OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Google m’a supprimé http://owni.fr/2011/08/29/google-suppression-compte-donnees-personnelles-vie-privee-god/ http://owni.fr/2011/08/29/google-suppression-compte-donnees-personnelles-vie-privee-god/#comments Mon, 29 Aug 2011 14:21:49 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=76455 Thomas Monopoly a vu son compte Google, et ceux qu’il avait associés, désactivés du jour au lendemain, sans qu’il ne soit averti. Fâcheuse aventure qu’il raconte ici. Son compte, fermé pour des raisons de violation des conditions d’utilisation, a été réactivé depuis. Artiste, l’auteur a monté une exposition – numérique – il y a trois ans intitulée “L’évolution du sexe” et dans laquelle il avait inséré  une photo “à la limité de la légalité“. Qui ne lui appartenait pas. Cette exposition avait pour but de souligner la violence et l’absurdité croissante de la pornographie. Google avait donc décidé de supprimer son compte sans préavis. Explications sur son blog.

Vous vous réveillez un matin et constatez la disparition de la totalité de votre vie numérique !

Plus de mails, plus de contacts, plus de photos, plus de vidéos, plus de documents, plus de calendrier, plus de blog, plus de favoris, plus de flux RSS… tout, absolument tout, s’est évanoui !

De la science-fiction ? Non, un simple compte Google désactivé unilatéralement et sans préavis par la société.

En l’occurrence le compte de Dylan M. (@ThomasMonopoly sur Twitter) qui avait décidé peu de temps auparavant de tout faire migrer sur son unique compte Google. Compte sur lequel étaient attachés les nombreux services qu’offre la firme de Mountain View : Gmail, Picasa, Google Docs, Calendar, Reader, Blogger, etc.

Et ce sont donc ici sept années digitales qui partent en fumée d’un simple clic. Adieu données personnelles. Ce n’est alors pas uniquement votre identité numérique qui vacille, mais votre identité toute entière…

Cette triste ou effroyable histoire vraie est malheureusement riche d’enseignements. D’abord parce qu’elle peut arriver à n’importe quel possesseur d’un compte Google. Mais aussi et surtout parce qu’elle en dit long sur ce que nous acceptons tacitement lorsque nous décidons de faire confiance à ces “sociétés du nuage” en nous inscrivant, le plus souvent gratuitement, à leurs services en ligne. Et il va sans dire que Facebook, Twitter ou Apple ont, toutes, le droit d’en faire autant.

Exaspéré et désespéré, Dylan M. a conté sa mésaventure dans une longue lettre ouverte à Google, que vous trouverez traduite ci-dessous. Une lettre publiée sur… TwitLonger et non sur son blog, puisque ce dernier était sur Blogger et dépendait lui aussi de son compte Google !

De quoi faire réfléchir non seulement sur les pratiques du géant Google mais également sur le monde dans lequel nous avons choisi de vivre…

Je vous laisse, j’ai quelques sauvegardes urgentes à faire sur mon disque dur.


“Cher Google…”, Thomas Monopoly, 22 juillet 2011, TwitLonger

Cher Google,

Je voudrais attirer votre attention sur quelques points avant de me déconnecter définitivement de tous vos services.

Le 15 juillet 2011 vous avez bloqué la totalité de mon compte Google. Vous n’aviez absolument aucune raison de faire cela, même si votre message automatique me disait que votre système avait repéré une “violation”. Je n’ai en aucun cas violé les Conditions Générales d’Utilisation, que ce soit celles de Google ou celles spécifiques au compte, et votre refus de me fournir une quelconque explication ne fait que renforcer ma certitude. Et je souhaiterais vous montrer les dégâts que votre négligence a causés.

Mon compte Google était lié à presque tous les produits que Google a développés, ce qui veut dire que j’ai aussi perdu tout ce qui était dans ces comptes. Je venais aussi d’entreprendre de tout regrouper sur un seul compte Google. En fait, j’avais réfléchi à tout cela voici quelques mois et avais décidé que Google était une entreprise sérieuse et digne de confiance. Donc j’ai tout importé de mes autres comptes Hotmail, Yahoo…, dans mon unique compte Gmail. J’ai passé environ quatre mois à migrer lentement toute ma présence en ligne : comptes email, informations bancaires, documents professionnels, etc., dans cet unique compte Google, l’ayant déterminé comme étant fiable.

“C’est quelque chose qui me dépasse complétement”


Cela correspond, en termes d’informations, à environ 7 années de correspondances, plus de 4800 photographies et vidéos, mes messages Google Voice, plus de 500 articles enregistrés dans mon compte Google Reader pour mes études (lorsque j’ai fermé mon compte Reader d’origine pour tout regrouper dans mon unique compte portant mon nom, j’ai ré-enregistré plusieurs centaines d’articles et de flux moi-même, à la main, un par un dans ce nouveau compte, celui que vous avez fermé et dont j’ai maintenant perdu tous les articles). J’ai également perdu tous mes favoris, ayant utilisé Google Bookmarks.

J’avais migré mes favoris d’ordinateur à ordinateur pendant peut-être 6 ans, environ 200, et je les ai finalement tous envoyés sur Google Bookmarks, content d’avoir trouvé une solution pour les migrer et content de me préserver de leur perte. J’ai aussi perdu plus de 200 contacts. Nombreux sont ceux pour lesquels je n’ai pas de sauvegarde. J’ai aussi perdu l’accès à mon compte Google Docs avec des documents partagés et des sauvegardes de fichiers archivés. J’ai par ailleurs perdu l’accès à mon calendrier. Avec cela, j’ai perdu non seulement mon propre calendrier personnel avec des rendez-vous chez le médecin, des réunions et autres, mais j’ai aussi perdu mes calendriers collaboratifs que j’avais créés et pour lesquels plusieurs heures de travail humain ont été nécessaires, des calendriers communautaires qui sont maintenant perdus.

Aucun de ces calendriers n’était non plus sauvegardé. J’ai également perdu mes cartes Google Maps sauvegardées et mon historique de voyages. J’ai perdu mes dossiers de correspondances médicales et diverses notes très importantes qui étaient attachées à mon compte. Mon site web, un compte Blogger pour lequel j’ai acheté le domaine via Google et que j’ai conçu moi-même, a été aussi désactivé et perdu. Pensez-vous réellement que je ferais sciemment quelque chose qui mettrait en péril autant de données personnelles et professionnelles ? Au fur et à mesure que les jours passent, je suis certain que je vais prendre connaissance d’autres choses que Google a détruites dans la désactivation injustifiée de mon compte. Je suis seulement trop en colère en ce moment pour réfléchir correctement et tout passer en revue. Pourquoi quelqu’un confierait-il quoi que ce soit à “l’informatique dans les nuages” après ce que j’ai traversé ? C’est quelque chose qui me dépasse complétement.

Je voudrai aussi préciser que je suis en fait un client payant, au point que j’ai acheté mon domaine via Google et j’ai aussi acheté de l’espace de stockage supplémentaire.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : je suis en ce moment en train de soumettre ma candidature pour les études supérieures. Je recevais occasionnellement des courriels de professeurs et d’autres personnes que je n’attendais pas et dont je n’avais pas les coordonnées. Ceci entraînant qu’en plus de mes amis et de ma famille à l’étranger ou des gens qui ne pouvaient pas me joindre autrement, ces personnes recevront maintenant un message de Google leur signalant que mon adresse électronique n’existe pas. Et j’ose imaginer que certains d’entre eux n’auront pas le temps de trouver d’autres moyens de contacter un candidat à qui ils faisaient une faveur en faisant le premier pas.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : j’ai été ce que l’on pourrait appeler un supporter enthousiaste de Google en tant qu’entreprise. Étant un utilisateur de la première heure, on pourrait presque dire que j’ai été un apôtre du travail de Google. Google sortait ses produits prématurément, et je contribuais au feedback sur ces produits. Lorsque Google a réussi son coup politique en Chine en re-routant les serveurs vers Hong-Kong, j’ai applaudi et j’ai posté des articles à ce sujet sur tous mes réseaux sociaux, et j’ai fait la remarque, par ces mots, à plusieurs personnes que je connais : “ils l’ont fait avec classe et dignité”. J’ai également convaincu l’entreprise pour laquelle je travaillais de migrer vers Google Business Apps et d’utiliser les Google Apps pour à peu près tout. Je les ai aussi encouragés à acheter de l’espace de stockage avec Picasa pour construire notre base de données d’images. De plus, j’ai convaincu presque toute ma famille et mes amis d’ouvrir un compte Google ou Gmail dans les deux dernières années, et j’ai montré aux gens comment les utiliser et leur ai expliqué les bénéfices de Chrome sur les autres navigateurs. J’ai même des actions Google.


“S’il vous plait, aidez-moi, mon compte a été désactivé et je ne sais pas pourquoi !”


J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments encore : je ne suis pas fâché que Google ait suspendu mon compte s’ils pensent qu’il a été corrompu, mais je suis absolument furieux qu’ils aient suspendu mon compte sans me prévenir, sans même me donner une raison, et sans me donner quelque moyen que ce soit pour le réactiver, et ensuite ignorer toutes mes tentatives de trouver un interlocuteur. Aucun autre prestataire de service Internet ne se comporte ainsi. Je comprends que Google ne puisse pas offrir de l’aide personnalisée pour chaque demande de ses utilisateurs, mais quand une société comme Google a pris une position de monopole sur des pans entiers de l’Internet, elle a le devoir de se montrer responsable envers leurs clients quand des évènements comme ceux-ci arrivent. J’ai utilisé tous les forums d’aide : en vain. Et cela n’a fait que me mettre davantage en colère. Je ne vais pas prendre la peine de citer toutes les conversations absurdes que j’ai eues, elles sont trop nombreuses et elles vont seulement me rendre de plus mauvaise humeur.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand un “top contributeur” a déplacé le fil de la discussion du forum d’aide initial sur lequel je postais vers un autre forum sans ma permission. Puis, quelques jours plus tard, un autre “top contributeur” a laissé un message indiquant que le fil se trouvait dans le mauvais forum et a fermé la conversation, m’empêchant dorénavant au même titre que n’importe quelle autre personne d’y participer ou de faire des progrès. Les forums d’utilisateurs ne sont pas des sources d’information contrairement à ce que pense Google. Et la seule fois qu’un employé de Google a contribué dans mon fil, cela a été pour dire que ma question n’était pas posée dans le bon forum, et pour me dire que j’aurais dû poster dans le forum où je l’avais initialement placé. Cela s’est produit quand j’ai reposé sans arrêt les mêmes questions. En voici un exemple :

- Moi : S’il vous plait, aidez-moi, mon compte a été désactivé et je ne sais pas pourquoi !

- Utilisateur 1 : Connectez-vous simplement au tableau de bord et faites quelque chose.

- Moi : Je ne peux pas, mon compte a été désactivé.

- Utilisateur 2 : Salut, je viens juste de voir votre post. Pouvez-vous vous connecter à votre compte et me dire ce que quelque chose dit ?

- Moi : Mais puisque JE VOUS DIS que JE NE PEUX PAS me connecter à mon compte !

- Utilisateur 1 : Ok, ne vous énervez pas, pouvez-vous faire quelque chose qui implique que je sois connecté ?

- Moi : Mais NON ! Je ne peux pas DU TOUT me connecter à mon compte !!!

Puis la conversation a été fermée par quelqu’un et j’ai abandonné, après 5 jours. Je comprends la philosophie qui est derrière les forums modérés par les utilisateurs eux-mêmes. Mais dans de nombreux cas, les problèmes sont hors de portée des autres utilisateurs. Je ne demande pas comment activer les émoticônes dans une signature Gmail ou comment modifier ma photo de profil. Mon problème est un problème grave pour lequel une voie de secours sérieuse devrait être disponible. Je pense mettre le doigt sur une critique valide des insuffisances de l’aide gérée par les communautés d’utilisateurs en ligne. Google a mis en place une gestion type Ferme des Animaux sur son site avec des utilisateurs qui pour la plupart sont bien intentionnés mais complètement incapables de prendre des décisions à un niveau administrateur ou d’offrir de l’aide à un tel niveau.

Et cela peut fonctionner en douceur aussi bien pour l’utilisateur que pour l’entreprise, du moment que l’entreprise reste impliquée et prend ses responsabilités quand la résolution d’un problème est entièrement hors de portée d’un autre utilisateur. Google ne fait pas cela.

“Comme dans un cauchemar kafkaïen”

Je me fiche qu’un service Google soit gratuit. C’est Google qui adopte l’approche : “Vous n’aimez pas ? Tant pis, de toutes façons c’est gratuit”. Gratuit ou non, tous les utilisateurs sont dans l’orbite de Google et c’est en nous montrant des publicités que Google a gagné ses milliards de dollars. Il n’y a pas d’autre société cotée en bourse et du niveau de Google qui ne propose pas un support simple et complet à ses utilisateurs.

En plus des forums, j’ai également rempli tous les formulaires et demandes que j’ai pu trouver, et tenté de contacter chaque bureau et même chaque personne dans les deux bureaux de Manhattan. Mais pas une seule personne n’a été capable de m’aider, ce que je trouve choquant et exaspérant comme dans un cauchemar kafkaïen. Un employé m’a même répondu qu’il ne savait pas ce que je devais faire, ajoutant : “Honnêtement, je n’utilise même pas Google” !

Après avoir exploré tous les canaux possibles pour obtenir de l’aide, j’ai finalement été contacté tout à coup par un employé de Google qui a vu par hasard mes protestations sur Twitter, un service que j’ai utilisé suite à l’absence complète de support à la clientèle de Google. Il a dit qu’il allait essayer de contacter des personnes chez Google pour m’aider à restaurer mon compte. Après plusieurs échanges d’emails avec lui, il m’a rapporté qu’il avait parlé à quelqu’un de chez Google qui lui a dit que mon compte avait été désactivé, sans lui dire pourquoi. Il a essayé d’expliquer que ça devait être une erreur, mais ils ne pouvaient pas se l’expliquer eux-mêmes.

Alors Google, voici autre chose à laquelle je voudrais que vous réfléchissiez. L’un de vos propres employés est allé vers vous pour moi et vous a indiqué que vous aviez désactivé mon compte par erreur, et votre réponse a été : “non, on est presque sûr que non”. Votre propre employé a dit : “écoutez, j’ai parlé à cette personne et je pense qu’une erreur a été faite, vous devriez revérifier ou lui parler”. Et à nouveau, votre réponse a été “non, on est presque sûr”. Alors, posez-vous la question, quelqu’un comme moi qui a vu son compte être désactivé se lancerait-il dans une telle campagne vociférante et bruyante pour parler à quelqu’un de chez Google afin de leur expliquer qu’une erreur a été commise et que des années de données importantes ont été détruites, quelqu’un comme moi qui aurait volontairement mené des activités illégales sur son compte ferait-il cela ? Vous avez seulement besoin de bon sens pour répondre.

D’autres éléments : J’ai eu des comptes Hotmail, Yahoo, AOL et Compuserve et jamais l’un de ces comptes n’a été désactivé. Lorsque l’une de ces entreprises pensait que mon compte était compromis, elle m’en a averti et j’ai changé mon mot de passe. Pourquoi Google ne m’a-t-il pas notifié, à l’adresse email alternative que j’ai fournie à l’inscription, avant de prendre la décision de désactiver mon compte ? Cela me laisse perplexe. Si vous dites que j’ai violé certaines Conditions Générales d’Utilisation c’est votre droit, et dans ce cas il est justifié de résilier mon compte. Mais je vous demande maintenant un minimum de preuves de cette violation.

Concernant toute violation, je veux être tout à fait clair : je n’ai causé aucune infraction aux Conditions Générales d’Utilisation. Si Google pense que quelque chose a été fait de mon côté, je les défie de me dire ce que c’est. Je n’ai d’aucune façon violé de Conditions d’Utilisation, c’est un fait. Je voudrais signaler que quelques jours avant que mon compte ne soit désactivé j’obtenais des messages d’erreur quand j’essayais d’accéder à Google.com via Chrome. Je sais que je ne suis pas la seule personne que je connais à qui cela est arrivé. Mes amis et membres de ma famille utilisant Chrome obtenaient des messages d’erreur en essayant d’accéder à Google.com. Je pense que c’était des avertissements de redirections ou de certificat du site. J’ajoute que mon compte Google Plus se comportait de façon étrange lui aussi avant la désactivation de mon compte. Mais je lance des vérifications antivirus régulièrement et je n’ai jamais eu de virus. Une quelconque “violation perçue” est une méprise de la part de Google, ceci aussi est un fait.

La menace Google

Vous avez coupé mes moyens de communication, perturbé ma vie personnelle et professionnelle, détruit de larges parties de mes données personnelles et professionnelles, m’avez accusé de quelque chose sans me dire de quoi, avez bloqué toute communication directe avec mon accusateur, et ne m’avez donné aucune possibilité de faire appel de cette décision ou de parler à quelqu’un des faits connus dans cette affaire. Cette entreprise se dirige vers une voie très, très menaçante, si elle continue ainsi.

Plusieurs appels ont été faits à l’ONU pour que l’accès à Internet, aux communications essentielles et aux services d’information deviennent des Droits de l’Homme. En Grèce, en Espagne, en France et en Scandinavie, cela a déjà été accordé. Ce ne sera pas long avant que des lois ne soient mises en place concernant les comptes personnels utilisés pour accéder à ces services de communication et d’information, et des lois régulant la sauvegarde des informations personnelles contenues dans ces comptes, comme les correspondances. Il est impardonnable qu’une entreprise telle que Google, qui fait tant de déclarations sur les bonnes pratiques dans les domaines de la communication et de l’information, n’ait pas pris d’elle-même l’initiative et ait à la place choisi de traîner les pieds tant qu’elle n’y est pas contrainte par les gouvernements.

Les entreprises comme Google profitent des lois actuelles et écrivent dans leurs Conditions Générales d’Utilisation des choses telles que :

…vous accordez à Google le droit permanent, irrévocable, mondial, gratuit et non exclusif de reproduire, adapter, modifier, traduire, publier, présenter en public et distribuer tout Contenu que vous avez fourni, publié ou affiché sur les Services ou par le biais de ces derniers.
(NdT : Tiré directement de la version française)

Ces conditions ne sont pas viables et je ne doute pas qu’elles seront modifiées à un moment ou à un autre à l’avenir. De nombreux grands médias, tel que le Washington Post, ont déjà commencé à scruter Google et d’autres entreprises qui ont choisi d’imposer de telles drastiques conditions à leurs clients. Voir Google agir de la sorte est infect et inexcusable.

Et je m’inquiète réellement de l’avenir de la dissidence sociale et politique qui devra se battre pour exister dans l’œil du cyclone formé par les réseaux sociaux et l’actuelle politique de Google. Un climat dans lequel la Responsable de la Vie Privée chez Google, Alma Whitten, a encensé YouTube comme un moyen pour les activistes politiques de poster du contenu de manière anonyme. Quelques mois plus tard, une nouvelle décision interne éliminait tranquillement toute possibilité de publier anonymement.

“J’ai toujours été un apôtre et un fidèle de Google. Aujourd’hui c’est terminé.”


Je tiens aussi à mentionner qu’en aucun cas je n’ouvrirai un autre compte Google.

Comme je l’ai déjà dit, j’ai toujours été un apôtre et un fidèle de Google. Aujourd’hui c’est terminé. Je vais en finir avec les Google Apps qu’utilise mon entreprise et laisser tomber tous les autres produits Google que j’utilise, même les services comme Google News que je consultais auparavant plusieurs fois par jour. J’étais même sur le point de remplacer mon iPhone par un téléphone tournant sous Android. Au lieu de cela, je vais dépenser la même énergie que je consacrais à encenser Google à dénoncer cette entreprise que je considère désormais comme extrêmement nuisible et aux pratiques honteuses. Je vais écrire à mon sénateur, vendre mes actions et contacter ma banque à propos de l’argent que j’ai versé pour le domaine et l’espace de stockage qui sont à présent inaccessibles. Je vais faire pression sur Google par tous les biais possibles pour qu’ils m’expliquent ce qu’ils ont perçu comme une violation de leurs Conditions d’Utilisation. Ces conditions que Google nous présente lors de l’ouverture d’un compte : “Google se réserve le droit de clore votre compte à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison, avec ou sans préavis” ne sont pas des termes défendables (pour certains points, je pense qu’un tribunal pourrait conclure que ces termes sont inacceptables).

Google est une entreprise à qui les gens confient de nombreuses données personnelles dont ils dépendent fortement. C’est pourquoi Google doit fournir la preuve de ce qui cause la désactivation d’un compte. Une fois de plus, on ne peut pas prendre l’argent des gens et avoir un monopole sur des pans entiers de l’Internet sans montrer un minimum de responsabilité vis-à-vis de ses clients. J’ose espérer que Google sera forcé de fournir un moyen de récupérer ses données personnelles telles que sa correspondance ou ses contacts lors de la fermeture d’un compte.

Le fait que pour le moment Google n’offre pas cette option lorsqu’il désactive arbitrairement le compte d’un utilisateur ne fait qu’ajouter l’insulte aux dommages causés.

Quand je pense à tout le business que j’ai fait faire à Google, à tout l’argent que j’ai apporté à cette entreprise, à tous les gens que j’ai convertis de Yahoo ou d’Hotmail, à tous les prêches que j’ai faits envers Android, à tout le travail que j’ai consacré à la souscription de mon entreprise à Google Apps, ça me met en rage et je regrette tout ce que j’ai fait. Et je vais faire tout ce qui est humainement possible pour défaire toutes ces actions, ainsi que pour mettre Google sous pression pour qu’elle devienne une entreprise plus responsable.

Honte à vous et à vos associés ainsi qu’à vos employés qui tolèrent de telles pratiques d’entreprise déplorables, déshonorantes et répréhensibles !


Article initialement publié sur Framablog sous le titre “Google m’a tuer”.

Traduction Framalang : Marting, Slystone, Siltaar, Juu, Padoup et Goofy.

Illustrations Cc FlickR: tangi_bertin, gabrielsaldana, psd, dullhunk

Image de Une © Fotolia

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Google Plus, la dictature des vrais noms http://owni.fr/2011/08/08/google-plus-dictature-vrais-noms-anonymat-identite/ http://owni.fr/2011/08/08/google-plus-dictature-vrais-noms-anonymat-identite/#comments Mon, 08 Aug 2011 19:12:49 +0000 Danah Boyd http://owni.fr/?p=75724 Les liens de cet article sont en anglais.

Tout le monde parle des“nymwars” [(contraction des termes anglais Anonym et Wars (guerres)], suite à la décision de Google Plus d’appliquer sa politique qui n’autorise que les comptes utilisant le “vrai nom” de leurs utilisateurs. Au départ, Google Plus a été pris d’une frénésie de suppression, éliminant les comptes qui enfreignaient la règle. Quand la communauté a fait part de son indignation, les dirigeants de Google Plus ont essayé d’apaiser leur colère en détaillant leur “nouveau” mécanisme “amélioré” pour appliquer la règle des “vrais noms” (en évitant de supprimer des comptes). Cela n’a fait qu’intensifier la discussion autour de la valeur du pseudonymat.

Des dizaines d’articles de blogs défendant le pseudonymat sont apparus, chacun détaillant ses arguments. L’un de ces articles, signé Kirrily “Skud” Robert, contenait une liste d’arguments provenant d’un sondage organisé sur son blog.

  • “Je suis un professeur de lycée, ma vie privée est d’une importance cruciale”
  • “J’utilise ce nom dans le cadre de mon travail. Toute ma famille et mes amis connaissent ce nom. Il me permet de participer aux discussions en ligne sans être sujet au harcèlement que j’ai déjà subi et qui avait poussé mes employeurs à changer leur numéro, pour pouvoir recevoir leurs appels.”
  • “Je ne me sens pas en sécurité si j’utilise mon vrai nom sur le Web car on m’a déjà retrouvé en utilisant ma présence en ligne et certains collègues ont envahi ma vie privée.”
  • “J’ai été victime de harcèlement . J’ai survécu à un viol. Je suis fonctionnaire et je n’ai donc pas le droit d’utiliser ma véritable identité en ligne.”
  • “J’ai été victime de harcèlement et ma famille en a souffert, cela fait à peu près 7 ans que j’utilise [mon surnom] en ligne.”
  • “[Ce nom] est un pseudonyme que j’utilise pour me protéger. Mon site peut être assez controversé et cela a déjà été utilisé contre moi”
  • “J’aime prendre part à une conversation ouverte et mondiale, mais je ne souhaite pas que mes opinions offensent certains membres de ma famille, ou certaines de mes connaissances qui sont conservatrices et religieuses. Je ne souhaite pas non plus que la carrière gouvernementale de mon mari souffre des opinions de sa femme, ou que son équipe se sente gênée par mes propos.”
  • “J’ai le souci de ma vie privée car j’ai été harcelée  par le passé. Je ne changerai pas de nom pour une page Google+. Au vue du prix que je pourrais payer, cela ne vaut pas le coup.”
  • “Au blog, nous avons reçu des menaces de mort. Donc, même si je ne m’inquiète pas que des personnes saines d’esprit me retrouvent, je ne veux quand même pas partager trop d’informations et préfère utiliser un nom d’auteur.”
  • “J’ai utilisé cette identité pour protéger ma véritable identité: je suis gay et ma famille habite dans un petit village dans lequel ils auraient des problèmes si on apprenait que leur fils est gay.”
  • “J’utilise un pseudonyme pour des raisons de sécurité. Étant une femme, je suis prudente en ce qui concerne le harcèlement sur Internet.”

Vous noterez qu’une thématique se dégage…

Un autre site, “My Name Is Me”, rassemble des témoignages d’individus qui défendent les pseudonymes. Ce qui est le plus frappant, c’est la liste des individus affectés par les règlements de type “vrais noms”. On y retrouve des survivants de mauvais traitements, des activistes, des membres de la communauté LGBT, des femmes et des jeunes.

À longueur d’articles, les gens désignent Facebook comme un exemple où la règle des “vrais noms” fonctionne. Cela m’amuse énormément. L’une des choses qui m’est apparue manifestement clair dans mes recherches c’est que d’innombrables ados qui ont rejoint Facebook tardivement ont choisi d’utiliser des pseudonymes ou des surnoms. Ce qui est encore plus remarquable dans mes données c’est qu’un pourcentage extrêmement élevé de personnes de couleur utilisent des pseudonymes, comparés aux ados blancs que j’ai rencontrés. Bien sûr, cela pourrait se comprendre…

Les individus qui se fient le plus aux pseudonymes dans les espaces virtuels sont ceux qui sont le plus marginalisés par les systèmes de pouvoir. Les règlements de type “vrais noms” ne sont pas émancipateurs ; ils constituent une affirmation du pouvoir sur les individus vulnérables.

Ces idées et problématiques ne sont pas nouvelles (et j’en ai même déjà parlé), mais ce qui est nouveau c’est que les marginaux se rassemblent et prennent la parole. Et dieu merci.

Ce qui est amusant, à mon sens, c’est qu’on ne semble pas se rappeler d’où vient la culture des “vrais noms” développée par Facebook. Quand les premiers utilisateurs (d’abord les étudiant d’universités prestigieuses…) ont adopté Facebook, c’était une communauté digne de confiance. Ils se sont enregistrés sous le nom qu’ils utilisaient dans leur université ou dans l’entreprise dont ils faisaient partie.

Ils utilisaient le nom qui correspondait au réseau avec lequel ils avaient rejoint Facebook. Ces noms n’étaient pas nécessairement leurs noms d’état civil ; beaucoup d’entre eux ont choisi Bill à la place de William. Mais ils étaient, en tout état de cause, “vrais”. Le site s’est développé, et les gens ont été aux prises avec de nouveaux arrivants et une gêne s’est installée au sujet des normes. Mais les normes étaient fixées, et les gens continuaient de s’inscrire en utilisant le nom par lequel ils étaient communément connus.

Au moment où les célébrités ont fait leur apparition sur le réseau, Facebook n’a pas demandé pas à Lady Gaga de se renommer Stefani Germanotta, mais bien évidemment, elle avait sa “page fan”, et était de fait séparée de la foule. Pendant ce temps là, ce dont beaucoup ne se sont pas rendus compte, c’est que de nombreux jeunes noirs et latinos se sont inscrits sur le réseau en utilisant des pseudonymes. La plupart des gens ne remarque pas ce que font les jeunes noirs et les jeunes latinos sur le Web.

De la même façon, des individus situés en dehors des États-Unis ont commencé à s’inscrire en utilisant des pseudonymes. Là encore, personne ne l’a remarqué puisque les noms traduits de l’arabe ou du malaisien, ou contenant des phrases en portugais, n’étaient pas particulièrement remarquables pour ceux chargés de faire respecter la règle des “vrais noms”. Les “vrais noms” ne sont en aucun cas universels sur Facebook, mais l’importance des “vrais noms” est un mythe que Facebook aime à faire valoir. Et, pour la plupart d’entre eux, les américains privilégiés utilisent leurs vrais noms sur Facebook. Donc, ça “a l’air” correct.

Puis est arrivé  Google Plus, qui croit pouvoir dicter une règle des “vrais noms”. Sauf qu’ils ont commis une grave erreur. Ils ont permis à la communauté technophile de s’inscrire dans les 48 heures qui ont suivi le lancement. Le problème avec cette communauté est qu’elle a une longue histoire d’utilisation de pseudonymes ou autres surnoms. Et c’est cette communauté qui a du définir les premières normes sociales du site, au lieu d’être socialisée à ces normes par des étudiants confiants qui pensaient avoir rejoint un site qui leur était réservé.

Ce n’était pas la bonne recette pour mettre en place un règlement de type “vrais noms”. Au contraire. Le pire pour Google, c’est que les membres de cette communauté sont TRÈS contents de parler FORT quand ils sont énervés. Alors que d’innombrables noirs et latinos utilisent des pseudonymes sur Facebook depuis le début (comme ils le faisaient d’ailleurs sur Myspace), ils n’ont jamais remis en question la politique de Facebook. Il s’agissait plus d’une approche “vivre et laisser vivre”. Google et sa communauté forcée à l’utilisation de vrais noms n’ont pas été aussi chanceux. Les gens sont maintenant EN COLÈRE.

Je suis personnellement enchantée de voir autant d’indignation. Je suis vraiment très heureuse de voir que des individus très privilégiés prennent ce sujet à coeur, parce que, même si ils sont les moins susceptibles de souffrir de cette règle des “vrais noms”, ils ont l’autorité pour s’élever face au pouvoir. Et tout autour du Web, on souligne le fait que ce sujet est plus profond que de simples noms rigolos (et qu’il est beaucoup plus complexe que sa réduction au simple concept d’anonymat, comme le pensait bêtement Randi Zuckerberg de Facebook).

Ce qui est en jeu c’est le droit des individus à se protéger, leur droit de véritablement maintenir une forme de contrôle qui les sécurise. Si des entreprises comme Facebook ou Google sont vraiment engagées à protéger leurs utilisateurs, elles doivent prendre ces critiques au sérieux. Tout le monde n’est pas plus en sécurité en donnant son vrai nom. Au contraire. Beaucoup de gens sont beaucoup MOINS en sécurité en étant identifiables. Et ceux qui sont le moins en sécurité sont souvent ceux qui sont le plus vulnérables.

De même, le problème de la réputation doit être renversé quand on pense aux individus marginalisés. On s’intéresse aux gens qui font usage de pseudonymes pour masquer leur identité et, en théorie, “protéger” leur réputation. L’hypothèse que cela implique est que l’observateur est qualifié pour évaluer la réputation de quelqu’un. Beaucoup trop souvent, et particulièrement avec les individus marginalisés, l’observateur sort l’individu de son environnement et, en se fondant sur ce qu’il trouve en ligne, ne le juge pas convenablement. Je vais tâcher d’expliquer cela en prenant un exemple dont beaucoup d’entre vous ont du entendre parler.

Il y a des années, j’ai reçu un appel en provenance d’un employé d’une université prestigieuse qui voulait admettre un jeune homme noir originaire de South Central [un quartier défavorisé de Los Angeles]. Le jeune homme avait rempli son formulaire d’admission en expliquant qu’il voulait quitter sa communauté infestée par les gangs. Les employés de l’université avait pourtant trouvé sur son compte MySpace des symboles d’un gang.  La question qui m’était posée était “Pourquoi nous mentirait-il alors que l’on peut trouver la vérité en ligne?”. Connaissant cette communauté, j’étais pratiquement sûre qu’il s’était montré honnête envers l’université; il faisait également ce qu’il devait faire pour rester en vie au sein de sa communauté. S’il avait utilisé un pseudonyme, l’université n’aurait pas pu obtenir ces données hors-contexte et le juger mal à propos. Mais ça n’était pas le cas. Ils estimaient que leur cadre de pensée était ce qui importait le plus. J’espère vraiment qu’il est parvenu à intégrer cette université.

Il n’y a pas de contexte universel, peu importe ce que les geeks peuvent vous dire.  Mais si les gens font le nécessaire pour s’adapter à différents contextes afin de protéger leur sécurité, et pour s’assurer de ne pas être jugés en dehors d’un contexte précis, cela ne veut pas dire qu’ils sont tous des escrocs. Il s’agit au contraire d’une réponse responsable et raisonnable aux conditions structurelles de ces nouveaux médias. Et il est inacceptable de voir les plus puissants et les plus privilégiés dire à ceux qui ne le sont pas qu’il est admissible que leur sécurité soit ébranlée. Vous ne garantissez pas la sécurité en empêchant les gens d’utiliser des pseudonymes, vous sapez leur sécurité.

De mon point de vue, mettre en place des politiques visant à ce que les gens utilisent leurs vrais noms au sein des espaces en ligne est donc un abus de pouvoir.


Article initialement publié sur Apophenia
Traduction Marie Telling et Guillaume Ledit
Illustrations CC FlickR: krissen, martin howard, birgerkin

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Les spin doctors du Net: la vraie vie de Gay Girl in Damascus http://owni.fr/2011/06/29/les-spin-doctors-du-net-la-vraie-vie-de-gay-girl-in-damascus/ http://owni.fr/2011/06/29/les-spin-doctors-du-net-la-vraie-vie-de-gay-girl-in-damascus/#comments Wed, 29 Jun 2011 10:28:31 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=72191 Rapide rappel des faits : le 19 mars, celle qui affirme parler sous sa propre identité, Amina Arraf Abdullah, une jeune femme syro-américaine, ouvre son blog. En anglais, A Gay Girl in Damascus tient la chronique des manifestations en Syrie, lesquelles commencent « officiellement » le 15 mars. Au fil des semaines, A Gay Girl in Damascus attire de plus en plus l’attention des médias, notamment à la suite d’un billet, publié le 26 avril. Intitulé My father, the hero, il raconte comment la courageuse militante échappe à l’arrestation grâce à l’intervention, non moins courageuse, de son père auprès de « deux jeunes hommes, d’une vingtaine d’années, vêtus de vestes de cuir noir »

Pour quelques observateurs, ce best-seller du web, si on peut oser l’expression, suscite alors les premières interrogations. Amina a beau annoncer qu’elle va entrer dans la clandestinité, ils mènent l’enquête, y compris lorsqu’un billet, mis en ligne par « une cousine », annonce, dans les premiers jours de juin, l’arrestation de la jeune femme. Sous un déluge de tweets affolés et alors que la page Free Amina Abdulla (sic! en principe il faut un « h » à la fin) sur Facebook réunit déjà près de 15 000 membres, le Guardian, qui a largement contribué à la célébrité de la jeune lesbienne damascène fait part de ses questions, dès le 8 juin. Le 12, le véritable auteur est démasqué : Tom MacMaster, un Étasunien de 40 ans inscrit en master à l’université d’Edimbourg, écrit un dernier billet, à ce jour (le 13, depuis Istanbul) ; il y présente ses excuses aux lecteurs. « Mis en ligne par Amina », le billet, qui explique en gros que lui, Tom, n’a jamais eu l’intention de mal faire mais qu’il s’est fait prendre à son propre jeu, se termine par un appel au soutien des véritables héros, ceux qui font la révolution dans le monde arabe :

I want to turn the focus away from me and urge everyone to concentrate on the real issues, the real heroes, the real people struggling to bring freedom to the Arab world. I have only distracted from real people and real problems. Those continue; please focus on them. (Je veux qu’on arrête de s’intéresser à moi et j’invite tout le monde à se concentrer sur les vrais problèmes, les vrais héros, les personnes réelles qui se battent pour apporter la liberté au monde arabe. J’ai distrait des vrais personnes et des vrais problèmes. Eux continuent, intéressez vous à eux s’il vous plait)

« Une illusion »

Fin de l’histoire ? Pas tout à fait car, sur Facebook parfois si empressé de faire le ménage dans ses pages (notamment pro-palestiniennes, voir ce billet), le groupe Free Amina Abdulla est toujours accessible, tout comme le blog d’Amina, l’homosexuelle de Damas. Pas vraiment mortifié par ce qui lui est arrivé, Tom MacMaster s’est contenté de supprimer quelques billets (notamment celui qui annonçait l’arrestation de son « héroïne »). Il a surtout modifié le titre, qui est désormais présenté entre guillemets (« A Gay Girl in Damascus ») et suivi d’une « précision » : an illusion.

Ce dernier sous-titre, fidèle à sa ligne de défense (Amina est une fiction, mais en quelque sorte « plus vraie que nature ») est explicité par une courte phrase, elle aussi rajoutée par rapport à la première présentation du site, disant en gros qu’on aurait tort de s’en prendre à celui qui a su vous émouvoir en racontant une histoire qui s’avère ne pas être la réalité :

The Image is not the Real; When you realize that you were reading a story, rather than the news, who should you be angry at? The teller of tales that moved you? (L’Image n’est pas Réelle. Quand vous réalisez que vous lisiez une histoire et non des informations, sur qui faudrait-il reporter sa colère ? Le conteur qui vous a ému ?)

Enfin, tout en bas de la page qu’il faut faire défiler en entier pour les faire apparaître, quelques lignes, avant les crédits du site, précisent que le blog est une sorte de « fiction interactive », solidement basée sur des faits authentiques, même si Amina, création de l’auteur, n’est, elle, qu’une fiction :

About this blog. This blog was designed as an interactive fiction. The news, historical and social information contained in it is based solidly on fact. However, the narrative voice, that of Amina A., is fictitious. Her character is based on many real people but in no way is she meant to represent any single real individual, living or deceased. She is the sole creation of the author of the blog. (À propos de ce blog. Ce blog a été conçu comme une fiction interactive. Les informations historiques et sociales que ce blog contient sont basées sur des faits. Néanmoins, la voix narrative, celle d’Amina A. est fictive. Son personnage est basé sur plusieurs personnes réelles mais elle n’est en aucune façon destinée à représenter un seul individu, qu’il soit vivant ou mort. Elle est la création de l’auteur de ce blog.

Une quinzaine de jours après la découverte de son « canular », Tom MacCaster a publié (ce qui n’est pas forcément) un ultime billet, sous le titre : Trop nul ! Tout le monde s’en fout ! (« That kinda sucks ». Not that anyone cares). Ultimes explications pour la nouvelle vie dans le cyberespace du blog d’Amina, qui s’obstine toujours à ne pas s’afficher tout à fait comme une « vraie » fiction mais plutôt comme une fiction qui mériterait d’être vraie…

Apparemment, cette manière de ne pas vouloir « faire mourir » la blogueuse de Damas trouve un écho ailleurs que chez son inventeur ou que chez les administrateurs de la page Free Amina Abdulla… Alors que la vérité sur la véritable nature de ce blog a déjà éclaté, de nombreux commentaires continuent à souhaiter la libération de la jeune femme, à saluer son courage. Plus d’une réaction explique en substance, à la manière de Tom MacMaster, que l’histoire n’est peut-être pas véridique mais qu’elle aurait mérité de l’être. En somme, la fiction dépasse la réalité et c’est très bien ainsi dans le meilleur des mondes virtuels…

Mascarade politique

Comme se le demande à haute voix ou presque Brian Whitaker, le journaliste vedette du Guardian : pourquoi diable un homme marié en Écosse voudrait-il se faire passer pour une lesbienne vivant à Damas ? Le jour même, deux jeunes journalistes d’origine arabe (cela importe par rapport à leur analyse), Ali Abbas et Assia Boundaoui, proposent une réponse : pourquoi cette fiction précisément et pourquoi un tel succès ? Plutôt qu’on ne sait quelle théorie du complot, ils s’intéressent à la signification « profondément » politique de cette mascarade en définitive assez obscène qui voit un « vieil étudiant » passionné de Proche-Orient se glisser dans la peau d’une jeune Syrienne désirable.

Parce que la fiction de MacMaster est un piège trop doux (honey trap en anglais) ! Un piège qui épouse parfaitement tous les clichés « occidentaux » sur le monde arabe et/ou sur l’islam. Et parce que, plus profondément, ce qui nous intéresse dans cette histoire (i.e. les soulèvements arabes, à commencer par celui qui se produit syrien), c’est moins la vérité/réalité que l’émotion qu’elle nous procure (avec ce charming petit « plus » d’une délicieuse transgression sexuelle de la part d’une femme de cette religion qui nous résiste tant !). Dans l’imposture de Macmaster, le mensonge, la tromperie sont en définitive moins insupportables que cette manière de prétendre parler à la place des autres, de se substituer aux premiers concernés, les Arabes, qui n’existent, en fin de compte, que par la bonne volonté de notre regard supérieur et complaisant. Les deux auteurs le disent très bien, mais dans un anglais un peu compliqué fort heureusement traduit vers le français par l’indispensable « Des bassines et du zèle », à laquelle nous empruntons les extraits suivants :

Si ce fantôme virtuel [cyber ghost] a été adopté si facilement par les medias et les lecteurs attentifs, c’est parce qu’il est emblématique de tous les clichés qu’utilisent les occidentaux qui se placent dans la position d’interprètes éminents de la société et de la culture moyen-orientales. (…) Il ne devrait pas y avoir besoin de l’histoire fictive d’une lesbienne syrienne pour affirmer les droits des manifestants syriens qui sont actuellement atrocement réprimés par les instances gouvernementales. Mais si l’objectif est de susciter l’émotion et de distraire, alors MacMaster a réussi à prouver que la vérité sur les Arabes passe après la perception et les sentiments qu’ont les occidentaux à leur égard.

A cette première lecture politique, on est tenté d’en ajouter une autre, sous forme d’interrogation cette fois sur ce que l’on pourrait appeler le contexte, en l’occurrence l’entourage numérique, du récit de la Gay Girl in Damascus, à savoir la mise en circulation de différentes narrations qui ont prospéré sur le réseau des réseaux au temps du « printemps arabe »… A la suite d’une fort intéressante enquête – et en définitive bien peu commentée – dans Libération, Christophe Ayad en arrivait à s’interroger sur la dimension en partie légendaire du récit officiel de la mort de Mohamed Bouazizi, et des circonstances de son suicide (en l’occurrence une gifle donnée par une policière [une femme, encore!]). De l’aveu même des premiers concernés que le journaliste est allé rencontrer, ce récit a été délibérément manipulé, et même créé, par les acteurs du soulèvement (en l’occurrence un militant homonyme de la victime, mais sans parenté avec elle, Lamine Al-Bouazizi, ainsi que le propre frère de la policière accusée…).

Fictions devenues réalités

Comme le prouve assez bien la personnalité de l’auteur de cet article dans Libération, s’interroger sur ces fictions devenues réalités dans le récit révolutionnaire, ce n’est pas remettre en cause la réalité de ces soulèvements, ni même leur ôter quoi que ce soit de leur légitimité… Au contraire, on peut penser que les soulèvements dans le monde arabe recevront un soutien d’autant plus efficace que ceux qui le leur accorderont le feront en toute lucidité, en tout cas avec le moins possible de naïveté ou même d’aveuglement. Toutefois, qu’on le veuille ou non, il va falloir s’habituer à scruter le Net comme on a pris depuis longtemps (en principe) l’habitude de scruter les médias traditionnels, pour éviter, autant que faire se peut, d’être trop souvent pris au piège de ses trop belles légendes…

De ce point de vue, on ne peut qu’alerter sur les dangers d’une croyance trop naïve et trop facile dans les vertus des réseaux sociaux et leurs pouvoirs révolutionnaires : d’un côté, certaines scènes arabes nous montrent leurs limites (voir ce précédent billet) tandis que, de l’autre, un peu de vigilance nous révèle que tous les côtés de la Toile ne sont pas toujours très nets… Internet – tout à fait officiellement désormais que le Pentagone envisage de considérer une cyber-attaque comme un acte de guerre formel – est désormais un champ de bataille virtuel. Un champ de bataille où les lignes de front se dessinent selon des stratégies qui s’appuient sur des sortes de « cristallisations » créées au sein de la Toile par des récits qui y prennent corps mieux que d’autres, au point de devenir des sortes de légendes qu’il n’est plus guère possible d’interroger… Au fur et à mesure qu’Internet gagne en importance, en puissance, et en histoire, il est à craindre qu’il perde de son innocence et qu’il devienne soumis à des techniques, à des programmations à des manipulations, capables d’y recréer, artificiellement, les « coagulations de sens » que sa logique technique favorise, en quelque sorte naturellement. Les spin doctors du Net, ces conseillers en communication politique d’un nouveau type, sont déjà à l’œuvre.


Article initialement publié sur Culture et Politique arabe
Crédits Photo FlickR CC by-nc-nd mugley

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http://owni.fr/2011/06/29/les-spin-doctors-du-net-la-vraie-vie-de-gay-girl-in-damascus/feed/ 4
La guerre de l’identité a commencé http://owni.fr/2011/01/04/la-guerre-de-lidentite-a-commence/ http://owni.fr/2011/01/04/la-guerre-de-lidentite-a-commence/#comments Tue, 04 Jan 2011 15:01:24 +0000 Cyroul http://owni.fr/?p=41095 Mon nouveau nom est Nostradarabanne. Il y a 3 ans, je prédisais la guerre Google / Yahoo / Microsoft. Il y a 2 ans, la guerre Myspace / Google / Facebook. Et bien je me trompais à peine. En fait, ils vont tous faire la guerre pour votre identifiant unique. Et les hostilités ont été lancées ce mois-ci par Philippe-Auguste Google et Jean-Marc Facebook. Gageons que cette guerre va s’étendre à tous les acteurs de l’identité numérique. Et ils sont nombreux. L’internet lui-même résistera-t-il à cette folie ?

Alors pourquoi cette guerre ? Comment ? Quelles sont les conséquences pour les internautes ? Vous le saurez dans cet article rédigé par notre correspondant digital : Bernard Henry Cyroul.

Prends ça, Google ! Et toc, facebook !

Tout  a commencé en Aout, par la montée de la pression de Google / Verizon concernant la neutralité du net. Car on parle beaucoup de net-neutralité pour dénoncer la surveillance de l’état, mais on oublie que les grands géants américains peuvent regarder vos données privées sans forcément risquer quoique ce soit (de toutes façons, vous ne le saurez pas). Google, voulant imposer l’idée de net-neutralité au Congrès, s’est vu confronté à un Facebook sans philosophie, à part celle du profit.

Ensuite se sont multiplié les escarmouches de plus en plus violentes. Réponse de Facebook : nous ne voulons pas ouvrir notre API pour permettre aux acteurs d’Internet d’utiliser “nos” bases contacts (et oui, pauvre internaute, les infos que tu as mis sur FB ne sont plus à toi). Réponse de Google : et bien dans ce cas, vous n’avez plus le droit d’utiliser notre API permettant de récupérer votre carnet d’adresse Gmail sur Facebook. Réponse de Facebook : et bien on va tricher alors.

Ces passes d’arme annonçaient la suite : le lancement en grande pompe de Facebook mail, outil de consultation d’e-mail sur FB. On se pose alors la question : Facebook Messages attaque-t’il le Gmail de Google ou celui de Microsoft : hotmail ?

La guerre des carnets d’adresse est déclarée

Est-ce une guerre idéologique ? D’un côté, un Google voulant protéger les données personnelles de l’ingérence et de l’autre un Facebook voulant les garder pour lui ? Non, la réalité est plus triste que ça. Il s’agit d’une guerre des carnets d’adresse. Car ce qui est encore plus intéressant que vos photos de vacances où vous êtes saouls, ce sont vos contacts et leurs adresses e-mail. Un profil simple n’intéresse par ces entreprise. Mais un profil de 150 “amis” devient beaucoup plus profitable. Facebook a construit sa valorisation sur cette notion de “réseau personnel profitable”.

Google ne l’avait pas compris (ou ça ne l’intéressait pas). Il y avait bien Google Profile, mais il ne servait pas à grand chose (une sorte d’agrégateur mélangé à un wall insipide). Et pourtant Google avait tout pour créer le plus grand réseau social du monde mais s’est égaré sur des projets à la Google Buzz (sorte de wall privé-public qui a bad-buzzé).


Et puis le 26 juin de cette année, il y a eu le tweet de Kevin Rose (le fondateur de Digg) qui annonçait un projet “Google Me“. Basé sur les profiles, ce Google Me serait la réponse de Google à Facebook. Un Facebook ergonomique, à l’API ouverte, avec la possibilité de profiter des outils Google ? Tentant (et donc buzzant). D’après Eric Schmidt (le CEO de Google), Google Me devrait même arriver cet automne (ils doivent bosser en ce moment chez big G)…

C’est la conjonction entre le lancement de “Google Me” et la pression de Google pour les formats ouverts qui a déclenché officiellement la  guerre des carnets d’adresse. Mais il serait faux de penser que cette guerre n’aura lieue qu’entre les 2 grands. Non, d’autres belligérants vont se joindre à la bataille.

La grande guerre mondo-digitale

Car il y a beaucoup d’acteurs qui s’intéressent à l’identification numérique.

Tout d’abord les grands puissances :

Google et Facebook évidement, mais aussi Yahoo et son Yahoo ID comme j’en parlais en 2007 (Yahoo qui utilise une stratégie d’adossement à d’autres acteurs comme Twitter ou Zinga).

Et puis il y a les challengers en place:

Windows Live (qui continue d’essayer de se vendre), Twitter (qui s’installe tranquillement en essayant d’être le plus discret possible), Linkedin (qui commence à ouvrir de plus en plus son API).

Mais vont aussi se joindre à la bataille ceux qui développent des identifiants numériques depuis longtemps sous le nom d’identifiant client. On y trouve les réseaux verticaux (thématiques) comme Ping par exemple (qui fait se  rapprocher Apple et Twitter), mais aussi tous les programmes de Social CRM (Nike avec son Nike ID, Nokia, Amazon), ou les projets d’identifiant uniques certifiés basés (j’ai découvert hier soir au Lab de SFR, un projet en fonction d’identifiant unique basé sur la carte SIM de votre téléphone).

