouille/ http://owni.fr/2012/05/21/bienvenue-au-festival-du-film-bidouille/#comments Mon, 21 May 2012 09:15:41 +0000 Adrien Carpentier http://owni.fr/?p=110126

Au mois d’avril dernier, lors d’une conférence tenue à Genève, le cofondateur de Wikipédia Jimmy Wales a prédit la fin prochaine d’Hollywood. Non pas à cause du piratage, mais parce que selon lui,

les outils collaboratifs pour raconter des histoires et réaliser des films vont faire à Hollywood ce que Wikipédia a fait à l’Encyclopedia Britannica.

À l’entendre, cette révolution serait en germe par l’entremise des machinimas, ces objets filmiques un poil immatures et sur lesquels Hollywood n’a pas encore beaucoup lorgné. Les machinimas, ce sont des films réalisés à l’aide d’un moteur 3D temps réel de jeu vidéo. Décors, personnages, caméra… les moteurs de jeux offrent en effet tous les outils de production pour raconter des histoires en vidéo, sans plateau ni acteurs.

GTA

La création amateur de films grâce aux outils 3D est une vieille histoire. Dans les années 1980, des hackers créent de petites séquences 3D à l’aide de moyens très réduits, et qu’on découvre en introduction à des programmes dont ils crackent la protection contre la copie. C’est la scène demo. Mais les vrais ancêtres des machinimas sont probablement les speedruns, ces vidéos de parties de jeu vidéo terminées dans un temps record. Un speedrun demande à son auteur des mois ou des années de persévérance pour gagner de précieuses secondes et disposer enfin d’une vidéo qui établisse un record. En effectuant des centaines de prises pour n’en garder qu’une seule qu’il montrera à son public, le recordman devient réalisateur, et le personnage qu’il dirige à l’écran, son acteur.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

 

Disney Animation Studio sur Amiga et surtout le jeu Stunt Island proposent, dès le début des années 1990, de mettre en scène et d’enregistrer des films dans un environnement virtuel. Mais l’Histoire ne retiendra qu’une petite vidéo de 1996, basée sur le jeu Quake, comme le premier machinima à proprement parler. Intitulée “Diary of a Camper” , ultra-courte, au script minimaliste et à peine compréhensible pour les non-gamers, c’est cependant la première fois qu’un simple enregistrement d’une partie de FPS (First Person Shooter) est détourné de son but original pour raconter une histoire. Comme pour les films muets, les dialogues sont affichés à l’écran grâce au détournement du chat intégré au jeu.

La pratique est vite imitée par la communauté des joueurs de FPS. L’arrivée de Quake 2, qui permet de changer la caméra sur une séquence déjà enregistrée, encourage encore un peu plus ces fanarts qu’on appelle encore des Quake Movies.

Le mot machinima, contraction de “machine”, “animation” et “cinéma”, ne remplacera Quake Movie qu’en 2000 lors de la création d’un portail Internet dédié. Jusqu’alors sous-culture de hardcore gamers, la pratique cesse d’être l’apanage des FPS, et les créations commencent à fleurir sur Internet. La série ultra-cinématographique des Grand Theft Auto en 3D apparue en 2001, avec son inspiration très hollywoodienne et ses immenses villes américaines virtualisées, constitue un terrain de jeu rêvé pour imiter le cinéma. De plus en plus de jeux se mettent à intégrer de véritables outils dédiés à la création de séquences, comme le très populaire The Sims 2. The Movies, sorti en 2005, a même pour but la gestion d’un studio de cinéma et la réalisation de petits films.

Cinéaste geek

Pourtant, le processus de production d’un machinima peut être bien éloigné de celui d’un film. Les machinéastes ont ainsi deux méthodes, suivant les possibilités offertes par le moteur du jeu et le but recherché :

- Ils peuvent créer un machinima “en temps réel”. Dans ce cas, comme dans un film classique, il y a tournage. Des joueurs réels contrôlent chacun un personnage, qui sont autant d’acteurs. Ils peuvent enregistrer des dialogues pendant le tournage à l’aide des casques-micros qu’ils utilisent pour les parties multijoueurs, ou bien ceux-ci peuvent être ajoutés en post-production. Un autre joueur tient alors le rôle du caméraman. Le point de vue de son personnage est enregistré sur le disque dur et constituera le rush du film, pour être éventuellement monté plus tard.

Cette méthode collaborative s’apparente à la fois à un tournage de cinéma et à une partie de jeu vidéo, et laisse place à l’improvisation. Elle est par ailleurs un excellent outil d’apprentissage des métiers du cinéma puisqu’elle passe par les mêmes procédés que la production d’un film : écriture, direction d’acteurs, prise de vue, montage… Voici un exemple de machima tourné en temps réel, issu d’une célèbre série :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

 

- La création machinimatographique peut aussi s’affranchir d’un tournage pour être entièrement scriptée. Les personnages comme la caméra obéissent alors aux actions, aux changements de points de vue et aux trajets programmés dans un script informatique qui peut être le fruit d’une collaboration en ligne comme celle d’un seul machinéaste. Et grâce à ces scripts qui décrivent le film, il n’y a pas de rush : il suffit du moteur du jeu et du script pour lire la séquence. Donnant des résultats souvent plus aboutis et spécifique au machinima, cette méthode peut bien entendue être combinée au tournage en temps réel. Voici un machinima scripté utilisant le moteur d’Unreal Tournament.

Bientôt des machinimas dans les salles obscures ?

Il n’en fallait pas plus pour que des artistes contemporains s’emparent de cette nouvelle forme de création, à l’instar de l’américain Eddo Stern. En France, on peut citer Frederic Nakache, Benjamin Nuel ou encore Alex Chan, avec ses machinimas “French Democracy” et “World of Electors”, respectivement sortis à l’occasion des émeutes de banlieue de 2005 et de l’élection présidentielle de 2007. Tous ont sans aucun doute contribué à faire du machinima un moyen d’expression plus complet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

 

Les meilleures oeuvres amateurs sont récompensées dans des festivals selon des catégories très proches de celles du cinéma : meilleure réalisation, meilleure bande son et même… meilleur rôle ! C’est l’Academy of Machinima Art and Science, créée en 2002 aux États-Unis, qui organise le tout premier festival de machinimas. D’abord éclipsé par les conférences sur le jeu vidéo qui les héberge, il essaime finalement d’autres festivals comme le Machinima Expo.

Pour l’heure, l’industrie du cinéma semble n’avoir jeté qu’un oeil timide vers la scène machinima. Steven Spielberg a bien utilisé le moteur du jeu Unreal Tournament pour préparer le tournage de son film I.A.. On a vu, ça et là, des machinimas issus de Second Life dans des téléfilms. Les plans aériens de Los Angeles dans Collateral (2004) semblent clairement inspirés par les vues omnipotentes des machinimas de GTA, et la séquence en vue FPS de Kick Ass (2010) en est un hommage encore plus évident. Mais la plus célèbre utilisation d’un machinima par l’industrie hollywoodienne n’est sans doute que celle de l’épisode mythique de South Park consacré à World of Warcraft. Car si la scène machinima est de plus en plus poreuse aux autres arts, elle ne reste encore aujourd’hui qu’un prolongement du jeu vidéo. Pour peu de temps encore.


illustration capture d’écran par Laurence Simon (CC-by)

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Politique d’urbanisme ||dans le jeu culte GTA http://owni.fr/2011/04/25/les-villes-de-gta-level-design-mobilite-et-urbanisme/ http://owni.fr/2011/04/25/les-villes-de-gta-level-design-mobilite-et-urbanisme/#comments Mon, 25 Apr 2011 08:15:55 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=58672 On le sait, l’espace urbain est l’un des contextes de prédilection dans les jeux vidéo. De Rampage à Duke Nukem 3D en passant par Sim City ou GTA, la ville est au cœur de l’action. Tour à tour détruite par les joueurs, dédale à explorer, territoire à simuler ou lieu de débauche, elle fait partie intégrante du gameplay en venant structurer le répertoire disponible chez les joueurs.

La cité virtuelle des jeux vidéo n’est ainsi jamais “juste” un simple décor conçu par des graphistes. Et la conception de l’environnement lui-même est un enjeu primordial au cœur de la création ludique. Prenons l’exemple d’une métropole fictive et imaginaire comme les différentes villes du jeu phare développé par la société Rockstar Games, “Grand Theft Auto“, pour en comprendre les enjeux.

Des villes virtuelles de plus en plus vivantes

Un reproche classiquement fait par les observateurs de mondes virtuels [en] réside dans le caractère superficiel des représentations urbaines dans les univers de jeu/en ligne. Ceux-ci ont pendant longtemps pris des formes stéréotypées : quartiers d’affaires constitués de tours, monuments classiques, circulation automobile et rues désertes en étaient bien souvent les ressorts les plus courants. Pendant longtemps, la cité virtuelle était désespérément vide, une sorte de caricature du réel.

Avec GTA IV, mais aussi avec les versions précédentes, la situation est tout autre. Même si l’on est encore loin de pouvoir interagir avec tous les éléments du jeu, les progrès sont nets. Entre la possibilité de visiter certains lieux ou magasins (mais pas tous les bâtiments), l’aspect vivant des rues ou le fait de ramasser des déchets (pour les jeter aux visages de ses congénères), l’évolution est importante.

La navigation dans les différents quartiers est aussi pensée en détail. Franchissez un pont et un sentiment étrange commence à poindre… La non-familiarité avec les lieux apparait : l’architecture diffère, de même que la population présente… ce qui donne presque envie de retourner de l’autre côté où l’on se sent plus chez soi.

Une foule de détails concourant à l’expérience ludique

Naturellement, tout cela n’a pas été fait au hasard. Le level design, le processus dans la création d’un jeu vidéo qui consiste à concevoir l’environnement dans lequel le joueur évolue, est particulièrement pointilleux. De l’évolution de niveaux, labyrinthes et cartes basiques, les espaces de jeu sont devenus complexes. Les détails fourmillent et chacun concourent à l’expérience ludique. Dans ce cadre, la conception de villes virtuelles a une place particulière avec une forme d’intervention urbanistique singulière.

Le cas des différents épisodes de GTA est fascinant à cet égard comme le montrent les témoignages suivants de différentes créatifs de Rockstar Games. Au niveau de l’intention de départ, les objectifs sont clairs :

On aurait pu reprendre une ville réelle mais on a choisi une autre approche. Nous avons créé une approximation, une abréviation d’une ville réelle, pensée en détail avec la variété d’éléments visuels et typographiques que nous voulions (…) c’est mieux de faire une représentation qui à l’air bien, parait réelle et qui exprime directement sa propre image. Nous essayons de faire un monde qui a première vue parait complètement normal mais qui révèle son absurdité quand on joue. C’est plus cohérent avec l’idée du jeu vidéo. [Source : Blueprint, 2004]

Mais c’est sur la manière de procéder que l’approche est encore plus intéressante :

Nous n’avons jamais construit ces villes avec des missions spécifiques en tête. Nous construisons toujours la structure urbaine en premier lieu puis nous incluons les missions et les histoires dedans (…) Donc nous avons toujours traité les villes comme des lieux réels. Nous les bâtissons, nous les remplissons de choses intéressantes et nous plaçons les missions dedans plus tard. (…) Je pense que le fait d’avoir cet environnement immense et disponible donne beaucoup d’opportunités pour ajuster les missions et trouver ce qui fonctionne le mieux. [Eurogamer [en], 2008]

Exposition à Londres sur les processus de création de GTA III.

L’apprentissage des lieux par la dérive

Pourtant, ce qui est encore plus fascinant dans l’expérience de jeu, c’est la logique d’apprentissage des lieux. Car au fond, le gameplay par défaut de Grand Theft Auto est basé sur la possibilité de se construire progressivement une image mentale des lieux parcourus… en naviguant sans but.

La dérive (au sens situationniste) virtuelle trouve toute sa place dans un jeu comme GTA. Alors que dans certains univers en ligne, il est fastidieux de devoir se déplacer en marchant ou en volant, l’errance sans but dans Vice City ou Liberty City fait partie intégrante de l’expérience ludique… et d’une mécanique d’apprentissage progressif des composantes urbaines. La déambulation favorise ce que l’urbaniste américain Kevin Lynch a nommé “la lisibilité de la ville”, c’est-à-dire la facilité avec laquelle chacun reconnait et interprète les éléments du paysage afin de pouvoir s’orienter.

La compréhension de cette lisibilité dans GTA permet d’acquérir une vision globale de la complexité des lieux et de toutes les ressources disponibles pour réaliser les missions. Mais ces dernières ne sont pas forcément une finalité, étant donné le plaisir manifeste de certains joueurs (dont je fais partie) à déambuler en écoutant la radio.

Taxi, tank, moto : une culture de l’errance multimodale

Progressivement, de version en version, l’étendue des moyens de transport à disposition s’enrichit. Il ne s’agit pas juste de se déplacer à pied ou en auto puisque l’on peut sauter sur une moto, un camion poubelle, un taxi, un tank (pour ceux qui sautent sur les cheat modes). Chacun de ces moyens de transport possède ses spécificités (vitesse, sécurité, fonctions particulières) qui donne évidemment lieu à des possibilités de challenge ou de mission pour le joueur. Le gameplay n’émerge alors pas seulement des lieux mais aussi des dispositifs de mobilité.

L’arrivée du métro rajoute encore des possibilités intéressantes avec l’avénement dans le jeu d’un mode de transport discontinu. En effet, monter dans une rame dans un coin de Liberty City n’est pas aussi anodin que conduire une voiture… puisque le joueur ne peut pas contrôler son déplacement. Il se retrouve ensuite dans un autre coin de la ville sans avoir vu l’espace intermédiaire. Mais l’avantage est alors d’avoir une manière rapide de fuir ou de contourner la difficulté de devoir perdre du temps à retraverser tout un pan de la cité sans avoir d’accidents.

Avec GTA, le joueur fait donc une expérience de l’errance multimodale grâce à tous ces dispositifs de transport différents. Au-delà des objectifs meurtriers discutables que l’on retient souvent du jeu, il est donc intéressant de voir comment la gestion de la mobilité devient un enjeu fondamental de gameplay, comme le souligne Transit-City.

Géolocalisation et téléphonie à tous les étages

Cet apprentissage de la mobilité est aussi complété par la présence de deux technologies particulièrement importantes dans la compréhension des nouvelles pratiques urbaines actuelles : le GPS et le téléphone portable.

Le premier fournit une aide à la navigation essentielle pour se repérer et réaliser certaines missions. Et évidemment, il est possible d’en tirer des mécaniques ludiques comme le décrit Tom Armitage [en] :

Les concepteurs n’essayent pas de donner d’indications erronées avec le GPS mais ils te forcent à ne pas trop te baser sur ces informations visuelles. Dans une des missions, un témoin te donne la direction vers un endroit et il te dit toujours “ah attends, c’est à gauche ici” à la dernière minute dans un carrefour, de manière à ce que tu ne puisses pas t’aider de la mini-map, tu dois écouter ce qu’il te dit. C’est plutôt bien pensé.

Le téléphone a plus un rôle “social” mais il peut aussi permettre de naviguer :

Le téléphone mobile est central là-dedans, il te permet de faire des appels et d’envoyer des SMS pendant que tu marches ou que tu conduis. Il te permet de socialiser, d’organiser et d’écouter des sonneries que tu as téléchargées. Quand tu rates une mission, tu peux répondre à un SMS et te téléporter à l’endroit de départ.

Au fond, l’évolution de GTA fait donc écho aux transformations urbaines apparues au cours de l’histoire, en version accélérée. Pour le concepteur de ville numérique, l’intérêt réside alors dans la création de l’hybridation des infrastructures de la ville… qui commence par la structure urbaine formée de rues, de bâtiments avec des détails qui la rendent vivante (passants, magasins et lieux ouverts)… mais aussi l’amélioration croissante des moyens de transport au fil des épisodes. Avec in fine, la disponibilité d’une véritable “couche numérique” rendue possible par les technologies de l’information et de la communication via le GPS et le téléphone. Chacune de ces composantes possède ses singularités qui permettent de créer des challenges intéressants pour le joueur.

Ce que les villes fictives de GTA expriment par rapport à des métropoles réelles, c’est la différence de finalités. L’urbanisme dans l’espace physique vise l’efficacité dans les moyens de vivre ensemble… et le level design de GTA pousse lui au fun et à des interactions libres voire sauvages.

Reste à explorer si l’expérience vidéoludique pourrait influencer notre perception de l’espace urbain !

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Photos Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Th3 ProphetMan, Paternité nicolasnova, PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales JamesB

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

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Fais-moi jouer, fais-moi jouir http://owni.fr/2011/03/13/fais-moi-jouer-fais-moi-jouir/ http://owni.fr/2011/03/13/fais-moi-jouer-fais-moi-jouir/#comments Sun, 13 Mar 2011 09:30:13 +0000 Maud Serpin (Fais-moi jouer !) http://owni.fr/?p=50668 Difficile d’avoir raté ces derniers jours les controverses autour de We dare, un party game coquin développé par Ubisoft et à jouer entre couples.  Loin d’inviter à prendre parti,  ces polémiques inspirent davantage une analyse sur le rapport entre ces deux mots à 4 lettres : le sexe et les jeux (et, enfin, un clin d’œil au nom de ce blog, il était temps !).

Chaque mois, d’après Google AdWords, il y a 301.000 personnes qui tapent « jeu sexe » dans leur moteur de recherche. De quoi questionner la place du charnel dans les jeux vidéo et les jeux online : simple « complément » visuel, élément majeur du gameplay ou encore aide à une jouissance qui, de purement ludique, se mue en purement sexuelle ?
Il ne s’agira pas ici ni d’augmenter le référencement naturel de ce site à grands renforts de tags en bold ni de donner à voir un panorama exhaustif de l’existant ludiquo-sexuel, mais plutôt de comprendre comment, sur un axe « plaisir ludique/plaisir sexuel », le curseur se déplace de gauche à droite.

Des fesses de Bayonetta au Hot coffee mod de GTA

Il suffit d’aller une fois dans sa vie au salon du jeu vidéo et/ou d’admirer des photo de cosplays sur Flickr pour comprendre que les codes du sexy et de l’érotisme y sont largement présents. De l’érotisme souvent coquin, parfois fripon : un besoin visiblement partagé par l’ensemble des utilisateurs (majoritairement jeunes), sans pour autant que le gameplay en soit modifié. Considérons ici cette érotisation comme un aspect graphique agréable et plaisant à l’œil, qui confère au plaisir ludique un indéniable « plus ».

Mais la température monte d’un cran, abandonnons cette sensualité gentille – que l’on retrouve au final également dans le dernier blockbuster US – pour pénétrer dans un monde où la sexualité, plus crue, plus perverse, prend davantage de place.  Ici , on pense à des scènes dans God of War, dans Dante’s Inferno, ou encore à ce mini-jeu qui a fait scandale dans GTA [en]. Sans oublier les allusions équivoques à peine dissimulées des jeux issus de l’industrie japonaise (mais que me rappellent donc ces grandes traînées de crème fouettée maculant le visage de la jeune fille ?)

Ce ne sont pas seulement des seins plantureux ou des fessiers délicieusement galbés qui apparaissent cette fois à l’écran, mais des actes – tripotage, fellation, pénétration…- sciemment voulus et activés par le joueur.

Nous sommes cependant toujours dans le domaine du plaisir ludique, et le sexe n’est ici qu’un élément mineur du gameplay, plus ou moins à même d’avoir des incidences sur la trame narrative du jeu et/ou de remplacer dans certains cas le film érotique du samedi soir.

Or certains veulent aller plus loin, à l’instar de ce forumeur déçu (l’image ci-dessous est également destinée à baisser le pourcentage d’images cochonnes publiées  dans cet article).

Du jeu érotique au jeu-prétexte

Poussons le curseur un peu plus loin sur notre axe plaisir ludique/plaisir sexuel,  juste au milieu. Qu’avons-nous là ? Des jeux érotiques, et assumés comme tels. Comme par exemple : de l’Adult Interactive Fiction [en], du MMORPG, du jeu de stratégie [en] et même un ARG [en] ! La liste complète serait longue, notamment du côté du Japon…

Il s’agit ici de parvenir à un équilibre où jouissance du jeu et potentielle jouissance de la chair sont idéalement combinées. Une gageure audacieuse : est-il possible de se concentrer, de prendre les bonnes décisions, d’améliorer son score, bref, de jouer sérieusement comme cela est proposé dans Playboy Mansion [en] alors que la tentation charnelle taraude en permanence le corps physique du joueur ?

Et lorsque le curseur bascule finalement tout à droite, c’est la nature même du jeu qui bascule : le jeu en soi, comme activité se suffisant à elle-même, devient ici instrument, moyen, prétexte. Le plaisir ludique s’efface au profit du plaisir sexuel.

Pour le casual gaming à deux ou plus, cela va donner de véritables « facilitateurs de coït », à l’instar de l’application mobile Action Vérité Hot. Les règles d’un véritable rapport sexuel, habituellement fixées par les protagonistes eux-mêmes, tacitement ou de manière explicite, sont ici édictées par le jeu. Ce dernier questionne les partenaires pour faire monter leur désir réciproque, leur proposant même, en cours de route, d’écourter la partie !

Le nerd devant sa console aura quant à lui droit à de jolis produits 100% NSFW (165.000 recherches mensuelles par mois sur « jeu hentaï », et au sujet du hentaï, je vous renvoie à ce bon article qui raconte à merveille des premiers émois adolescents).

Le jeu comme une aide à la masturbation ? Mais ce n’est pas nouveau : comme l’explique très bien Antonio Casilli dans les premières slides de son séminaire « Le ‘droit de jouissance’ dans la culture du numérique : objets et représentations du netporn »,  cela fait en réalité longtemps, près de cinquante ans, que le X cherche à s’immiscer dans des applications numériques pour adultes. Et cela vaut évidemment pour les jeux.

Dès lors, la plupart de ces jeux,  stimuli sexuels et accélérateurs de jouissance, se réduisent fréquemment à de simples animations Flash interactives – leur en demande-t-on plus ?
Parfois, le jeu contient quand même plusieurs étapes, comme dans les « Meet’n’Fuck », où il convient de répondre correctement pour accéder à la suite de l’histoire (où, en général, les couches de vêtements recouvrant les personnages sautent les unes après les autres). Le plaisir sexuel n’est donc atteint que si le contrat du jeu est respecté.

Mais bien souvent, il n’y a qu’un seul écran, avec une protagoniste et divers outils mis à disposition de l’utilisateur. C’est le retour au jeu de la poupée façon pervers : manipuler un corps sans défense selon son bon vouloir, le caresser gentiment ou lui faire subir les pires outrages…Il n’y a rien à gagner si ce n’est sa propre jouissance (mais certains otakus diront certainement que le jeu en vaut la chandelle !).
Par ailleurs, nul besoin d’utiliser son imagination pour vivre virtuellement un fantasme hors du commun ; comme pour le porno, il y en a pour tout les goûts (enfin, surtout japonais) sur le web en matière de petits jeux Flash. Et bientôt également sur Kinect [en] ?

Une seule et unique lettre sépare « jouer » et « jouir » dans la langue française, un hasard ? Amusons-nous à croire que non. Car si dans de nombreux cas, plaisir ludique et plaisir sexuel ne sont absolument pas liés, d’autres situations nous montrent que jeu et sexe font tout à fait bon ménage. Même s’il est parfois difficile d’imaginer comment quelque chose de charnel -  et donc de chaud, de vivant – peut être traduit à travers le virtuel froid des jeux numériques, et seulement à travers deux sens, la vue et l’ouïe.
Si l’on veut combiner tous les sens, il semble en effet qu’un retour au réel s’impose. Et n’en déplaise à Seth Priebatsch, le chantre du game layer on the top of the world [vidéo, en], il n’y a pas eu de gamification des rapports sexuels. Simplement, les composantes du jeu – communément définies par une activité librement choisie / une extraction hors du réel / un cadre codifié avec des règles / une issue incertaine – ressemblent furieusement à celles d’une partie de jambes en l’air. Ce qui propulse d’un coup les gamers au rang de bons amants potentiels, non ? À méditer.


