Un label qui tient le shock !

Le 9 juin 2011

A plusieurs reprises nous avons rendu hommage à des labels qui n'ont pas survécu à la crise du disque. Aujourd'hui, nous fêtons l'anniversaire du label Eckler'O'shock qui nous surprend par la qualité artistique et stratégique de son travail.

Nous avions déjà eu l’occasion d’interviewer Matthieu Gazier en tant que représentant français de Mobile Roadie. Aujourd’hui, c’est en tant que fondateur du très bon label Ekler’O’shock que nous lui proposons de s’exprimer. Bosseur passionné, Matthieu a plus d’une corde à son arc et sait intelligemment les combiner afin d’atteindre ses objectifs. C’est à l’occasion d’une exposition organisée pour fêter les 9 ans du label à la galerie La Tour que nous décidons d’en savoir plus sur l’homme à l’origine d’Ekler’O’shock, mais pas seulement… Le roster du label est majoritairement constitué d’artistes électro mais attention, ici, le terme prend une tout autre couleur…

Nous avons questionné Matthieu sur ses intentions, motivations, ainsi que sa vision de l’avenir de l’industrie de la musique. Bref, il nous livre quelques insights de la part d’un professionnel dont les projets de qualité prennent forme.

Afin qu’il ne soit pas le seul à parler de son travail, nous avons invité à Sophie Paumelle, co-fondatrice de l’agence Laps, un atelier de création de à nous parler du label.

EOS.MMX – The Summer Solstice Edition One by EKLER’O'SHOCK/EOS RECORDS

Interview Matthieu Gazier

Pourrais-tu nous décrire ton parcours en quelques lignes ?

1996-1998. J’organise mes premières soirées pendant mes années de lycée à Carnot à Paris avec mon ami Sacha Sieff. Lui joue du hip-hop US, du funk, du rap français, moi de l’electro, de la techno, de l’acid. Ce sont les années où l’on écoute Oxmo Puccino, NTM, Cypress Hill, le Wu Tang, mais aussi Daft Punk, Luke Vibert, les émissions spéciales de radio FG le soir.. J’achète mes premiers disques, je découvre les raves, je passe mon BAC.

1999-2003. Je rentre en école de commerce à l’ESSCA, commence à faire des stages pour Sony, l’agence de promotion Ping Pong, la web agency Supergazol. Parallèlement à ça, je monte une association Hip-Hop qui s’appelle “Boombass” au sein de mon école. L’année suivante, je passe à la vitesse supérieure en montant ma propre association pour lancer un label juste après un séjour de 6 mois à Montréal ou je rencontre la branche nord américaine du label Ninja Tune. A l’époque, à part quelques contacts en radio et chez des djs, je ne connais quasiment rien de la gestion d’un label. J’achète quelques bouquins de l’IRMA, et je me lance avec une première signature repérée sur le forum / site Elektrolink.

2003-2007. Parallèlement à mon poste de content manager France pour Musiwave, le premier distributeur de musique mobile, je continue à développer le label. Je signe Data, Danger, Sacha Di Manolo, Léonard de Léonard.

2007. Je m’associe avec Elegangz et développe les activités du label: plus d’événementiel, de collaborations avec des marques et d’autres artistes.

2009. Je monte deux sociétés, l’une pour les activités de production et de conseil, l’autre d’édition. Danger est notre première signature en co-édition avec Universal. Diverses missions de conseil pour MXP4 et Elegangz notamment.

2010. On signe Paris.

2011. On signe Limousine et Maxence Cyrin. Je poursuis mes activités de conseil en nouvelles technologies, toujours étroitement en lien avec la musique, en prenant la représentation en France de Mobile Roadie. Le label fête ses 9 ans et sort une compilation et organise une exposition à l’occasion.

Matthieu, nous t’avons déjà interviewé auparavant mais en tant que représentant français de Mobile Roadie. Alors, Michael Schneider avait fait la déclaration suivante : “Music is a commodity”. Aujourd’hui, en tant que fondateur d’Ekler’O’shock, comment réagis-tu à cette déclaration ?

Je comprends ce que veut dire Michael Schneider quand il dit ça, car il souhaite montrer que c’est l’environnement et l’expérience que tu vas créer autour d’un artiste qui fait sa valeur ajoutée aujourd’hui, pas simplement son single ou son album.

Il sait très bien de quoi il parle, comment optimiser l’activation d’une base de fans, comment créer une relation nouvelle entre un artiste et son public. En revanche, la musique doit rester l’élément moteur et premier pour moi, donc le métier de producteur reste toujours aussi fondamental aujourd’hui.

Tu nous avais aussi mentionné la différence entre les artistes français et les artistes anglo saxons qui prennent plus facilement en main leur communication via les réseaux sociaux. Comment arrives-tu à expliquer à tes artistes l’importance d’être présent et de s’impliquer dans l’animation de leurs comptes sociaux ?

Je pensais plus aux majors à l’époque en te répondant, je pense que les artistes de mon label comme ceux de nombreux petits labels indépendants s’en sortent particulièrement bien. La communication sur les réseaux sociaux se fait très naturellement chez eux, beaucoup de mes artistes sont autonomes et actifs sur Facebook, Twitter, ou MySpace (à l’époque..). Notre job à nous, label, consiste à créer là aussi un environnement fort sur ces réseaux, en proposant de l’achat de musique, de merchandising, des opérations spéciales, du contenu vidéo, des applications, etc.

Ces temps-ci, nous couvrons plus de fermetures de labels que “d’anniversaires”, pourrais-tu nous donner quelques secrets pour survivre ?

Le modèle d’Ekler’o’shock est de pouvoir produire la musique des artistes, de la faire vivre et la promouvoir le mieux possible.
Pour autant, ni moi ni mes artistes ou mes associés ne vivons économiquement d’Ekler’o’shock en tant que personnes à 100%.
Le label n’est donc pas un “employeur” au sens que peut l’être une entreprise. Nous sommes en effet plus proches du modèle de la coopérative que de la PME ou de la boite de prod finalement.

Je ne me paie pas de salaire, j’ai minimisé mes charges grâce à l’association que j’ai avec une agence qui m’héberge, on contrôle nos dépenses, et je privilégie un mode de fonctionnement artisanal qui me plait assez.

Data et Danger s’en sortent très bien et on peut dire qu’ils vivent de la musique, mais ce sont leurs prestations live qui sont vraiment rémunératrices pour eux, pas leurs disques.

Enfin, on bosse énormément la synchronisation publicitaire, les relations avec des marques pour des projets spéciaux, et puis Ekler’o’shock propose des missions de conseil à divers acteurs. Polydor, Naïve ou Franklin & Marshall font partie des clients avec qui nous avons récemment travaillé sur le conseil, Citroën, Nissan ou encore Agnès B ou Wrangler sur des opérations de synchro ou de partenariats avec nos artistes.

Selon toi, quelles sont les tendances à suivre dans l’industrie musicale ces prochaines années ?

D’un point de vue business, je serais assez concis :

  • les nouvelles offres d’abonnement (mobile, web, telephone fixe et TV + téléchargement de musique / films illimité) étendues à tous avec du dual delivery systématique ordi/mobile,
  • le stockage en ligne de musique, le fameux “cloud”
  • à terme, la licence légale
  • une amélioration de la qualité sonore des morceaux proposés en téléchargement,
  • et aussi une certaine résurgence du disque vinyle et d’une bonne presse papier.

Musicalement, j’espère continuer à voir le niveau de la production progresser, et découvrir chaque jour de nouvelles perles. C’est le cas en ce moment et c’est très agréable. La dance music heureusement, c’est aussi une musique qui peut être raffinée, poétique et sincère, pas telle qu’on la diffuse sur M6 ou Fun Radio. J’espère qu’après les succès internationaux des Daft Punk, Air, Mirwaïs, Justice puis Guetta aujourd’hui, le spectre va continuer à s’élargir pour laisser de la place à tous les courants de la musique électronique sur des réseaux commerciaux puissants. Que des artistes français déjà très reconnus en electro comme Ivan Smagghe, Joakim, Arnaud Rebotini, Cosmo Vitelli, Nôze ou Pilooski infiltrent la musique mainstream et lui redonnent une once de sophistication et d’authenticité.

Je suis pour l’entrisme musical, quitte à ce que ce soit agressif, et ce aussi bien dans la pop mainstream que dans la réalisation de B.O de films.

J’espère aussi sincèrement que des radios comme NRJ ou FUN vont perdre un peu de leur hégémonie sur le paysage audiovisuel français, que la jeunesse va reprendre goût à la contestation en musique, à créer ses propres médias, ses réseaux, et pas suivre bêtement MTV et NRJ. Je comprends le métier de ces gens là, et je le respecte, simplement j’ose espérer que subsistera toujours chez les jeunes un souffle de contestation.

Nous apprécions chez OWNImusic la façon dont vous soignez la qualité musicale et esthétique de vos projets. C’est un aspect qui a généralement été abandonnée par les labels qui favorisent des productions éphémères au potentiel financier immédiat. Cette démarche qualitative requiert un certain investissement et j’imagine que si vous l’adoptez chez Ekler’O’shock, c’est que le retour sur investissement est correct. Comment en persuaderais-tu tes homologues ?

C’est une volonté vraiment personnelle qui n’a rien à voir avec une question économique de retour ou pas sur investissement.
Je me dis simplement qu’on se doit de rendre nos objets beaux, attirants, uniques, surtout à cette époque. Il y a aussi dans un label, comme dans toute entreprise, une “démarche” qualité à suivre. Avec le temps, on essaie de s’améliorer, de se bonifier avec l’âge.

Vous avez organisé une exposition à la galerie La Tour à l’occasion de la sortie de votre nouvelle compile ? Quel est l’intérêt pour un label de s’engager dans une telle démarche ?

J’avais l’envie de nous exposer médiatiquement hors du simple cadre de la musique. Que des gens comprennent ce qu’est un label, en quoi ça consiste, et aussi de montrer qui nous sommes.

On a rédigé un communiqué pour l’occasion, qui explique notre démarche depuis nos débuts en 2002. Beaucoup de gens ne nous connaissent que par un ou deux artistes, la partie la plus visible du label. On avait envie de leur faire découvrir tout le reste. Enfin, c’est aussi un moment fort pour saluer tous les gens qui ont travaillé avec nous de près et de loin. Et ils sont nombreux.

“Nous voulons notre futur ambitieux, musicalement et esthétiquement.” A quel grand changement devons-nous nous attendre avec votre “passage à l’âge adulte” marqué par la sortie de la compilation EOS MMX ?

En premier lieu, nous allons nous consacrer à la production de formats longs avec des nouveaux albums pour Limousine, Maxence Cyrin, Alexandre Chatelard, Data, Danger et Paris. Ensuite, nous sommes progressivement en train de mettre un pied dans le cinéma, le documentaire, la fiction, avec des compositions originales.

J’ai vraiment envie de de développer un catalogue éditorial qui soit encore pertinent dans 10 ans, pas simplement de la club music ou du rock du moment. Enfin, je m’engage à ce que malgré ce passage à l’âge adulte, personne de nous enlève notre fougue et notre passion. Ca fait partie de notre quotidien, et c’est très bien comme ça.

Interview Sophie Paumelle (Laps)

Sophie Paummel a fondé Laps avec Amélie Lengrand en 2007 après avoir effectué leurs premier projet ensemble au café chéri. Sophie Paumelle est photographe et chef de projet pour l’artiste JR. Amélie Lengrand est artiste peintre, architecte de formation.

Quand Matthieu a parlé de monter cette expo, l’équipe de Laps, proche de l’équipe d’Ekler’O’shock est dispo et veux soutenir la démarche de Matthieu. Elles se sont occupées de la scénographie de l’expo.

Les particularités d’Ekler’O’shock ?

Eclectique : je trouve que tous les artistes représentés sont différents tout en ayant une certaine unité. On sent que c’est un label où les gens se connaissent, les artistes sont assez solidaires.

Avant – gardiste : Il a commencé il y a pratiquement dix ans, ce n’était pas forcément un style qui était en place.

“Passage à l’âge adulte” ça veut dire quoi selon toi ?

Ça veut dire qu’il est plus en place qu’avant, plus professionnel, plus fini dans un style qu’il paufine un peu. Par exemple, je sais que Paris sont chez Ekler’O’shock depuis peu, peut-être qu’il veut se diriger vers un style plus précis.

Quoiqu’il arrive, monter un label avec des musiciens, ça reste mystique parce qu’il y a des choses que tu ne peux pas prévoir.

Tes artistes préférés chez Ekler’O’shock ?

J’aime bien Paris, Alexandre Chatelart (mélo, décalé, avec un vrai style) et puis Xerak forcément. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup, il se met vraiment en scène, c’est de la performance pour le coup.

Que pourrais-tu nous dire sur Matthieu ?

C’est quelqu’un de fiable, de sérieux, qui bosse dur sur son projet. Il le porte bien parce que c’est le sien et il soigne tous ses artistes.

Qu’as-tu pensé de l’expo ?

Un peu court, c’est une démarche qu’il faut faire une deuxième fois pour faire toujours mieux. Je trouve qu’il manquait une mise en scène qui mène les gens vers la musique. Quelque chose pour comprendre que c’est un label et je serais ravi de le faire la prochaine fois ;)

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Oeuvres photographiées (sucettes et logo en pâte fimo) : Alexandra Bruel

Crédits photos tous droits réservés : Julien Paumelle

Interview réalisée par Lara Beswick

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