Je veux être journaliste dans un pays privé de liberté de la presse

Le 11 juin 2010

En Bosnie-Herzégovine, il n'est pas facile pour les jeunes journalistes de trouver un espace de publication indépendant, comme en témoignent plusieurs étudiants.

Dragana Bozic a 21 ans. En deuxième année d’école de journalisme en Bosnie-Herzégovine, à Banja Luka, elle commence aujourd’hui l’équivalent d’un contrat de remplacement à Alternative TV (ATV), une des chaînes les plus indépendantes du pays.

Mais de contrat justement, elle n’en aura pas : “Je suis censée être là pour un mois, et si ça se passe bien, peut-être jusqu’à octobre. Mais je ne sais pas si je serai payée”, raconte-t-elle en gardant sa bonne humeur imperturbable.

Le salaire minimum pour les journalistes, c’est 270 KM, marks convertibles, soit 135 euros par mois, mais sans contrat, on ne peut pas savoir.

Les seuls journalistes correctement payés dans ce pays sont ceux qui travaillent pour une des trois chaînes publiques, qui reçoivent de l’argent des gouvernements.

Les gouvernements, ce sont le gouvernement d’État de la Bosnie-Herzégovine, et ceux des deux entités qui composent le pays, la République serbe au nord, dont Banja Luka est la capitale, et la Fédération croato-bosniaque au sud. A Banja Luka, la télévision officielle, c’est la RTRS, qui vit injectée des capitaux du SNSD, le parti au pouvoir.

A Banja Luka, la première chaîne de télévision du pays, la RTRS (à gauche), est la marionnette du gouvernement (à droite)

Dragana, elle, déteste la RTRS, et fustige sa promiscuité avec le parti, sans avoir les moyens de s’en passer : “L’année prochaine, je dois faire un stage dans leur service radio”.

Quand elle ne travaille pas, Dragana passe des heures au café avec son meilleur ami, MiloÅ¡ Lukic, un étudiant de 3ème année de l’école de journalisme, avec qui elle s’écharpe sur la politique. MiloÅ¡ a sa carte au SNSD, mais admet tout de même, un peu embarrassé, que la chaîne de télévision la plus regardée de la Republika Srpska ne pourrait pas critiquer le gouvernement.

Sans trouver les autres meilleures :

Aujourd’hui que le SNSD est au pouvoir, tout le monde dit que la RTRS est trop proche du pouvoir. Mais jusqu’en 2006, quand le SDS était au pouvoir, et que la RTRS le critiquait, tout le monde la trouvait indépendante

C’est ça, le problème de la liberté de la presse en Bosnie. Chaque parti a son réseau de médias à son service, et lui donne les moyens. Les autres médias n’ont pas d’argent, et vivent comme ils peuvent, c’est-à-dire mal. “Parfois à ATV”, explique Dragana, “les rédacteurs donnent de l’argent à leurs collègues pour qu’ils puissent terminer leurs reportages”.

Quand on demande à ces jeunes s’ils pensent que la situation pourrait changer bientôt, ils arborent tous une moue dubitative. Pourquoi vouloir être journaliste alors, quand on sait qu’on ne pourra pas exercer son métier librement?

“Je pense que la nouvelle génération, nous, essaye de changer les choses”, explique Nevena Vrzin, étudiante en journalisme et qui travaille au journal Nezavisne Novine.

J’espère qu’un jour nous aurons tous le courage de nous lever et de dire ‘je veux travailler comme ça et pas autrement’. Mais il faut travailler, vivre, et les idéaux disparaissent quand il faut manger.

Nezavisne Novine, ça veut dire “journal indépendant”. Créé au début des années 90 avec le soutien de Milorad Dodik, jeune politicien de l’époque et aujourd’hui… Premier ministre de la Republika Srpska et président du SNSD, le journal n’est “évidemment pas objectif” lance MiloÅ¡.

En 1999, le propriétaire du journal, Zeyko Kopanja, perd ses jambes dans un attentat : l’affaire est étouffée, et personne n’est jugé. Tout le monde a sa théorie sur le coupable : pour Milos, ce serait un proche de Radovan Karadzic, l’ancien homme politique accusé de génocide, fondateur du parti SDS, concurrent du SNSD. “Tout ça fait partie d’un système général de corruption, de toute la société. Il faut que toute la classe politique change pour que les médias changent”, estime le jeune homme.

Nevena, elle, a trouvé sa parade : “Ne pas travailler dans les rubriques politiques des journaux. Moi je suis en culture, je dis ce que je veux”. Avant d’admettre : “Parfois, quand des événements culturels sont liés à Dodik et au ministère de la culture, je suis obligée de les couvrir”. MiloÅ¡, passionné de politique, voit ça comme un défi : “C’est à moi de protéger mon indépendance. C’est un challenge pour moi”.

Son grand frère Luka, étudiant en philosophie, conclut :

Tu peux publier n’importe quelle histoire ici. Mais pas dans n’importe quel journal

Images CC FLickr par yoshiffles

En savoir plus: le projet des étudiants du CUEJ en Bosnie ainsi que celui des étudiants du CELSA

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés