La guerre dont vous êtes le héros

La parole a-t-elle plus d'impact qu'une balle de fusil M-16? Les unités PSYOP ont mis au point un mode opératoire complexe, entre propagation de rumeurs, tractage intensif et échanges avec les habitants.

Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Pour gagner les coeurs et les esprits des Irakiens, tous les moyens sont bons: tracts, jouets, messages radios… Des armes aussi efficaces que les fusils et les grenades.

Les unités américaines d’opération psychologique (les PSYOP) changent d’outils, selon trois critères: la situation, le public et le but recherché. Passage en revue d’un arsenal psychologique, entre distribution de tracts, de jouets, diffusion de rumeurs, et incitation à la délation.

Distribuer des tracts

C’est l’arme phare (de base) de la guerre psychologique, la plus utilisée tout au long du conflit. Selon cet article officiel des PSYOP, des milliers de tracts sont largués par hélicoptère. Lors de l’invasion de 2003, des avalanches de flyers exhortant les tenants de Saddam Hussein à se rendre se sont abattus sur le pays. Une grande variété de slogans ou d’informations sont élaborés par la suite par les équipes PSYOP, au cours d’un processus décrit dans les dernières pages de ce rapport de 2003. Vous pourrez observer quelques exemplaires de tracts ici.

Ils peuvent être utilisés en réaction à un attentat, pour des opérations de promotion de fond des forces américaines et/ou irakiennes (après 2007) ou pour des évènement précis. Par exemple, afin de préparer la population au référendum sur la Constitution et la mobiliser, en octobre 2005, les soldats distribuent des tracts de mains en mains tout en discutant avec les habitants du village.

Quelques exemples de tracts:

Désolée, vous n’étiez pas là quand nous sommes venus vous rendre visite. Mais ne vous inquiétez pas, on finira bien par vous attraper, vous et vos amis!

Citoyens de la province de Ninewah pour soutenir l’état d’urgence décrété par le gouvernement irakien, les forces de sécurité irakiennes et les forces multi-nationales ont installé des check point à divers endroits et effectuent des fouilles de véhicules sur les routes de la région. Ne sortez pas de votre véhicule sauf ordre contraire.

Distribuer des jouets

En distribuant des jouets aux enfants irakiens, les soldats américains tentent d’apaiser les tensions avec la population locale – surtout pendant les perquisitions ou les opérations anti-terroristes.

Mais le choix des jouets est délicat: les Barbies sont considérées contraires à l’Islam, et les petites voitures seraient les “des symboles d’infidèles” selon les extrémistes religieux.

Les distributions de jouets sont mal perçues par les insurgés. Ils y voient une tactique d’influence des Américains. Les PSYOP tenteraient de convertir les petits Irakiens à l’American Way of Life. En attendant, les enfants préfèrent les armes en plastique aux peluches, la guerre à la paix.

Envoyer un script radio ou TV

Comment éviter la panique et les mouvements de foule ou de contestation juste après un attentat? Comment informer beaucoup de monde, et rapidement? La solution se trouve dans les médias audiovisuels: radio, et télévisions locales. Dans ce rapport, juste après un attentat à la voiture piégée dans la ville de Kirkuk, il est décidé d’envoyer un message via la radio pour informer la population sur l’auteur de l’attentat, le nombre de blessés, etc.

Dans un autre cas, à Mossoul, trois femmes civiles sont blessées à l’intérieur d’une voiture que les soldats américains prennent pour une voiture piégée. Dès lors, un message pour expliquer les circonstances de l’accident est envoyé dans deux radios locales :

L’unité PSYOP a envoyé un script radio approuvé à ces stations radio pour le bulletin d’information [...] Script: A Mossoul, des locaux ont été blessés lorsque les forces de coalition répondaient à une attaque sur une autre unité dans le quartier X de Mossoul. Une enquête commune entre la coalition et les forces irakiennes est en cours pour déterminer les circonstances de l’incident.
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Rapport de l’unité PSYOP, 3 février 2009

Ecouter les bruits de rue, écouter les sermons des mosquées

Afin de comprendre comment la population locale réagit face aux attentats et autres incidents, rien de plus astucieux que d’écouter ce qui se dit dans la rue… et dans les mosquées. Cela permet aux soldats de la PSYOP de mieux adapter leur message à la culture et aux moeurs des Irakiens. Des missions qui ne sont pas sans danger. Dans ce rapport, on apprend que lors d’une mission d’écoute dans les mosquées, une unité PSYOP essuie à trois reprises des tirs ennemis. À chaque attentat, systématiquement, les mêmes messages sont envoyés aux soldats:écouter l’ambiance et ce qu’il se dit dans la rue, ou encore écoutez/observez les rumeurs à propos de l’attentat“.

Engager la conversation avec les habitants

Vers la fin de la guerre, l’influence se fait à un niveau individuel. Les PSYOP se tournent vers les conversations directes avec la population, comme le recommande ce rapport qui fait suite à un attentat. Accompagnés de leurs interprètes, quand ils ne maîtrisent pas eux-mêmes l’arabe, ils diffusent leur message, toujours guidés par des ‘talking points’ prédéfinis.

Propager des rumeurs

Dans ce rapport, il est recommandé de lancer des rumeurs au cours de conversations avec la population locale. Les soldats propagent ainsi leur messages au plus près des Irakiens et de manière diffuse, le bouche-à-oreille ne permettant pas de déterminer l’origine de l’information.
C’est un outil ingénieux, car il s’adapte à une réalité culturelle locale. D’après le colonel Chauvancy, “au sein des sociétés rurales dans lesquelles opère l’armée américaine, elles se répandent très vite, de village en village”. Il s’agit pas de “donner sa version de la vérité” tout en la faisant relayer par les locaux eux-mêmes, ajoute Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique.

Payer pour avoir des informations (“reward program”)

Méthode employée pour obtenir des informations sur les activités d’insurgés ou de trafiquants d’armes, les rapports Wikileaks indiquent une nette augmentation de l’utilisation de récompenses dans le cadre de la stratégie contre-insurrection engagée par Petraeus. A la suite d’un attentat, les PSYOP diffusent sur la radio et télévision locale et sur des affiches publicitaires des numéro de téléphone permettant à la population locale de transmettre des informations en échange d’argent. Et martèlent que “protéger sa famille et son pays relève du devoir de tout citoyen honorable”.

Surveiller des manifestants

Toute manifestation doit être surveillée pour palper l’opinion du moment et surtout éviter tout débordement. Dans ce rapport, les PSYOP surveillent de près une manifestation pour protester contre la mort d’un leader du Hamas. Sur place, ils dénombrent 1.000 manifestants. Dans un autre rapport, on comprend que les PSYOP se débrouillent pour discuter avec les leaders d’une manifestation de 100 personnes contre la fermeture d’un pont suite à plusieurs attentats dans la zone. Un autre exemple de surveillance de manifestation ici.

Quelle efficacité ? “Plus l’opération a un but précis, local et à court terme, plus elle est efficace”, analyse Philippe Gros. Par exemple, convaincre la population que les insurgés leur veulent du mal est un projet si général que les retombées sont très compliquées à mesurer. Mais inciter les habitants d’un village à aller voter lors d’une élection paraît bien plus réalisable.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

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Crédits photo: Flickr CC DVIDSHUB, illustration Marion Boucharlat

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