Les nouveaux métiers du journalisme

Le 9 mars 2010

Un débat public organisé par le Social Media Club sur les nouveaux métiers du journalisme en ligne s'est déroulée le 17 février 2010, à La Cantine, à Paris. Vous trouverez ici un compte-rendu des interventions.

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Titre original :

Au Social Media Club, les nouveaux métiers du journalisme

Un débat public organisé par le Social Media Club sur les nouveaux métiers du journalisme en ligne s’est déroulée le 17 février 2010, à La Cantine, à Paris. Animé par Julien Jacob, il a suivi le format classique du Social Media Club France, à savoir une prise de parole d’environ 15 minutes pour chaque intervenant suivie d’une série de questions/réponses. Résumé de chaque intervention rédigé par le Social Media Club.

Le journalisme crowdsourceur

Jean-Luc Martin-Lagardette, journaliste pour le webzine Ouvertures, a évoqué pour nous l’expérience qu’il a menée avec le site Agoravox.

L’objectif général de sa démarche était de tenir compte de la participation du public dans l’élaboration de l’information. Cet objectif s’est traduit par la tenue d’une série d’ « enquêtes participatives », menées à l’aide de la communauté d’internautes voulant bien témoigner et contribuer à une réflexion autour d’une thématique bien précise.

Jean-Luc a évoqué la première de ces enquêtes (été 2007), qui fût sans conteste la plus enrichissante, concernant un sujet d’actualité déjà assez largement traité et qui faisait à l’époque déjà polémique sur le site : l’obligation vaccinale. Rebondissant sur un fait d’actualité (en mars 2007 une loi est passée qui durcissait les sanctions contre les réfractaires vaccinaux), il a tout d’abord écrit un premier article commentant ce projet de loi en invitant les internautes à réagir : ce durcissement était-il selon eux justifiée ?

Les commentaires n’ont pas tardé à affluer (600 contributions à date) et l’enquête fait aujourd’hui pas moins de 70 pages, épais dossier librement accessible sur le site d’Agoravox qui a donné lieu à presque 70 000 téléchargements !

La vraie richesse de cette démarche, selon Jean-Luc Martin-Lagardette, a été la réelle diversité des sources et des angles. Sur internet, les contributeurs étant tous sur un pied d’égalité, la distanciation se trouve en effet maximisée entre le journaliste et ses sources, le professionnel s’en tenant à l’information brute, au contenu, sans a priori sur celui-ci.

On peut donc entrevoir avec ce type de démarche une certaine « neutralisation » de l’avis du journaliste qui, face au grand nombre de contributions et d’avis contradictoires, a plutôt un travail de synthèse à effectuer.

Bien sûr, au fur et à mesure de la remontée des informations, Jean-Luc a mené un vrai travail d’investigation en procédant à des vérifications, à des interviews de personnes compétentes (scientifiques, responsables administratifs, associatifs), comme cela se fait dans toute enquête journalistique.

Mais le journaliste a tenu à souligner à quel point sa démarche se différenciait d’une investigation classique, la singularité de cette enquête résidant dans sa longue durée (3 mois) et dans l’utilisation de la puissance de l’outil internet en matière de mobilisation des sources.

Jean-Luc nous a en outre fait part de son regret à propos du faible relais opéré par les médias traditionnels concernant les résultats de son enquête, écho qui aurait pu permettre de lancer un réel débat sur la scène publique, d’avoir un véritable impact politique.

Enfin, il a souligné le fait qu’il lui a manqué un réel outil de gestion des contributions (documents, mails, commentaires…) pour faire face à leur nombre important et à leur diversité.

Le journalisme de données

Augustin Scalbert a pris la parole à ce sujet. Journaliste pour Rue89, il a pris ici la parole en tant qu’acteur de la campagne Libertés d’informer lancée entre autre avec ses confrères Luc Hermann et Paul Moreira. Cette campagne vise à promouvoir le vote d’une loi en faveur d’un accès plus libre à l’information en France. Concrètement, le collectif milite pour offrir aux citoyens un mécanisme de contre-pouvoir par le biais d’un accès libre aux données administratives, dans une logique de transparence.

Augustin a souligné le fait que la France est un des pays occidentaux les moins transparents en matière de mise à disposition de documents administratifs. Aux Etats-Unis, le Freedom of Information Act datant de 1966 garantit cette transparence. Le site Wiki Leaks s’est fait le spécialiste de la publication de données confidentielles outre atlantique, concernant la santé publique, le droit, ou les dépenses gouvernementales… C’est à lui que l’on doit par exemple la récente révélation du traité international ACTA qui fait craindre un filtrage généralisé du net sans passer par une autorité judiciaire.