Retrouvez tous les articles de notre dossier jeux vidéo:

- Lara, Zelda, Samus: pourquoi sont-elles aussi sexy ?
- Prendre le jeu au sérieux

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Billet initialement publié sur Fais-moi jouer ! ; image CC Flickr cloneofsnake

Passionnée par l’exploration des territoires digitaux, des Wonderland contemporains qu’elle étudie quotidiennement au sein de Curiouser, Maud Serpin s’intéresse de près à tout ce qui se passe lorsque ludique, fiction, et nouvelles technologies se mélangent et se répondent. Vous pouvez suivre son actualité ici !

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Léa, passion politique http://owni.fr/2010/03/22/lea-passion-politique/ http://owni.fr/2010/03/22/lea-passion-politique/#comments Mon, 22 Mar 2010 11:17:38 +0000 Raphaël Chabloz http://owni.fr/?p=10618 Les députés helvètes souhaitent interdire les jeux vidéos violents. Raphaël Chabloz réside en Suisse où il tient (depuis un moment) le blog “Bon pour ton poil”. Il réagit à cette annonce avec humour. Et il en faut.

Autrefois, les hommes s’aimaient les uns les autres. La violence a été inventée en 1979, quelques mois après le lancement du premier jeu vidéo violent, Asteroids.

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Ce panneau de contrôle a fait plusieurs victimes, tous députés suisses, tués par le ridicule de leur proposition.

Forts de ce constat, les parlementaires suisses ont décidé de réagir en demandant l’interdiction des jeux vidéos violents.

Contrairement aux élus qui ont soigneusement préparé leur dossier, quand on voit un jeune passer huit heures par jour enfermé dans sa chambre, sans jamais voir personne, à jour à GTA ou Manhunt, on se dit, naïvement, que c’est peut-être un symptôme et pas une cause. N’importe quoi. Quand enfin ces horribles divertissements qui mettent notre société en péril disparaîtront, ces gens auront enfin des amis, avec qui ils iront se divertir sainement. Enfin, quand on aura interdit ces jeux vidéos, ainsi que Cluedo, Risk, les échecs et, surtout, le pendu.

Car, contrairement aux fans de films de guerre, aux amateurs de boxe, aux férus de corrida et aux militants de l’UDC, les gamers ne savent pas faire la différence entre le virtuel et la réalité. Quand ils ont passé des heures à dézinguer sur leur ordinateur, ils sortent aussitôt faire la même chose dans la rue. Tu te demandes sans doute pourquoi les jeux vidéos sont plus dangereux que les films ou que les livres violents ? Eh bien, essentiellement parce que c’est comme ça et pas autrement, et qu’une étude australienne le prouve.

La violence de certains "gamers" fait parfois peur à voir

Et si on allait fusiller des gens dans la rue ?

Mais il ne faut pas se limiter aux jeux violents. Les jeux de courses de voitures sont la cause de 97% des accidents, selon une étude kazakhe. Les autres sont provoqués par des fans de Tetris.

De même, la crise est, une étude norvégienne le souligne, le fait des amateurs de jeux de gestion. Forcément, quand tu as passé ton adolescence à vendre et racheter des footballeurs, des bateaux, des trains, des fêtes foraines et des bébés animaux, tu ne recules plus devant rien.

Les férus de jeux de hockey sur glace vivent souvent de cruelles désillusions : après avoir fait gagner, manette en main, plusieurs matches de suite au HC Bienne, ils peinent à différencier le jeu de la réalité et quand ils se rendent compte que les vrais joueurs ne rééditeront pas cet exploit, ils en éprouvent de la rancoeur, et il ne faut pas chercher plus loin les causes des débordements à répétition après les rencontres.

Moi, par exemple, j’ai été accro à Lemmings. Eh bien aujourd’hui encore le matin, quand je sors du train et que je vois cette foule humaine avancer par grappe vers les sorties de la gare, j’ai souvent envie de coller un bloqueur de chaque côté.


> Article initialement publié sur Bon pour ton poil

> Illustrations par oso, Stewf , somegeekintn et par gnackgnackgnack sur Flickr

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