OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Big brother le Lab http://owni.fr/2012/10/27/laboratoire-big-brother/ http://owni.fr/2012/10/27/laboratoire-big-brother/#comments Sat, 27 Oct 2012 07:54:29 +0000 Julien Goetz http://owni.fr/?p=124276 "Sous Contrôle" : comment un art comme le théâtre s'empare d'un sujet comme la surveillance ? Comment s'hybrident, sur une scène, un imaginaire et la réalité d'une déviance de nos sociétés ? Quid des humains dans une société sous contrôle - et de quel(s) contrôle(s) parle-t-on ? Entretien avec Frédéric Sonntag, auteur et metteur en scène de la pièce.]]>

La (vidéo)surveillance, on l’aime bien. C’est un peu comme un animal de compagnie avec qui l’on se promène pendant d’interminables semaines. On finit par ne plus bien savoir qui est au bout de la laisse de l’autre et on ne le voit pas changer. Heureusement, ici chez Owni, notre Manhack national ou la fureteuse Sabine, entre autres, gardent l’œil ouvert – et le bon – toujours prêts à pointer, comptabiliser, dénoncer les installations massives et autres comportements sécuritaires absurdes.

Alors, lorsque l’on découvre une pièce de théâtre intitulée Sous Contrôle, qui veut dresser le portait “d’un univers de surveillance généralisée et de ses conséquences sur la population : paranoïa permanente, trouble identitaire, confusion entre réalité et fiction”, forcément, ça nous interpelle.

Rencontre avec Frédéric Sonntag, auteur et metteur en scène du projet.

Sur le plateau, un décor : 9 caméras (de surveillance, traditionnelles, mobiles) presque toutes invisibles, 4 écrans “traditionnels” (écran de surveillance, télévision) et deux éléments de décors servant aussi de support de projection (murs et rideaux). De quoi mettre en scène un réel surveillé, un coin de futur qui déraille dans un glissement progressif.

Frédéric Sonntag :

J’avais particulièrement envie de travailler sur le genre de l’anticipation notamment en prenant comme sujet la société de surveillance. J’ai donc choisi d’aborder la question du contrôle et peut-être plus généralement la question du regard dans cette société de surveillance. Qui regarde qui ? Qui est regardé par qui ? Cette question du regard est forcément politique.

Quelles seraient les conséquences sur le comportement, sur les identités, sur les personnes, d’une tendance à un regard absolu, à une visibilité absolue, à une transparence absolue ?

Avec l’anticipation, je ne prétends pas décrire le monde dans lequel on vit, je crée une fable où je décris un monde et cela me permet d’autant plus de faire des liens. À chacun de se positionner ensuite en se disant “on est encore très loin de ça” ou au contraire “on est déjà au-delà de ça”. Cela permet à chacun de se positionner dans son regard de spectateur. L’anticipation permet de trouver la bonne distance.

Frédéric Sonntag

Pour raconter cette histoire, le format est fragmenté, filmique, jusque dans l’écriture. Il est annoncé : “22 séquences pour une vingtaine de personnages”. Un choix qui n’est pas une posture esthétique mais une volonté de récit.

Très vite est venue l’idée d’une dramaturgie éclatée qui me permettrait de promener les spectateurs à l’intérieur d’un monde, d’un univers que l’on découvrirait à partir de ces séquences là. On est amené, par ces différents symptômes (les séquences) à se demander : comment fonctionne le reste de cette société si nous n’en voyons que ces éléments parcellaires ?

La dramaturgie elle-même fonctionne comme si on était derrière un écran de contrôle et que l’on passait d’une fenêtre à l’autre, d’un fragment à l’autre. La construction même de la pièce est celle d’un panoptique. L’intérêt du fragment est que forcément l’on s’interroge sur la totalité, sur le reste que l’on ne voit pas.

Vers où donc mène ce jeu ? L’hypothèse, comme un “et si…” enfantin, est posée : les comportements humains font le reste. L’écriture de Frédéric Sonntag et l’équipe d’AsaNIsiMAsa donnent la dynamique et l’on voit, sur le plateau, s’opérer croisements, dérives et collisions.

Vers où glissent les personnages dans cette fable d’une société de surveillance ?

Dans les comportements humains, cela crée quelque chose qui est de l’ordre d’une angoisse permanente, d’une tension qui est : comment la peur est présente ? Comment cette question du regard produit de la peur ? Alors que le regard est censé rassurer. C’est tout ce paradoxe du regard d’ailleurs qui est ce par quoi on existe – on a besoin du regard de l’autre pour exister – et en même temps qui est quelque chose qui nous angoisse absolument.