En France, une loi de 1978 a bien donné naissance à la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) mais celle-ci ne disposant pas d’un pouvoir d’injonction voit la moitié de ses demandes d’accès à des données sensibles tout bonnement refusée. Augustin donne comme exemples l’affaire Borel (décès suspect d’un magistrat à Djibouti), la violente répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 ou encore les retombées de la catastrophe de Tchernobyl en France comme autant de dossiers aux nombreuses zones d’ombre qu’un libre accès aux documents officiels aurait pu permettre d’éclaircir.

La CADA reste donc utile, pouvant constituer une menace en cas d’une réelle pression citoyenne sur l’administration, mais demeure un outil trop restrictif et finalement peu utilisé.

La pétition lancée par Libertés d’informer regroupe à ce jour 6000 signatures et ne dispose malheureusement que de trop faibles relais politiques. La classe dirigeante ne semble pas réaliser que rétablir un lien de confiance avec ses citoyens passe par le soutien de ce genre d’initiative.

Finalement, ce dont le mouvement Liberté d’informer est le symptôme, c’est que les journalistes et de façon plus générale les citoyens ont soif d’information brute, de données librement accessibles et exploitables, pertinentes et incontestables…

En effet, pour paraphraser Nicolas Vanbremeersch, « dans un monde d’hyper commentaires, on ne peut qu’espérer que les médiateurs de l’information s’emparent des données » pour nous fournir de l’information effective pertinente et ainsi à nouveau exercer leur rôle de contre-pouvoir.

Le journalisme coproducteur

Pierre Haski, cofondateur du site Rue89, est venu nous parler de son expérience d’un nouveau journalisme en ligne.

Il a  abordé le modèle du site en matière de production de l’information. Au départ, Rue89 reposait sur l’idée de « l’info à 3 voix », soit l’association de contributions émanant de journalistes, d’experts et d’internautes produisant de l’information séparément mais en un espace commun.

Cette méthodologie n’a pas été suivie dans les faits, le système ayant vite démontré ses limites du fait du manque de crédibilité des contributeurs amateurs et donc de la nécessité d’une validation journalistique des contenus produits.

Le modèle actuel équivaut donc plutôt à une « mise en musique » des différentes contributions, à un travail commun de production d’information.

Cette coproduction de l’information se matérialise de différentes manières. Par exemple, le site a mis en place un comité de rédaction participatif qui voit les 15 journalistes professionnels connectés en live à une centaine de chatteurs proposant des pistes de réflexion et apportant leur feedback aux idées émises par les journalistes.

Pour couvrir l’évènement au plus près et réagir rapidement aux faits d’actualité, Rue89 bénéficie des nombreux témoignages et remontées d’informations émanant d’internautes (live blogging, système d » « alertes ») et peut ainsi exploiter cette information brute afin de fournir du contenu de qualité sur son site.

Ce travail main dans la main avec la communauté des internautes permet à Rue89 de couvrir un évènement avec une rapidité jusqu’ici jamais atteinte : le site a par exemple été le premier à prendre la mesure de la grève en Guadeloupe. La presse n’en parlait pas, mais Rue89 recevait des messages indiquant des problèmes : ils ont alors mobilisé par email les habitants de l’île figurant dans leur base de données en demandant des témoignages, précieuses sources d’informations à partir desquelles les journalistes du site ont pu rédiger un article fourni sur les évènements.

Pour reprendre l’idée de Jeff Jarvis, à l’heure d’internet, l’information et donc les articles ne sont plus des produits finis mais ce sont des process en perpétuelle évolution. Sur le site, l’auteur d’un article se charge de la modération des commentaires, répond aux remarques émises et met en avant les contributions intéressantes dans une démarche de perpétuel enrichissement de la réflexion. Il arrive de ce fait que sur la base des commentaires, un second article soit rédigé pour affiner l’analyse première.

Là où les sites des journaux traditionnels se contentent d’externaliser le traitement des commentaires à des sociétés tierces, Rue89 effectue donc pour sa part un aller-retour permanent entre fondamentaux du journalisme et gestion du participatif, instaurant ainsi un vrai rapport avec le lecteur.