Et il y a les futurs perdants :

AOL, Myspace, et même Skyrock, qui ont trop traîné avant de se mettre à exploiter leurs connectés. Mais il y a aussi tous les réseaux sociaux localisés ou spécialisés : les Tuenti (en Espagne), Bebo (en Angleterre), Trombi et copainsdavant, etc. qui, par manque d’ambition (ou de courage de leur financements), n’ont pas privilégié des protocoles ouverts et se sont contentés de capitaliser leur base client, sans investir et développer leur activité. Un modèle économique statique, qui, même si il a généré pas mal de profit (on l’espère pour eux), s’avère au final être un beau gâchis quelques années après. Sur Internet, tu évolues ou tu meurs.

Et il y a ceux qu’oublie toujours:

Car on parle beaucoup de Facebook, “le plus grand réseau social du monde”, mais l’occident n’est pas le monde. Et beaucoup de grands réseaux sociaux étrangers ne voient pas du tout leur suprématie menacée par Zuckerman. Je pense notamment à  Vkontakte et Odnoklassniki en Russie, à Mixi au Japon, Qzone en Chine ou encore Orkut au Brésil (d’ailleurs Orkut a été acheté par Google).

Il y a également toutes les volontés de standardisation (et d’ouverture véritable) de ces identifiants de connexion. OpenID, OpenSocial et DataPortability, etc. Mais je laisse Fred Cavazza vous en parler, il le fera mieux que moi. On attend aussi la sortie de Diaspora, le réseau gratuit-open-source-libre, censé être un concurrent de Facebook, et qui sortira… peut-être un jour.

Digital War is good for… Absolutely everything !

Dans la  vraie vie, les guerres sont déclenchées par ceux qui y trouvent un intérêt économique au détriment des populations qui les subissent. Sur Internet, c’est le contraire. Les guerres seront au profit des internautes, pour la plus grande consternation des actionnaires.

Car, il faut savoir qu’Internet est le paradis des monopoles. Il faut donc que des ajustements se produisent, que des contrepoids se créent. Et les guerres digitales servent à ça : mélanger les cartes pour le plus grand bonheur des participants (mais pas du monopoliste).

Rappelez-vous l’hégémonie de Microsoft dans les années 90. Elle semblait immuable et inéluctable pour notre plus grande consternation (essayez de débugger une page html sous IE5 Mac pour voir). Et puis, les affrontements contre la suprématie Microsoft ont commencées.

Et aujourd’hui, nous avons plus d’OS et de navigateurs que jamais, pour notre plus grand confort. Microsoft a même été obligé de sortir un Windows 7 pas trop mal. Quelle évolution en 10 ans. Et tout ça grâce à ces guerres digitales (Google en fait les frais aujourd’hui).

Vive la guerre des carnets d’adresse !

La guerre des carnets d’adresse est bénéfique.

  • Elle accélèrera l’innovation qui devient vitale. Google a trainé des pieds sur ce sujet pendant des années, il était temps qu’il s’y mette.
  • Elle donnera le choix aux internautes et donc la liberté. Car vous préférez mettre tous vos œufs dans le même panier ? Confier vos photos et adresses à Facebook pour qu’un jour on vous fasse payer leur consultation ? Rappelez-vous Last Time for LastFM.
  • Elle permettra à de nouveaux acteurs d’émerger. Car si Google propose un carnet d’adresse ouvert, nul doute que nombre de nouveaux services vont voir le jour pour exploiter (à des fins commerciales ou non) ces données.

La compétition est donc indispensable sur Internet. Certes, elle agacera les faux-professionnels du marketing digital qui vous ont conseillé votre appli FB à 350 k€, les directeurs des achats ou les responsables informatiques des grosses boites qui ont investi dans telle ou telle technologie à la mode ce mois-ci. Ces métiers seront obligés de réfléchir sérieusement à leurs investissements et choix stratégiques, en bref, de faire leur travail sans se planter.

Cette compétition fera le bonheur des internautes, et de ceux capables d’anticiper les évolutions. Alors vive la compétition digitale, vive la guerre (je n’aurais jamais cru écrire ça un jour) !

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Article initialement publié sur le blog de Cyroul

>> Photos flickr Constantine Belias ; Paul Walsh

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Quelle philosophie est inscrite dans Facebook? http://owni.fr/2010/12/27/quelle-philosophie-est-inscrite-dans-facebook/ http://owni.fr/2010/12/27/quelle-philosophie-est-inscrite-dans-facebook/#comments Mon, 27 Dec 2010 10:35:58 +0000 Xavier de la Porte http://owni.fr/?p=40055 La lecture de la semaine, il s’agit d’un article de Zadie Smith, qui vient de paraître dans la New York Review of Books [en]. Zadie Smith est une jeune écrivaine britannique, dont le premier roman, Sourire de loup, avait connu un succès mondial et parfaitement mérité. Elle signe pour la New York Review of Books un excellent papier sur The Social Network, le film de David Fincher qui raconte la naissance de Facebook. Comme tous les papiers de la New York Review of books, celui-ci est très long, je vous incite tous à le lire dans son intégralité, tant il est intelligent et drôle, je ne vous en donnerai qu’un aperçu.

Zadie Smith fait une longue et très fine critique du film de Fincher, mais, après avoir raconté qu’elle était étudiante à Harvard à peine 9 ans avant Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, elle dit ressentir une forme de malaise devant le monde qu’est en train de fabriquer sa génération. Et essaie de comprendre pourquoi.

“Vous voulez être pleine d’optimisme pour votre génération. Vous voulez aller à son rythme et ne pas vous effrayer de ce que vous ne comprenez pas. Pour le dire autrement, si vous vous sentez mal à l’aise dans le monde qu’elle fabrique, vous voulez avoir une bonne raison pour l’être. Le programmeur de génie et pionnier de la réalité virtuelle Jaron Lanier [en] n’appartient pas à ma génération, mais il nous connaît et nous comprend bien. Il a écrit un livre court et effrayant, You’re not a Gadget, qui fait écho à mon malaise [...]. Lanier s’intéresse à la manière dont les gens se réduisent pour faire d’eux-mêmes une description informatique qui leur semble la plus appropriée. “Les systèmes d’information, écrit-il, ont besoin d’information pour fonctionner, mais l’information sous-représente la réalité.”

La vie devient une base de données

Dans la perspective de Lanier, reprend Zadie Smith, il n’y a pas de parfait équivalent informatique à ce qu’est une personne. Dans la vie, nous en sommes tout à fait conscients, mais dès qu’on est en ligne, on l’oublie facilement. Dans Facebook, comme dans tous les autres réseaux sociaux, la vie devient une base de données. C’est une dégradation, qui, selon Lanier est “fondée sur une erreur philosophique la croyance que les ordinateurs d’aujourd’hui puissent représenter la pensée humaine ou les relations humaines”.

“Instinctivement, reprend Zadie Smith, nous connaissons les conséquences de cette réalité, nous les sentons. Nous savons qu’avoir cent amis sur Facebook, ce n’est pas comme dans la vraie vie. Nous savons que nous utilisons le logiciel pour nous comporter vis-à-vis d’eux d’une manière qui est particulière et superficielle. Nous savons ce que nous faisons “dans” le logiciel. Mais savons-nous, sommes-nous prévenus, de ce que le logiciel nous fait à nous ? Est-il possible que ce que les gens se disent en ligne “devienne leur vérité” ? Ce que Lanier, qui est un expert en logiciel me révèle à moi, qui est idiote en la matière, est sans doute évident pour tout expert en informatique : le logiciel n’est pas neutre. Différents logiciels portent en eux différentes philosophies et ces philosophies, dans la mesure elles sont ubiquitaires, deviennent invisibles.”

La question est évidemment : quelle philosophie est inscrite dans Facebook ? Et Zadie Smith s’inquiète par exemple de l’Open Graph de Facebook, une application qui permet de voir en un instant tout ce que nos “amis” sont en train de lire, de regarder ou de manger, dans le but de pouvoir faire comme eux. Elle s’inquiète du fait qu’il y a dans la philosophie de Facebook une crainte générationnelle : celle de ne pas être comme les autres, une crainte de ne pas être aimé.

“Quand un être humain devient un ensemble de données sur un site comme Facebook, reprend Zadie Smith, il est réduit. Tout rapetisse. La personnalité. Les amitiés. La langue. La sensibilité. Dans un sens, c’est une expérience transcendante : on perd nos corps, nos sentiments contradictoires, nos désirs, nos peurs.”

Une nation sous format

“Avec Facebook, poursuit Zadie Smith, Zuckerberg semble vouloir créer une sorte de Noosphere, un Internet avec un seul cerveau, un environnement uniforme dans lequel il n’importe vraiment pas de savoir qui vous êtes, du moment que vous faites des choix (ce qui signifie, au final, des achats). Si le but est d’être aimé par de plus en plus de gens, tout ce qui est inhabituel chez quelqu’un doit être atténué. Facebook serait une nation sous format.”

Et il est important, selon Zadie Smith qui prend là les termes de Lanier, de savoir dans quoi on est enfermé. Or, écrit Zadie Smith, “Je crois qu’il est important de se rappeler que Facebook, notre interface chérie avec la réalité, a été créé par un étudiant de Harvard avec des préoccupations d’étudiant de Harvard. Quelle est votre situation amoureuse ? (Choisissez-en une. Il ne peut y avoir qu’une seule réponse. Qu’on se le dise) Avez-vous une vie ? (Prouvez-le. Postez des photos) Aimez-vous ce qu’il faut aimer ? (Faîtes une liste. Ce qu’on doit aimer incluant : des films, des groupes de musique, des livres, des émissions de télé, mais pas l’architecture, des idées, des plantes.)”

La personne mystère, espèce en voix de disparition ?

“Mais, reconnaît Zadie Smith, j’ai peur de devenir nostalgique. Je rêve d’un web qui nourrisse un genre d’être humain qui n’existe plus. Une personne privée, une personne qui reste un mystère aux yeux du monde et – ce qui est plus important encore – à ses propres yeux. La personne mystère : c’est une idée de l’humain qui est certainement en train de changer, qui a peut-être déjà changé.”

“Ne devrions-nous pas faire la guerre à Facebook ? se demande Zadie Smith. Tout y est réduit aux proportions de son fondateur. C’est bleu, parce qu’il s’avère que Zuckerberg est daltonien. On peut poker parce que ça permet aux garçons timides de parler aux filles dont ils ont peur. On donne des infos personnelles parce que Mark Zuckerberg pense que l’amitié, c’est l’échange d’infos personnelles. Facebook est bien “une production de Mark Zuckerberg”. Nous allons bientôt vivre en ligne. Ça va être extraordinaire. Mais à quoi va ressembler cette vie ? Regardez cinq minutes votre mur Facebook : est-ce que ça ne vous semble pas, tout à coup, un peu ridicule ? Votre vie réduite à ce format ?”

Sa conclusion The Social Network n’est pas le portrait cruel d’une personne réelle qui s’appelle Mark Zuckerberg. C’est le portrait cruel de nous tous : 500 millions de victimes consentantes, emprisonnées dans les pensées insouciantes d’un étudiant de Harvard.”

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission, publiée également sur InternetActu.
Image CC Flickr Andrew Feinberg, boltron- et ♥KatB Photography♥

L’article de Zadie Smith sur The New York Review of Books, “Generation why?”


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http://owni.fr/2010/12/27/quelle-philosophie-est-inscrite-dans-facebook/feed/ 10
Dans quelle ère numérique vivons-nous? http://owni.fr/2010/12/16/dans-quelle-ere-numerique-vivons-nous/ http://owni.fr/2010/12/16/dans-quelle-ere-numerique-vivons-nous/#comments Thu, 16 Dec 2010 17:26:54 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=39404 On désigne par “chasseurs-cueilleurs” des groupes d’humains vivant de chasse, de pèche, de cueillette ou du charognage. Ils utilisent les ressources immédiatement disponibles dans la nature. La notion vient des travaux des préhistoriens qui opposaient ce mode de vie à celui du pastoralisme.

Vere Gordon Childe a nommé “révolution néolithique” le passage de l’économie de la chasse et de la cueillette à une économie basée sur l’agriculture et le pastoralisme. Cette révolution néolithique transforme de petites communautés humaines en des ensembles plus vastes, contenus dans l’enceintes des villes, et bientôt régulées par des règlements et des lois écrites

Examinant les communautés en ligne, Lee Komito les rapproche des premières communautés humaines de chasseurs-cueilleurs. Il décrit des groupes de taille variable, s’agrégeant au fil des saisons, se déplaçant pour trouver des ressources. Ce nomadisme les oblige à avoir peu de bien matériels. Au nomadisme des groupes s’ajoute celui des individus qui n”hésitent pas à aller de groupe en groupe. Ces communautés sont temporaires, puisqu’il n’y a pas de sentiment d’un bien commun ou d’une identité collective. L’idéologie de ces groupes est égalitaire : chaque individu obtient du prestige en fonction de ses habilités. Les leaders émergent par la force de leur exemple. Les conflits sont gérés au travers de duels qui ritualisent la violence. La plupart du temps il s’agit de disputes orales où l’on tente de moquer ou d’humilier l’autre.