C’est pour cela que l’on a des rapports ambigus face au regard. Comme ce personnage qui dit qu’elle a besoin d’avoir quelqu’un qui la regarde. Finalement, peut-être que ce qui est encore plus angoissant qu’un regard absolu, ce serait l’absence totale de regard ?

On discerne vite, entre les lignes du récit, que les dispositifs de contrôles sont multiples, les caméras de surveillance n’en sont que l’excroissance la plus visible. La surveillance s’étend d’une manière bien plus insidieuse et commune. Les caméras, les écrans, les technologies ne sont pas le sujet même du récit, ils sont des éléments de l’action, des parts agissantes du décor.

L’enjeu de la surveillance est ailleurs et bien plus proche de nous.

On participe toujours d’une façon plus ou moins consciente à ces dispositifs. Le personnage qui s’auto-contrôle nous raconte son histoire en nous disant : “je ne voulais pas vraiment mais je n’avais pas trop le choix, il y avait d’abord une question d’argent derrière, il fallait que je m’en sorte…” On sent que la question est beaucoup plus complexe que de participer ou pas à la chose à laquelle il ne voulait pas participer. Au final comment s’est-il retrouvé embarqué dans tout un système dont il n’arrive même plus à se sortir ?

La colère de ce personnage est dirigée contre le dispositif qui avait été très bien pensé et contre lui-même qui s’est laissé avoir par ce dispositif et en se disant “je ne pouvais pas vraiment faire autrement que de participer à ce dispositif là”.

Il n’y a pas une entité, une personne ou même un pouvoir, qui serait le grand manipulateur de tout cela. On a l’impression qu’un ensemble de personnes produisent ces dispositifs dont eux-mêmes vont être les victimes. Personne n’est à l’abri d’une forme de paranoïa ou de peur qui génère des comportements particuliers, sécuritaires.

Et partant de là, émerge avec un naturel effrayant, la question de l’auto-contrôle.

Comment ces dispositifs arrivent à générer un mode où, soi-même, on rentre dans un dispositif où il faut faire attention, se surveiller et devenir son propre flic ?

Par la responsabilisation, par la culpabilité sans doute. Insidieusement on en arrive soi-même à contrôler ses propres comportements, ses propres actions, ses propres habitudes.

Au fil des séquences, “Sous Contrôle” nous emmène donc explorer les symptômes de cette société de surveillance, aussi absurde que tragique. Des situations qui n’ont pas été créés ex-nihilo. Le jeu ici consiste à pousser le curseur un peu plus loin ou à le décaler légèrement mais la réalité, celle hors-plateau, infuse dans l’histoire.

La torture par le son par exemple, la prise de contrôle des émotions par le son, ça provient de cas concrets. J’ai appris qu’à Guantanamo, on avait imposé à des prisonniers, 24h/24 le même tube ou la même chanson, comme une torture sonore. Il y avait Metallica, Britney Spears, Nine inch nails. J’avais en tête aussi la faction “armée rouge” qui avait subie une torture par l’absence de son. Il y avait des cellules complètement capitonnées où tu n’entends plus aucun son, juste celui de ton propre coeur et cela rend fou au bout d’un certain temps.

Il y a aussi le monologue d’ouverture qui est relié au syndrome “Truman” apparu aux États-Unis, en rapport avec le film “The Truman Show”. Ce sont des personnes atteintes d’une forme de paranoïa avancée puisqu’ils sont persuadés qu’ils sont les personnages d’une série télé ou d’une télé-réalité et qu’ils ont le réflexe d’aller voir des chaines de télévision ou de se rendre dans des commissariats pour dire “faut arrêter de me filmer, faut arrêter les caméras”.

Dans cet univers, où Orwell, K. Dick et Kafka s’entremêlent, l’horizon n’est pourtant pas sombre, ni clos. Les personnages, certains en tout cas, tentent des sursauts pour enrayer l’engrenage, détourner le signal. Parfois en vain, l’écriture s’enroulant alors sur cette thématique paranoïaque où s’enchaînent les évidences logiques…

…et à d’autres moments, ces tentatives ouvrent des possibles et étrangement le salut, l’ailleurs, est au cœur de chaque personnage, dans l’un des derniers territoires où la prise de contrôle se joue : leur cerveau.

