Libérez les données de vos expériences

L'industrie pharmaceutique a l'habitude de ne publier que les données des recherches qui l'arrangent. Pourtant les données enterrées ne sont souvent pas anodines mais on ne s'en rend compte que lors d'actions en justice.

La semaine dernière, l’entreprise pharmaceutique AstraZeneca a payé 150 millions d’euros de dommages et intérêts pour stopper une action collective en justice (class action). Plus de 17 500 patients affirment que l’entreprise a retenu des informations montrant que la quetiapine, médicament traitant la schizophrénie (vendu sous le nom de Seroquel) [NDT: mais interdit en France], pouvait être la cause de diabètes. Mais pourquoi les entreprises payent avant le procès ?

Les litiges, entre autres bonnes choses, font sortir dans le domaine public certains documents. Grâce à ça, nous en savons un peu plus sur les plans diaboliques de l’industrie du tabac pour cibler les jeunes ou sur le faux journal académique que Elsevier a créé pour le département marketing de Merck, par exemple.

Un des documents les plus importants de l’industrie pharmaceutique révélé dans ce cadre traite de la quetiapine. Il se trouve maintenant dans une archive en ligne. Ce document est un email de John  Tumas, directeur des publications chez Astrazeneca, dans lequel il admet que tout ce que je dénonce sur mon blog et ailleurs depuis un moment, l’industrie pharmaceutique le fait.

« Laissez moi rejoindre la bagarre » commence John dans sa réponse à un collègue.  « Il y a eu un précédent jeu de données avant un tri sélectif. » Le tri sélectif de données, c’est quand on donne seulement les données à son avantage tout en enterrant les données qui pourraient nuire au patient. Les oreilles des avocats se dressent à chaque fois qu’une histoire de données sciemment ignorées par l’industrie pharmaceutique sort car cela implique quelque chose de délibéré. Il explique que le dernier tri sélectif a eu lieu au sujet « des données de l’essai 15 de la présentation de Velligan (un des essais enterrés) ».

L’essai 15 est un essai effectué par AstraZeneca, dont on a beaucoup parlé. Les patients schizophrènes en rémission étaient aléatoirement assignés à un groupe qui recevait soit la quetiapine de AstraZenece soit un ancien médicament moins cher, le Haloperidol. Après un an, les patients sous Seroquel allaient moins bien : ils ont eu plus de rechutes (ce qui est très important dans le monde réel) et de moins bons scores sur des échelles d’évaluation de l’intensité des symptômes. Ces résultats négatifs n’ont pas été publiés : pour utiliser le mot de John, ils ont été « enterrés ».

Mais dans ce tas de résultats négatifs, le Seroquel faisait mieux sur quelques mesures de « fonctionnement cognitif » – une tâche d’attention, un test de mémoire verbale etc- . Ces résultats seuls ont été publiés (par Velligan et al en 2002) et le fait que les patients sous Seroquel avaient de moins bons résultats concernant leur schizophrènie n’y figuraient pas. Le papier de Velligan n’était pas un petit évènement : ce travail a eu une grosse influence sur la recherche avec plus de mille citations faites par d’autres articles scientifiques. Beaucoup de chercheurs rêvent de publier un travail aussi cité.

Pendant ce temps là, l’étude 15 a aussi montré que les patients sous Seroquel grossissaient en moyenne de 5 kilos par an, augmentant leurs risques de diabètes, ce que Astrazeneca doit maintenant gérer (et, dans n’importe quel cas, le gain de 5 kg est un sérieux effet secondaire).

Tous les médicaments ont des effets secondaires et la quetiapine n’est pas unique : les médicaments psychiatrique en particulier font globalement plus de bien que de mal , mais beaucoup d’entre eux ont aussi des effets secondaires sérieux et récurrents. Quand c’est le cas, il est très important que les médecins et les patients connaissent tous les risques afin de faire les compromis judicieux et biens informés.

Ce n’est que le premier paragraphe d’un mail sur les 100 qui parlent de la quetiapine. C’est sans fin : dans le document 13 de l’archive, Richard Lawrence a envoyé un note interne à ses collègues : « Lisa a fait du très bon travail avec ses écrans de fumée » sur l’essai 15. Il existe bien d’autres exemples sur ce cas.

Cette histoire n’est étonnamment pas étonnante. L’attitude de l’industrie pharmaceutique s’est transformé une triste farce. Les médecins et universitaires, qui devraient être contents de travailler avec eux pour développer de nouveaux traitements, en sont malades sachant que seuls des projets informels ou ad hoc utilisent les données « enterrés » et ont clairement échoué.

En 2005, le Comité International des Rédacteurs en Chef de Revues Médicales (ICMJE) a mis les pieds dans le plat et a déclaré que leurs journaux ne publieraient plus que des articles dont les essais seraient enregistrés avant même le début des recherches, ce qui devrait faciliter la recherche des données manquantes. Quelques années plus tard, nous pouvions lire dans Bad Science que la moitié des essais que les éditeurs du ICMJE publiaient était enregistrée  convenablement et qu’un quart n’était pas du tout publié.

Après que le mandataire de l’État de New York a poursuivi GlaxoSmithKline pour leur procès-verbal « illégal et mensonger » sur les risques de leur antidépresseur paroxetine (sous le nom commercial Seroxat), GSK fut d’accord pour publier les données d’essai sur leur site internet : mais cela n’est fait que par cette seule entreprise, et ça ne résout qu’une toute petite partie du problème. Le mois dernier, nous apprenions que GSK et la Food & Drug Administration (FDA) avaient découvert, des années après l’agrément du rosiglitazone (dont le nom commercial est Avandia), des données montrant qu’il augmentait les risques de problèmes cardiaques.

Cette semaine dans la revue scientifique en accès libre Trials, deux chercheurs ont présenté quelques idées de lois internationales essayant de combler ce vide juridique et d’empêcher l’industrie pharmaceutique d’enterrer des données dont les médecins ont besoin pour prendre des décisions importantes envers leurs patients. Cette initiative ne va pas assez loin. Toute entreprise qui enterre des données d’essais font du mal aux patients. Je ne comprends pas pourquoi un comité d’éthique laisserait une entreprise retenant des données conduire des études plus approfondies sur des humains. Je ne comprends pas pourquoi l’État n’imposerait pas des contraventions. J’espère que ce n’est que parce que les politiques ne comprennent pas l’importance des souffrances que cela entraîne.

Publié initialement sur Bad Science et The Guardian

Photo CC FlickR Sparky et Jussi Mononen

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