Pas de fidélité au groupe

Lee Komito voit entre les communautés de chasseurs-cueilleurs et les communautés en ligne des ressemblances frappantes. En ligne, l’idéologie dominante est l’égalitarisme. Personne ne peut imposer sa volonté à personne, et les groupes ne peuvent pas s’appuyer sur une autorité centrale. Les conflits y sont réglés par la recherche de consensus ou des joutes orales. La fidélité à un groupe est inexistante. Les individus vont d’un groupe à l’autre sans être vraiment attaché à aucun. Beaucoup de groupes en ligne n’ont pas de frontières stables, et il peut être difficile de savoir qui s’y trouve et qui ne s’y trouve pas.

Lee Komito remarque que certains groupes peuvent avoir une autorité centrale (par exemple le modérateur). Ces groupes développent un sentiment d’appartenance, une distinction entre les membres du groupes et les autres et des buts partagés. Cependant, le modèle des communautés de chasseurs-cueilleurs lui semble suffisamment intéressant. En effet, dans les deux cas, les communautés peuvent s’avérer incapables de mettre fin à un comportement anti-social ou d’imposer des limites à leurs membres. D’ou la question :

Est ce que les individus d’aujourd’hui vont à la cueillette de l’information comme ceux d’hier allaient à la recherche de nourriture?

Lorsque l’on jette un regard sur les communautés en ligne, le parallèle de Lee Komito est frappant. Nous passons notre temps à glaner des informations, à les stocker dans des silos individuels (les favoris) ou collectifs (les sites de social bookmarking). Certains d’entre nous les transforment en bloguant ce qu’ils trouvent tandis que d’autres transmettent tels quels en les propulsant (forward) auprès de leur propre communauté sociale.

Plusieurs temporalités

Cependant, le parallèle appelle au moins deux réserves. La première est que Lee Komito est victime de l’illusion anthropologique de Childe. Childe considérait en effet que l’on pouvait situer les différentes communautés sur une ligne de temps. Les chasseurs-cueilleurs seraient les communautés les plus archaïques et elles seraient remplacées par les communautés pastorales et agricoles qui inventent la loi, l’écriture, la ville. Childe considérait par ailleurs que les communautés actuelles de chasseurs-cueilleurs étaient identiques au communautés préhistoriques ce qui permettait de les repérer comme des vestiges infantiles de l’histoire de l’humanité.

Bien évidement, dans cette perspective, les occidentaux correspondraient aux stades les plus avancés du développement de l’humanité. Enfin, nous savons maintenant que les communautés de chasseurs-cueilleurs ne sont pas dans l’état de dénuement que décrit Childe. Elles ne meurent pas de faim, elles ne sont pas livrées a l’arbitraire des désirs individuels et elles consacrent au contraire beaucoup de temps à la culture.

L’image reste cependant forte et elle est toujours utile pour penser le cyberespace. Il faut juste préciser que le cyberespace n’est pas dans une mais dans plusieurs temporalités. Nous sommes quelques part entre les communautés de chasseurs-cueilleurs et les premières villes mésopotamiennes inventées il y a 6.000 ans. La densification des liens produits par le mouvement du web 2.0,  la massification des données partagées grâce à la téléphonie mobile et  l’ouverture des silos de données produits par les villes est similaire à l’urbanisation de la Mésopotamie. On retrouve ici la “révolution urbaine” dont parlait Childe.

Prochaine étape: la ville numérique

L’urbanité modifie les communautés. Elle ordonne l’espace et les personnes dans un même mouvement : des quartiers regroupent des métiers tandis que certains espaces sont dévolus à l’habitat., au commerce, à la vie religieuse.. La ville crée également  la campagne qui l’alimente en matières premières qu’elle transforme en objets relativement identiques dans ses ateliers. L’organisation politique y est plutôt despotique.

Certains forums ont déjà un fonctionnement qui s’apparente à celui des villes mésopotamiennes. Ils sont subdivisés en sous-forums qui sont autant de quartiers. Par exemple, les forums officiels de World Of Warcraft sont subdivisés en fonction de fa faction (horde ou alliance), de la classe du personnage, de sa race. Il existe des forums généraux ou le mélange est possible, et d’autres très spécialisés. Certains fonctionnent comme des ateliers qui produisent des objets – par exemple des macros utilisables dans le jeu – diffusables en masse. Ce n’est pas tout à fait une ville, parce que le forum est organisé défensivement contre l’extérieur. Tout est fait pour que les membres du forum restent sur place. L’étape suivante, la ville numérique, sera atteinte lorsque les forums et les sites de réseaux sociaux se découvriront des campagnes.

Au niveau politique, le forums sont organisés autour de la figure d’un despote, comme l’étaient les premières villes. Cette figure est généralement incarnée par le fondateur du forum qui a sur l’espace du groupe et ses membres tous les droits. Il inclut et exclut, il peut supprimer des messages ou les modifier. Il peut modifier des membres ou les supprimer. Au fil du temps, une nouvelle caste émerge de la masse des utilisateurs. Ce sont les modérateurs qui  et ils empruntent au Fondateur ses attributs jusque parfois les droit de détruire la communauté.

Les sites de réseaux sociaux permettent d’éviter cette organisation politique en l’horizontalisant. Chacun est son propre despote. Chacun décide avec qui il se lie et parfois qui peut se lier à lui. Chacun peut éditer ses messages ou les supprimer. Chacun peut décider de ce qui apparait ou non sur son propre espace. La maitrise donnée aux individus est a la mesure de l’éclatement de l’espace social.

Espaces de bricolage

Dans le cyberespace, la production en masse est facilitée par le copier-coller. Les ateliers sont principalement le fait de designers qui produisent des templates et autres skins pour les blogues ou les avatars. Plus le  template est individualisé, plus il est précieux et donc cher. Vous pouvez facilement avoir un template gratuit pour votre blogue WordPress, mais il vous en coutera de l’argent pour avoir quelque chose (de bien)  fait par 53 Mondays ou Reduplikation. Certains sites fonctionnent comme des ateliers à codes qui fournissent plugins et autres compléments. Par exemple Mozilla fournit des compléments pour son navigateur Firefox. La production et l’utilisation de ces compléments est régulée par la licence Creative Commons qui est le Code d’Hammurabi du cyberespace.

Les subbers qui prennent en charge une matière numérique et la modifient en ajoutant des sous titres sont un autre exemple du travail artisanal qui peut se faire en ligne. D’une manière générale, les mondent numériques restent des espaces de bricolage. La révolution industrielle numérique est encore à venir. On en a tout de même quelques prémices  avec la mise en place d’un prolétariat mine les mondes numériques au profit d’une bourgeoisie. Les farmeurs chinois nous montrent que Germinal est déjà là : eux travaillent sang et eau pour que d’autres puissent jouer.

En ligne, nous ne sommes donc pas seulement à l’époque du basculement dans l’ère néolithique. Nous avons des fonctionnements qui témoignent de différentes temporalités et sociabilités qui vont des chasseurs-cueilleurs aux cités mésopotamiennes. Le mouvement vers l’industrialisation est en marche si l’on en croit le développement d’applications qui bornent le web comme les enclosures ont borné les champs.

Ce billet a initialement été publié sur Psy et Geek

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Crédits photo: Flickr CC Lord Jim, webtreats, peasap

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Qui a peur de l’entrée des réseaux sociaux en classe? Les élèves! http://owni.fr/2010/12/08/qui-a-peur-de-l%e2%80%99entree-des-reseaux-sociaux-en-classe-les-eleves/ http://owni.fr/2010/12/08/qui-a-peur-de-l%e2%80%99entree-des-reseaux-sociaux-en-classe-les-eleves/#comments Wed, 08 Dec 2010 07:30:44 +0000 Laurence Juin http://owni.fr/?p=38442 De quoi avons nous peur dans la pratique des réseaux sociaux en classe ?

Suite à la table ronde à laquelle j’ai participé pour Le Café pédagogique à #Educatice, j’ai été interviewée par France Inter à ce sujet.

Dans ce reportage, ont été aussi interrogés des lycéens sur le même thème : leurs avis sur la question sont unanimes : il ne faut pas faire rentrer les réseaux sociaux à l’école. Ce n’est pas leur place, ce n’est pas sérieux.

C’est l’avis des lycéens et d’un très large public d’adultes, enseignants ou non.
Une peur populaire sur les réseaux sociaux du Net se généralise et globalement sur l’Internet, Facebook en tête. À chaque fois que Facebook est abordé dans des réunions pédagogiques et globalement dans les médias, c’est pour évoquer tous les abus, dégâts, dérives engendrés par la pratique d’un tel média. Le sommet a été atteint médiatiquement avec les « apéros Facebook » au printemps.

Les adolescents, comme la société, ont assimilé cette idée du média social du Net. C’est leur moyen de communication (après le sms) privilégié mais ils veulent le garder du domaine du privé.

Un espace de jeu mais pas de travail

Facebook et de façon plus générale le réseau social du Net représentent pour eux une terre privée et terre de danger dénuée de tout sérieux : c’est un espace de jeu mais surtout pas de travail. Impression donnée par leurs propres pratiques et par la diabolisation engendrée par les médias.

Pour présenter « Twitter en classe » à mes élèves, je constate deux réactions qui s’opposent :

1) L’élève se réjouit qu’on parte de ses pratiques numériques : que le micro-blogging de type Facebook puisse entrer dans ses pratiques scolaires, qu’un enseignant ne diabolise pas son moyen de communication favori et généralement Internet.

2) Mais l’élève est méfiant et a peur : il sait quelles dérives le microblogging engendre (parfois il pratique ces dérives, parfois il les subit des autres) et ne cesse d’entendre combien Internet et en particulier ces réseaux là sont dangereux. Les médias lui disent, l’institution scolaire lui répète ! Facebook est bloqué dans la plupart des établissements scolaires.

J’ai pu rapidement convaincre mes élèves de l’intérêt de la pratique pédagogique de Twitter. Parce qu’ils n’utilisent pas personnellement ce média. Twitter, je le sais, reste et restera pour ces promotions un média sérieux et scolaire du fait de l’usage que j’en ai imposé. Il y a donc différenciation complète dans leurs esprits et dans leurs pratiques.

J’ai décidé pour les deux années scolaires à venir d’étendre nos usages en classe en partant de leurs usages personnels. Pour deux raisons :

  • Toujours cette volonté de les éduquer à l’Internet.
  • Et parce que je suis partie du postulat suivant : partir de leurs usages personnels permet une meilleure implication de l’élève. C’est aussi « confortable » pour l’enseignant : partir de leurs usages permet de sauter la période de formation à l’outil (gain de temps estimable !) et surtout permet de valoriser les compétences de l’élève : le savoir ne vient pas que de l’enseignant. L’élève se pose formateur pour les élèves les plus faibles dans ces pratiques (inversion souvent des rôles du « plus fort » et du « plus faible ») Ainsi j’ai décidé en plus de Twitter de leur faire créer des pages Facebook sur des évènements que nous organisons au lycée (expositions mises en place, concours de poésie etc.), un blog sur leurs écrits en français, une boite mail active de classe, des Google-docs, du travail collaboratif avec EtherPad, des publication de vidéos sur YouTube, des CV vidéos pour leurs recherches d’emploi, de stage ou recrutement en écoles post bac. Les réseaux sociaux, YouTube, le mail, le blog sont leurs principales pratiques. Nous agrégeons des pratiques comme EtherPad et les CV vidéo. Il en est là de la partie formation qu’incombe à l’enseignant : ne pas laisser l’élève à son niveau personnel de connaissances et de formation mais bien l’élever stricto sensu. Toutes ces pratiques restent sous la thématique de l’éducation à l’Internet et de la construction d’une identité numérique positive de l’élève. Dans le cadre d’une séquence sur l’autobiographie, je leur ai fait écrire des textes à la manière de François Delarozières (chef des « machines » de Nantes). L’objectif final étant de les faire se filmer avec des smartphones à la manière de cette vidéo. J’avais prévu le stockage de ces vidéos sur YouTube. Ces vidéos doivent servir d’autobiographies et donc de présentations dans le cadre de nos échanges via Twitter avec les étudiants indiens de David Cordina à l’Alliance Française de Bombay Chaque vidéo doit identifier l’élève qui a réalisé le mini-film et l’élève filmé.
  • Je me heurte pour le moment à une résistance forte de plusieurs élèves pour cette diffusion. Ils argumentent qu’ils ne veulent pas se retrouver « sur Internet », que cette vidéo pourra nuire à leur image etc. J’ai été confrontée à la même opposition lors de la création de leur compte Twitter : je leur ai demandé de mettre en pseudo leur prénom et leur nom et en avatar une photo d’eux. Certains ont refusé ces règles.