Je mets souvent en scène des personnages qui, dans un univers de catastrophe, tentent des espaces de résistance. Entre participer à ce monde hostile et être contre, souvent les personnages créent une troisième solution qui est de créer leur propre espace. Ils se rendent compte qu’en étant contre le système, ils participent au système. Plus ils sont “contre”, plus le système les récupère, ils sont toujours à l’intérieur de ce même système. Ils ne peuvent pas y échapper car, même en étant contre lui, ils sont à l’intérieur.

Le système ne demanderait qu’une seule chose, c’est justement que l’on rentre en rébellion contre lui, donc à partir de là, il faut trouver une espèce de brèche pour se construire son propre espace, sa propre utopie et trouver le moyen d’échapper à ce regard là.

Donc mes personnages essaient de trouver des “ailleurs”, ils essaient de fabriquer des petites utopies personnelles, individuelles ou collectives. Des zones à l’intérieur du monde. C’est une façon de trouver un exil mais à l’intérieur du monde. Il y a quelque chose de l’ordre d’un territoire que ces personnages essaient de fabriquer. C’est une façon de reconstruire un réel qui leur appartient.

Ici, un des espaces possibles, au milieu d’une fictionnalisation générale, de la spectacularisation générale, plutôt que de revendiquer un retour au réel, leur moyen d’y échapper est de générer ses propres fictions. Il y a des fictions qui peuvent être génératrices de possibles.

Étrangement, une fois une certaine frontière passée, plus on avance dans la pièce plus on semble quitter l’anticipation et se rapprocher de notre présent. Comme si l’écriture manipulait le temps et après nous avoir éloigné, nous ramenait au bercail. Comme cette avant-dernière séquence jubilatoire où une banale déclaration de perte de carte d’identité bascule vers une perte totale d’identité face à une administration ivre de son propre pouvoir de contrôle.

Au plus près de nous, la surveillance redevient alors cet animal de compagnie qui nous suit. Ou nous guette.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photo et couverture par Bertrand Faure ; Capture et vidéo par la compagnie AsaNIsiMAsa.

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Le nucléaire enfouit ses données http://owni.fr/2012/04/27/le-nucleaire-enfouit-ses-donnees/ http://owni.fr/2012/04/27/le-nucleaire-enfouit-ses-donnees/#comments Fri, 27 Apr 2012 15:17:38 +0000 Claire Berthelemy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=108116

Le nucléaire, c’est la transparence !

Si l’on en croit cette déclaration d’Anne Lauvergeon, l’ancienne patronne d’Areva, un datajournaliste devrait pouvoir enquêter facilement sur les données du nucléaire. La réalité est plus opaque, comme nous l’avons appris en travaillant sur les rapports de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN).

L’image des irradiés qu’on nous cache

L’image des irradiés qu’on nous cache

En une seule image, OWNI propose un état des lieux global des contaminations provoquées par les installations ...

Le gendarme de l’atome a pour mission de collecter les rapports que lui envoient les exploitants (EDF, Areva ou le CEA) sur chaque accident qui a lieu dans une installation. En théorie. Car si la déclaration est obligatoire et sanctionnée quand elle n’est pas faite ou faite en retard, “cela n’empêche pas l’exploitant de garder au niveau de l’installation les petites anomalies“. Théoriquement encore, il pourrait mettre à la disposition du public un fichier exploitable avec des indications précises. En effet, les formulaires sont constitués de cases à cocher et de champs à remplir : l’accident a-t-il lieu pendant une période de maintenance ? Y a-t-il eu contamination ?, etc.

Cependant, en guise de fichier exploitable – le graal du datajournaliste -, l’ASN met en ligne ses rapports depuis 2000, dont la présentation n’est pas uniformisée. Les quelques informations signifiantes sont présentées en vrac, noyées dans un fatras de précisions sans intérêt. Exemple parmi d’autres :

L’ASN n’y voit rien d’anormal :

C’est pas la même personne qui remplit le site. Il y a plusieurs divisions et plusieurs personnes. Même s’ils essaient d’harmoniser…

Pas de codeur, pas de données

Ces rapports sont semi-structurés, c’est-à-dire qu’ils présentent tous des éléments similaires qui peuvent être isolés à l’aide d’un petit programme. Un – gentil – codeur a donc pu extraire un fichier propre à 95% de quelques 1 300 lignes avec les informations suivantes : installation ; titre du rapport ; niveau de l’incident ; date du rapport ; lien vers le rapport.

Les blessés du nucléaire parlent

Les blessés du nucléaire parlent

Voici une cartographie interactive pour découvrir la vraie vie des victimes du nucléaire français. Entre les incidents ...

À partir de ce fichier, nous avons dû constituer manuellement un premier sous-fichier se focalisant sur les incidents de contamination. Les éléments se divisent en deux grandes catégories : accident avec atteinte corporelle et accident avec une contamination vestimentaire. Nous avons listé dans le fichier, pour mémoire, les trois atteintes qui n’étaient pas des contaminations. Nous avons ensuite complété ce sous-tableau en rajoutant des indications qui nous semblaient importantes.

> Informations présentes dans les rapports :

- le site et l’INB. On entend souvent parler de façon générique de La Hague par exemple. Ce nom correspond dans le tableau des Installations nucléaires de base (INB) au site, qui regroupe parfois plusieurs installations. Par exemple “Centrale nucléaire de Paluel” atterrit dans deux colonnes : Paluel pour le site et Centrale nucléaire de Paluel pour l’INB
- l’exploitant.
- le nombre de personnes touchées.

> Informations présentes de façon aléatoire dans les rapports :

- la date de l’incident. Fait pourtant partie des items à préciser dans le formulaire.
- si l’accident a eu lieu pendant un arrêt de tranche/une période de maintenance. Même remarque que ci-dessus.
- le radioélément. Pourtant, l’exploitant dispose d’une dizaine de lignes pour décrire les conséquences réelles et potentielles.
- contamination externe ou interne (plus grave). Même remarque que ci-dessus.
- si l’incident concerne un sous-traitant et le cas échéant le nom de l’entreprise sous-traitante s’il est indiqué.

> Une colonne où nous avons isolé des extraits de rapport qui nous ont étonnées, intriguées, choquées…

Si les délais de déclaration – donc de remise du formulaire provisoire – ne sont pas respectés, l’ASN est en droit de dresser un procès verbal. À quand un procès verbal pour remplissage incomplet du formulaire ?

Échanges kafkaïens

Ni l’exploitant ni l’ASN ne nous ont facilité la tâche. Extrait d’un échange.

OWNI : Je cherchais à obtenir la liste des arrêts de tranche par centrale depuis la mise en service du premier de leur réacteur. Vous m’aviez précisé que cette liste se trouvait sur le site de l’ASN. Or se pose pour nous le problème des arrêts de tranche avant 2005, ils ne se trouvent pas sur le site.

L’ASN  : Le moteur de recherche vous permet de retrouver la liste des arrêts de réacteur. Il suffit de choisir dans la liste déroulante “Arrêt de réacteur”. Sur la droite, vous aurez alors les Options de recherche. Il faudra cliquer sur « Par date » puis « Plus de six mois ». Les résultats sont classés par anté-chronologiquement. A partir de la page 14, on peut disposer des arrêts de tranche de 2005.

OWNI : Il s’agissait des arrêts de réacteur avant 2005, plus précisément entre 2000 et 2005… Et ceux là ne sont pas sur le site.

L’ASN : Rebonjour, Je vous envoie le texte en ligne sur notre site :

http://www.asn.fr/index.php/Les-actions-de-l-ASN/Le-controle/Actualites-du-controle/Arret-de-reacteurs-de-centrales-nucleaires”

Du coup, l’ASN nous a renvoyé vers l’exploitant, EDF, pour les informations antérieures, nous avons donc appelé plusieurs centrales. Lesquelles nous ont renvoyées vers l’ASN. Finalement, un attaché de presse au siège s’est fendu d’un pdf avec les années des arrêts. Sollicité pour des informations plus précises sur les mois concernés et les arrêts moins longs sur la période 2000 – 2006, il nous a répondu :

On n’a pas gardé d’archive au-delà de la communication. On n’a pas d’informations sur des événements aussi lointains.

Le fichier final tant bien que mal constitué constitue un tableau inédit, comme nous a expliqué Cédric Suriré, doctorant en socio-anthropologie du risque et des vulnérabilités

Ce tableau est l’outil qui manque dans l’histoire du nucléaire : la prise en compte de l’homme dans l’industrie du nucléaire.


Nous remercions vivement, dans l’ordre d’arrivée, Julien Kirch (au code), les chercheurs Cédric Suriré et Annie Thébaud-Mony et Marion Boucharlat (au graphisme), sans qui ce travail n’aurait jamais abouti.

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