Le journalisme témoignage d’actualité

Philippe Checinski nous a présenté le site dont il est l’un des fondateurs : CitizenSide.

Il nous a tout d’abord rappelé que 20 000 photos sont envoyées chaque jour sur Facebook et 24h de vidéos chaque minute sur Youtube. L’idée du site est donc partie de ce constat que les internautes sont de plus en plus enclins à poster du contenu en ligne.

Le site se veut donc être une plateforme assurant l’intermédiation entre amateurs et professionnels de l’information. Le service repose sur la mise à disposition de contenu UGC aux médias qui peuvent venir piocher parmi les photos et vidéos d’actualité postées par les internautes. CitizenSide se charge de fixer le prix et de négocier la vente aux médias intéressés.

600 à 1200 photos/vidéos sont reçues chaque jour par le site. Avant toute mise en ligne, l’équipe du site effectue donc un travail de vérification du contenu. C’est là son cÅ“ur de métier, nous affirme Philippe. Cette validation repose sur une identification claire de la source (sa fiabilité, ses antécédents) et sur une expertise technique du site.

L’équipe dispose en effet de puissants outils permettant d’extraire des métadonnées de toute photo ou vidéo postée. Ces données renseignent CitizenSide sur la qualité du contenu (photo retouchée ou issue de Facebook, lieu de capture par géolocalisation…) et permettent de valider ou non une contribution.

Le site s’appuie donc sur la volonté des gens de participer à l’actualité et oeuvre ainsi à la crédibilisation du document amateur, trop souvent considéré comme peu fiable.

Le business model de CitizenSide reposait tout d’abord sur le prélèvement d’une commission sur les transactions effectuées sur le site, mais Philippe a aussi évoqué le développement d’une marque blanche vendue aux médias, avec mise à disposition de la technologie et du back-office du site. Le gratuit 20 minutes, BFM TV ou Voici comptent déjà parmi les clients.

Le cofondateur du site nous a également annoncé le lancement imminent de la plateforme EditorSide qui regroupera en un espace unique l’ensemble des contenus disponibles sur CitizenSide mais aussi sur les sites partenaires disposant de la technologie du site.

Enfin, Philippe Checinski a abordé les perspectives offertes par le développement d’applications mobiles et l’usage des techniques de géolocalisation qui en découle. On pourrait imaginer à l’avenir un système d’injonction à la contribution de « city-reporters » (aller prendre une photo ou capturer une séquence vidéo), sorte d’appel à témoins en temps réel, en fonction du lieu où se trouve chacun et des évènements qui s’y déroulent.

Le journalisme en réseau

Alexandre Piquard, journaliste sur LePost, est venu clore cette session par son témoignage.

Il nous a présenté le modèle du site, à la fois hébergeur et éditeur de contenu.

LePost rassemble en effet à la fois des contributions d’internautes (40 000 membres), des posts de blogueurs invités (30 experts) et des articles émanant de la rédaction (6 journalistes spécialisés). Chaque jour, une centaine d’articles passe en Une du site, issus de ces trois sources, et 6000 commentaires sont postés. D’où la notion de « journalisme en réseau », concept basé sur l’idée d’écosystème médiatique où différents acteurs enrichissent une même plateforme par des informations complémentaires.

La gestion de ce flux incessant d’informations est opérée par l’équipe de rédaction. Différents labels existent pour qualifier l’information et ainsi mettre en avant telle ou telle contribution. Le label « info brute » correspond aux apports des internautes non encore validés par les professionnels. Ce type d’information ne peut se retrouver en Une, au contraire des articles « info vérifiée » qui jouissent d’une visibilité accrue, au même titre que les articles des journalistes et blogueurs (« info rédaction » et « info invités »).

Faire du journalisme en réseau c’est aussi ne pas hésiter à se projeter hors de sa plateforme, insiste Alexandre. LePost se veut ainsi ouvert au microblogging produit sur les réseaux sociaux et relaie ponctuellement des « live twits » sur sa Une, en témoigne la récente couverture des débats sur la Loppsi à l’Assemblée. En outre, le site n’hésite pas à relayer du contenu issu d’autres médias et à renvoyer vers leurs sites en mettant en pratique le « journalisme de liens » cher à l’Américain Scott Karp.

Retrouvez l’actualité du Social Media Club France sur son blog : http://www.socialmediaclub.fr
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> Article initialement publié sur Rue89

> Illustration par Doing Media Studies sur Flickr

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