Je mène un long travail de persuasion sans savoir si je gagnerai : je suis confrontée à l’élève qui a peur alors que nous sommes dans un processus raisonné et accompagné. Phénomène que je n’ai pas connu l’année passée avec la première classe tweeteuse. Mes élèves cette année sont plus jeunes d’au moins deux ans avec un niveau de réflexion beaucoup moins mature. J’avais des pré-adultes, j’ai cette année de vrais adolescents. Ils sont nés sur Internet sur les derniers relents de Skyblogs et en pleine médiatisation de Facebook. Médiatisation et diabolisation. Les reportages, les émissions comme Envoyé spécial en février, CANAL+ en septembre, des articles de presse comme celui de Télérama ne pointent que sur les aspects négatifs de l’Internet. Rarement les médias « grand public » pointent sur les aspects positifs, sur les avancées sociales, pédagogiques que l’Internet permet (alors que tous les journalistes travaillent aujourd’hui et ne pourraient se dispenser d’un tel outil de travail !).

Focaliser uniquement sur les adolescents, une grave erreur

Nous partons aujourd’hui d’un lourd constat qu’il ne faut surtout pas nier et occulter : personne n’a été formé aux usages de l’Internet et en particulier aux réseaux sociaux du Net type Facebook. Les dérives, les dégâts sont lourds lorsque mal utilisés. Ce procès récent montre que les adultes sont largement concernés par ces dérives. Focaliser uniquement sur les adolescents serait une grave erreur. Aujourd’hui les plus mauvais utilisateurs de l’Internet sans réflexion, sans recul, sans prise de conscience sont les adultes.

S’il est difficile, voir impossible de former les adultes, c’est totalement possible pour les élèves des petites classes jusqu’aux études supérieures.

J’ai à convaincre des adolescents que tout est possible sur Internet : le pire est à éviter, le meilleur est à construire de façon raisonnée. Si un futur employeur tape le nom d’un de mes élèves sur « Google », il trouvera (aussi !) des travaux de français, de logistique, des échanges via Twitter à propos des cours, des vidéos de présentation, des pages Facebook sur une expo photo à laquelle il aura participé, un concours de poésie qu’il aura gagné. Une identité numérique Positive.

À suivre !

Billet initialement publié sur Ma onzième année

Image CC Flickr aleeed et rishibando

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Pour des “creative commons” de la présence numérique http://owni.fr/2010/11/03/pour-des-creative-commons-de-la-presence-numerique/ http://owni.fr/2010/11/03/pour-des-creative-commons-de-la-presence-numerique/#comments Wed, 03 Nov 2010 07:30:02 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=34444

Prénatales ou post mortem, comment maîtriser nos traces laissées sur le web“, tel est le titre d’une dépêche AFP (que vous pouvez trouver en intégralité ici ou ) dans laquelle je joue le rôle de “l’universitaire spécialiste de l’Internet“.

Concrètement j’ai juste fait passer le message simplissime selon lequel si l’on mettait réellement en place (dès le lycée et dans les cursus universitaires) des formations non pas tant aux “technologies de l’information” mais aux “usages des technologies de l’information”, on s’éviterait bien des soucis :

- Selon Olivier Ertzscheid, “il faut avant tout passer par la formation : montrer aux gens comment utiliser au mieux et en conscience ces outils du web suffirait à supprimer l’essentiel des risques qu’ils présentent.” (…) “Ensuite, de là à dire que dès qu’on met quelque chose sur le Net ce sera conservé indéfiniment et accessible immédiatement par tout le monde et de partout, il faut relativiser. Techniquement parlant, il est toujours possible de maîtriser ses traces”, souligne-t-il.

-Bref. L’actualité pour laquelle j’étais sollicité par la journaliste de l’AFP concernait, à la marge, le fruit des cogitations de NKM et de ses compagnons de jeu table-ronde, à savoir la fameuse “charte” pour la construction d’un droit à l’oubli numérique. Dont au sujet de laquelle je vous conseille vivement la lecture synthétique de l’article de Michèle Battisti sur le site de l’ADBS.

Retour rapide sur les citations de la dépêche AFP :

-”La mémoire numérique de chacun a complètement explosé, notamment car nous sommes dans une société qui multiplie les traces”, résume Olivier Ertzscheid, universitaire spécialiste de l’Internet.
Et ben oui. Voir, parmi d’autres, le remarquable bouquin d’Emmanuel Hoog, Mémoire, année zéro.
-”Énormément de personnes mettent par exemple des photos de leurs enfants sur Facebook en ayant l’impression de rester dans le cadre de leur intimité habituelle, mais très peu se donnent les moyens de vérifier les règles de confidentialité de leur compte”, souligne à l’AFP ce maître de conférences à Nantes.

Et ben oui. D’autant que – loin d’œuvrer à la simplification des choses – Facebook s’est fait une spécialité de changer lesdits paramètres de confidentialité toutes les cinq minutes. Cf notamment les diapos 154 à 160 de ce splendide diaporama :-)

-”‘Cette question du rapport à la mort et de la gestion du deuil est quelque chose de nouveau pour le média numérique, cela change notre perception de ce qui doit être conservé et ce qui peut tomber dans l’oubli’, résume Olivier Ertzscheid.

J’ai même ajouté que ce qui était en jeu sur le fond de la dépêche de l’AFP, c’était précisément notre rapport à la mort, ou plus exactement les nouvelles médiations inaugurées par le numérique autour d’une ritualisation millénaire et trans-civilisationnelle (= “le” rapport à la mort). Bref qu’il serait intéressant d’avoir sur le sujet, plutôt que celui d’un “universitaire spécialiste d’Internet”, le point de vue d’un anthropologue (Lévi-Strauss étant mort, il nous reste Michael Wesh) complété de celui d’un sociologue (Dominique Cardon me semblant le plus indiqué)

-Quant à un “droit à l’oubli numérique” que le gouvernement français souhaite mettre en place, l’universitaire est sceptique : “c’est encore très flou et des législations ou des chartes nationales ne couvriront jamais des pratiques internationales.

Et en disant cela, j’ai immédiatement pensé à Lawrence Lessig. Et à l’invention des licences Creative Commons. C’est-à-dire un outil juridiquement opposable (devant un tribunal) mais non législatif (il n’y a pas de loi sur les “Creative Commons”). Et j’ai développé, en conversant avec la journaliste, l’idée selon laquelle plutôt que de réfléchir à des chartes (inapplicables et dont les principaux acteurs se désintéressent ou indiquent clairement qu’il n’en tiendront pas compte), plutôt que de vouloir à tout prix légiférer, il faudrait être capable d’inventer les “Creative Commons” de la présence numérique. Bref, il faudrait être capable de réglementer pour des usages, sans nécessairement légiférer sur des pratiques. Et ce qu’il s’agisse du droit d’auteur ou du droit à l’oubli numérique.

D’ailleurs, à bien y regarder, les 6 contrats nous donnent déjà une multitude de pistes :

-la “paternité” pourrait devenir la “filiation”, c’est-à-dire des données qui ne pourraient être, par exemple, que disponibles à l’avenir pour ma seule famille irl (“in real life”) une fois que j’aurai cassé ma pipe.
-”l’absence d’utilisation commerciale” resterait… l’absence d’utilisation commerciale. C’est-à-dire qu’il serait possible de réutiliser certaines données personnelles mais pas pour nous vendre de la publicité contextuelle.

-etc. (j’ai plein d’autres idées mais je ne les dévoilerai qu’en présence d’un défraiement conséquent relatif à la charge d’une mission ministérielle qui me sera immanquablement confiée après la lecture de ce billet :-)

“Euh oui mais bon là quand même on a déjà une charte, ce qui est mieux que rien du tout non ?”

NON.

Une charte, c’est du flan. En la matière, une charte n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux seulement destinée à rendre compte devant les électeurs, des défraiements somptuaires engagés lors des réunions ayant conduit à son élaboration. Une charte n’est pas “opposable”. Une charte, “la” charte pour le droit à l’oubli, n’est et ne restera qu’un vague contrat moral non-ratifié par l’essentiel même des contractants visés.

“Bon ben et si on faisait une loi alors ?”

Une loi, c’est du Flanby. En la matière toujours, une loi serait nécessairement inapplicable (problème de la territorialité du droit contre la déterritorialisation massive de l’Internet, problème également, de la bolkensteinienne “concurrence libre et non-faussée” …) et forcément obsolète dès sa parution (le tempo législatif n’ayant que peu à voir avec celui des acteurs économiques et des usages afférents).

“Oah l’autre il est jamais content ma parole. Moi je maintiens qu’une charte c’est mieux que rien.”

Et moi je maintiens que non seulement, c’est du flan, mais qu’en plus cela révèle d’une incompréhension fondamentale dans la manière dont cette charte a été pensée, réalisée et rédigée : l’incapacité “du” politique à penser la nature pourtant précisément politique du web.

Car il y a plus. En voulant légiférer ou “mettre en charte” la problématique du droit à l’oubli, nos représentants politiques – et/ou les lobbys qui très souvent les pilotent – oublient une chose essentielle : nous n’entretenons pas avec Facebook, Google, YouTube, le web, “l’Internet”, le rapport que nous entretenons avec l’État. Notre rapport à l’État n’existe qu’au travers du prisme des lois édictées par celui-ci, lois que nous acceptons ou refusons de respecter ; soit ce que la tartufferie de la novlangue baptise le “vivre-ensemble”. En revanche, et à l’exact opposé de ce qui précède, le rapport aux usages rendus possibles par l’ensemble de ces sites et de ces acteurs d’un Internet révélateur de notre présence en ligne, ne relève qu’épisodiquement et au mieux, d’un éphémère contrat social entre moi et moi-même, contrat, qui plus est, en renégociation permanente.

Voilà pourquoi, une nouvelle fois, il est aujourd’hui urgent d’être capable de réglementer pour des usages, sans nécessairement légiférer sur des pratiques.

Moralité(s).

Les questions du droit à l’oubli et de la présence (ou de l’absence) numérique nécessitent un cadre réglementaire dont la légitimité – et accessoirement l’efficacité – ne pourra reposer que sur l’analyse et la prise en compte des usages réels du web, mais certainement pas sur l’instrumentalisation par certains (finkelkrautiens, woltonniens, sarkozystes et autres pères castrateurs), d’usages fantasmés ou de craintes destinées à effrayer/responsabiliser la ménagère de moins de 50 ans angoissée par la pédophilie sur Facebook, le bon père de famille gestionnaire de son portefeuille d’actions numériques sur Boursorama.com, l’adolescent téléchargeur compulsif boutonneux et autres stéréotypes sociologiques certes vendeurs et parlants mais sociologiquement inexistants ou construits a posteriori (ce qui revient donc in fine au même)

-Ce cadre réglementaire ne sortira d’aucun chapeau ministériel. Il devra être pensé de manière transdisciplinaire par – a minima – des anthropologues, des sociologues, des juristes et – peut-être – quelques autres universitaires spécialistes de l’Internet ;-)
-Ce cadre réglementaire devra, à terme, pouvoir être opposable sans passer par la case législative
-Ce cadre réglementaire ne doit pas être pensé “en fonction” ou “à l’insu” des acteurs dominant actuellement ce marché. Il n’a d’ailleurs pas nécessairement vocation à les y associer. Il doit s’efforcer d’isoler, dans les usages se rapportant à notre présence numérique, des invariants déclinables à l’échelle d’immenses agrégats d’individus de solitudes connectées. (en n’oubliant pas que l’expression de “l’Internet comme un ensemble d’individus connectés” est un faux-ami : les individus en question étant d’abord et avant tout connectés à des sites/plateformes/médias dont la plupart ne permettent en rien de relier ou de connecter des individus, créant même parfois paradoxalement de nouvelles formes “d’isolements connectés”)
-Son objectif premier doit être celui d’un contrat social reposant sur les individus et non sur les sites qu’ils utilisent, c’est-à-dire que chaque individu doit pouvoir y déceler une possible et immédiate réciprocité, un intérêt pour lui-même à appliquer des règles qu’il souhaiterait voir appliquer par les autres ; réciprocité et intérêt personnel hors lesquels toute cogitation/spéculation/proposition s’apparenterait immédiatement et immanquablement à une énième, pathétique et coûteuse séance publique de sodomie de diptères numériques.

Bref, les Creative Commons de la présence numérique.

Post-billetum : ça fait deux fois (1, 2) que je suis cité par l’AFP. Je monte donc officiellement le club des “UQVBCAFPSPCCHI” (Universitaires qui veulent bien que les citations à l’AFP soient prises en compte pour le calcul de leur H-Index)

Billet initialement publié sur Affordance

Image CC Flickr KalleKarl

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Passés numériques http://owni.fr/2010/10/27/passes-numeriques/ http://owni.fr/2010/10/27/passes-numeriques/#comments Wed, 27 Oct 2010 13:13:52 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=33721

J’ai lu sur le Bloc-notes visuel, d’André Gunthert un commentaire ironique d’un court article publié sur LeMonde.fr qui découvrait horresco refferens que des parents postaient sur Facebook les images de leur progéniture à peine née :

L’alarmisme du Monde provient de la confusion entre téléchargement et “identité numérique” commente André Gunthert.

Il est vrai qu’une image ne fait pas une identité numérique. Celle-ci se construit au fil du temps : il faut l’accumulation des messages, des images, mais aussi des commentaires et les liens que font les autres pour que quelque chose comme une identité numérique émerge.

Il faut dire à la décharge de LeMonde.fr que l’alarmisme est déjà dans l’article de référence :

D’abord, vous créez une histoire digitale pour un être humain qui va le ou la suivre le reste de son existence. Quelle sorte d’empreinte voulez-vous pour votre enfant, et qu’est ce qu’ils penseront  plus tard de ce que vous avez mis en ligne ?

Ensuite, cela rappelle la nécessité pour les parents d’être soucieux des réglages de leur réseau sociaux et de leurs autres profils. Sinon, partager l’image d’un bébé et une information peut ne par être partagé uniquement avec des amis et la famille mais avec tout l’Internet AVG CEO JR Smith

Un fait demeure : un enfant qui nait aujourd’hui aura un historique numérique presque complet de son existence alors que les plus geeks d’entre nous ne peuvent guère remonter au-delà de 20 ans. il faut comparer cela à ce que dit Mc Luhan qui faisait remarquer dans les ‘50 qu’un enfant de 10 ans a déjà vu plus d’images qu’un homme de 65 ans.

Plusieurs remarques. D’abord, nous sommes devenus des méga-producteurs de documents. Nous documentons nos vies et celles de nos proches, nous en sommes les patients archivistes et bibliothécaires. Les visions romantiques qui rapprochaient l’homme, la bibliothèque et le livre deviennent une réalité dans le cyberespace. L’homme y devient un document comme les autres (Olivier Ertzcheid).

Ensuite, le cyberespace est de moins en moins vu comme un monde “virtuel” et de plus en plus vu comme un monde dans lequel on peut laisser son empreinte. Le monde comme virtuel était celui du monde des idées. L’internet était la caverne platonicienne dans laquelle on pouvait admirer les splendeurs idées mathématiques. Il est maintenant de plus en plus un monde sensible qui garde trace de nos actions.

Enfin, les problèmes viennent rarement d’inconnus. Les difficultés que nous avons n  viennent de nos proches, de nos familles. Et les amis d’aujourd’hui ne seront pas nécessairement les amis de demain. Réserver des images à son cercle de connaissances n’offre aucune garantie tout simplement parce que qu’il n’y a pas de garantie quant à l’avenir.

Pour le psychologue, l’avenir s’annonce plein de surprises : comment ferons nous avec les archives familiales ? Allons nous plonger dans les milliers de documents de la famille pour mieux nous comprendre ? Que deviendront les légendes familiales avec tant de documents en ligne ? Comment fonctionneront les non-dits et autres secrets ? Comment sera investi le passé ?

Crédit photo : FlickR CC, Looking into the past par Nomad Tales

>> Article publié initialement sur Psy et Geek

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Pourquoi faire un journal? Parce que. http://owni.fr/2010/09/20/pourquoi-faire-un-journal-parce-que/ http://owni.fr/2010/09/20/pourquoi-faire-un-journal-parce-que/#comments Mon, 20 Sep 2010 11:08:49 +0000 Quentin Girard http://owni.fr/?p=28608 L’un des deux fondateurs du Tigre, Raphaël Meltz a publié dans le dernier numéro de ce magazine un long manifeste, «Pourquoi faire un journal». Il revient sur son expérience et y explique, en substance, qu’il arrête pour une durée indéterminée…  Lancé en mars 2006, Le Tigre a connu déjà plusieurs versions. La dernière, bi-mensuelle, en était au treizième numéro.

La fin du Tigre?

Au grand désespoir de ses fondateurs, la revue avait connu un bref passage dans la lumière lors d’un article très médiatisé sur Marc L. Le premier vrai portrait Google où Le Tigre démontrait que l’on pouvait presque tout découvrir d’un anonyme, juste en cherchant sur les moteurs de recherche ou sur les réseaux sociaux. Depuis, cette question de l’identité numérique du citoyen est devenue un sujet de société, au point qu’un secrétariat d’État y consacre le plus gros de son activité. Mais, à l’époque, fin 2008, la réflexion autour de ce sujet n’en était encore qu’à ses balbutiements.

Le magazine, après quelques mois d’agitation, est retombé dans son anonymat relatif. De mensuel, il était passé à bi-mensuel au début de l’année. Douze très belles pages en couleurs, d’un point de vue de la maquette. Jusqu’à ces trois dernières pages en forme de au revoir.

Pourquoi s’intéresser au Tigre? Pourquoi parler de sa mort (temporaire)? Après tout, les journaux, c’est un peu comme les langues, chaque jour il en disparaît et chaque jour de nouvelles se créent (et à la fin on parlera tous anglais).

Mais Le Tigre, c’est différent. Il incarne, ou incarnait – je ne sais pas trop s’il faut parler au présent ou au passé – une sorte de journalisme radical. Sans aucune concession aux diktats du marché, que ce soit dans la maquette ou le choix du sujet. Un journalisme qui n’existe pas et qui n’a jamais existé, ou alors de manière toujours confidentielle. Raphaël Meltz, le dit lui-même, il aurait voulu choisir ses lecteurs.

Pourtant il n’agissait pas très différemment de ce que font les autres journaux intéressants, en tout cas au début, raconter leur vision du monde, être subjectif et assumer.  Sauf que, que ce soit dans le choix des sujets, la manière de les raconter ou l’esthétique autour, Le Tigre était plus à la marge que la moyenne.

Passons sur le ton parfois un peu geignard, Le Tigre n’a jamais marché mais je ne voulais pas qu’il marche, et condescendant, Le Tigre est trop bien pour vous lecteurs, cette longue tribune pose pour tous les journalistes en herbe qui écrivent, que ce soit sur papier ou sur le net, quelques questions fondamentales: que voulons-nous faire, que voulons-nous dire?

“Dans les écoles de journalisme, on nous apprend à rejeter nos rêves”

Toute l’année, notamment en école de journalisme, nous recevons des conseils sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire, être subjectif ou ne pas l’être, être sur le web ou être sur le web, les dix conseils pour réussir ou le contraire, etc… Au point que la théorie en devient parfois un peu répétitive. Le Tigre, au moins, c’est du concret. C’est un exemple, parmi d’autres, par rapport auquel on peut se situer.

J’ai eu la chance de participer au lancement de deux revues: Megalopolis, un magazine de grands reportages sur l’Ile de France, et L’Imparfaite, une revue érotique. Malgré le grand écart entre ces deux thèmes, à chaque fois les questions de départ sont les mêmes:

Que voulons-nous dire, comment voulons-nous le raconter?
et, évidemment
Qu’est-ce que l’on raconte?

Cela devait être une question de forme évidemment. Pour les deux sujets, nous avons à chaque fois choisi le format papier, et nous tendons vers des maquettes de plus en plus belles, mais cela aurait pu être un site internet ou du vrai papier toilette imprimé diffusé au hasard dans les rues de Paris. Un torche-cul informatif errant.

Et cela devait être une question de fond, évidemment aussi. Lancer un journal, surtout quand on est jeune, quand on n’y connaît rien, relève d’une sacrée ambition: croire que l’on fera des articles plus intéressants que les articles que l’on nous aurait demandé d’écrire si l’on avait trouvé un travail «normal», «conventionnel».

C’est ce que Raphaël Meltz et ses partenaires ont essayé de faire dans Le Tigre: être le meilleur possible selon eux, quitte à ne pas plaire à tout le monde. C’est une posture intellectuelle. Je sais, la décennie n’est pas aux postures intellectuelles, elle est au pragmatisme. Dans les écoles de journalisme, on nous apprend à rejeter nos rêves. On nous martèle qu’on ne sera jamais Hemingway – je ne cite pas Albert Londres parce que je ne l’ai jamais lu, mais normalement c’est à lui qu’on fait référence – et que la plupart d’entre nous passeront des heures pourries derrière un desk à monter des EVN sans intérêts tandis que d’autres feront de même, mais avec des dépêches, je bâtonne, tu bâtonnes.

Et qu’il faudra être content, parce que c’est la crise, que c’est le chômage pour tous, etc… Les écoles de journalisme ont raison, leur rôle est de nous faire envisager l’étendue des possibles, de nous préparer au pire, quitte, parfois, peut-être, à nous le faire accepter un peu trop facilement. Ce n’est pas pour cela que nous sommes obligés de les écouter 24h sur 24.

Faire un journal, parce que…

Pourquoi faire un journal? Parce que. Parce que nous avons le droit de monter sur un tonneau comme les philosophes et de déclarer que nous éditions un journal et d’estimer qu’il y aura un lectorat. A nous ensuite d’en assumer les échecs (probables à moyen terme).

A cela, les journalistes plus anciens, répondent le plus souvent par deux points:

«Attendez, c’est normal, nous avons tous connu ça, commencer pigiste pour des publications improbables avant de trouver un emploi digne de ce nom»

Sauf que c’était souvent à une époque où on savait que les emplois intéressants existeraient encore dans dix ans, et que, d’une certaine manière, cela valait le coup d’attendre. Aujourd’hui, on ne sait pas s’ils existeront encore. Rien n’est moins sûr. En cela, et je pense que la grande majorité des jeunes journalistes se posent un jour la question, notamment en radio et presse écrite, est-ce que cela vaut le coup de prendre le risque d’attendre? Le poète Michaux, dans Poteau d’Angle, a une jolie maxime:

Attention! Accomplir la fonction de refus à l’étage voulu, sinon; ah sinon…

Peut-être aujourd’hui faut-il accomplir le refus plus tôt qu’avant, quitte à reprendre l’ascenseur plus tard.

Le deuxième argument critique que l’on retrouve couramment est plus pernicieux. Les jeunes journalistes seraient dans une logique de servitude volontaire. Ils auraient accepté de ne plus réfléchir, de ne plus proposer, et d’accepter un recul global du métier en terme de qualité éditoriale exigée et de salaires réclamés. Mais, pire, toujours selon ces critiques, ils en jouiraient presque, puisqu’en retour ils bénéficieraient d’une exposition publique importante, grâce au départ à Twitter ou Facebook, non liée à leur mérite. On retrouve cet argumentaire chez Raphael Meltz du Tigre, dans la partie la plus faible de son papier.

Je dois avouer que je ne comprends pas cet argument, surtout sa généralisation. Juger la qualité d’une nouvelle génération de journalistes sur les idioties qu’ils écrivent sur Twitter, qui n’est ni plus ni moins qu’un comptoir de café comme un autre, avec son immense lot d’inepties et un éclair de génie de temps en temps, me paraît absurde. Les journalistes ont toujours aimé parler fort au bord du zinc, voilà tout. Si l’on résumait ma production professionnelle à mes tweets, je trouverai ça un peu triste. Jugez-nous sur ce que nous écrivons.

Et lorsque l’on regarde le fond attentivement, qu’est-ce que l’on voit? Des magazines lancés par des jeunes, pleins d’idées, de maladresses et d’envies- je pense notamment à Usbek et Rica ou Snatch. On voit une jeune pigiste de 26 ans maintenant, Sophie Bouillon, qui a obtenu le prix Albert Londres. On voit tous ces jeunes sites ou blogs qui se font et se défont, mais qui bruissent d’idées.

Cet été, en lisant le dernier vrai numéro du Tigre, j’ai été jaloux. C’était la première fois de l’année. Jaloux de la manière dont c’était mis en page, jaloux des articles écrits. J’aurai voulu avoir les mêmes idées. En vrac, le reportage à cent euros de Brest à Brest-Litvosk, le feuilleton au Qatar, les portraits d’anonymes à Paris ou l’après-midi à PMU, souvent plus impressionnant dans la manière de l’écrire, plus que dans le choix du sujet. Mais, dans le même temps, cela me donnait envie d’écrire à nouveau, d’avoir des idées, de penser différemment, d’être un journaliste. J’ai cette impression sur quelques articles de temps en temps, assez souvent en Internet, pratiquement jamais sur l’ensemble d’une publication. Le Tigre ne le mérite pas, mais je citerai à nouveau Poteaux d’Angle, rendant hommage au tigre, la bête:

Qui ose comparer ses secondes à celle-là?
Qui en toute vie eut seulement dix secondes tigre?

Pourquoi faire un journal? Parce que j’ai envie d’être aussi fier un jour que les gens du Tigre tenant entre leurs mains leur numéro double d’été. Parce que, très immodestement, avant de faire faillite ou d’être lassé, j’espère que nous arriverons à donner envie aux gens de nous imiter.

Parce que et l’infinité possible des mots qui s’ensuivent.

Crédits photos CC FlickR par Mike Bailey-Gates

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