Le patron du Groupe SOS agacé

Le 20 octobre 2011

Rencontre avec Jean-Marc Borello, le tout puissant patron du Groupe SOS, employant 4000 personnes. Et entretien animé autour des sujets qui fâchent, de la gestion des ressources humaines au parc immobilier chez cet industriel de l'assistance sociale.

Mardi 18 octobre, nous avons rencontré Jean-Marc Borello, patron du Groupe SOS, dans le cadre de notre enquête sur ce géant de l’entrepreneuriat social. Fondé en 1984 avec Régine1, cette entreprise s’est d’abord imposée comme un acteur de la lutte contre la toxicomanie, avant de devenir un industriel de l’intervention sociale tous azimuts. De la précarité jusqu’au développement durable. Une croissance exponentielle accompagnée de fortes critiques, en particulier sur l’opacité de son fonctionnement. Interview sans détour, en parlant des sujets qui fâchent. Un rendez-vous musclé.

Les conclusions du rapport de l’Inspection générale de la ville de Paris (IGVP) indiquent que vous n’avez pas tenu compte de leurs remarques. Pour quelles raisons ?

Ce que dit l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), c’est que la complexité du dispositif le rend difficilement lisible pour l’administration ce qui est assez logique puisque l’administration est compartimentée. L’IGAS vérifie les affaires sociales, l’IGVP le département de Paris, l’inspection débarque, ils connaissent une partie des choses et pas tout. Le dispositif d’SOS est complexe par nature et change tout le temps puisqu’on passe notre temps à créer des établissements et à en reprendre d’autres, donc ils ont raison et ça s’est accru depuis puisque les mêmes nous ont confié de nouveaux établissements, ont financé de nouvelles structures.

Compte tenu qu’une partie des remarques sont devenues des circulaires pour les associations pour s’organiser, ils [les inspecteurs] seraient un peu plus mesuré aujourd’hui. Par exemple le GIE (groupement d’intérêt économique) qui leur a posé question pendant 10 ans, qui était considéré comme original, atypique, aujourd’hui, c’est un conseil aux associations pour faire des économies. Et il y a deux rapports, beaucoup plus récents, qui disent exactement l’inverse c’est-à-dire que les montages permettent des économies.

Donc du coup vous n’avez pas vraiment tenu compte des remarques ?

(plus fort) Mais le rapport dit que l’inspection a du mal à comprendre, comme je ne suis pas responsable de l’organisation de l’administration, je ne peux que l’inviter à s’organiser différemment pour arriver à mieux comprendre.

Le rapport de l’IGVP explique que le conseil d’administration d’avril 2003 indique que le personnel du groupe SOS est prioritaire pour acheter les biens immobiliers du groupe qui seraient à vendre suivant un ordre hiérarchique. Les rapporteurs précisent “qu’on sort des schémas de cessions à des organismes agrées poursuivant un objet social. Plus tard votre association indiquera : ”7,75% du programme total des cessions a été réalisé” sans jamais préciser la nature de ces cessions. Et les rapporteurs de conclure : “ces biens ayant été financés avec de l’argent public, l’exigence de transparence de ces cessions parait tout à fait légitime”. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en a été de ces cessions ?

La citation est de 2003, c’est un peu ancien… Pour chaque proposition de l’administration, vous avez une réponse, donc…

C’était ça votre réponse : “7,75% du programme total des cessions a été réalisé”, sans jamais préciser la nature de ces cessions explique l’IGVP.

Vous êtes vacataire à l’inspection générale, c’est ça ? Non, parce que ce sont des personnes d’autorité qui ont une mission de service public qui conclut un rapport sur la manière dont ça se passe, est-ce que c’est normal ou pas, ils ont une formation, une autorité, des voies de recours, judiciaires éventuellement s’ils se trompent. Et vous vous êtes où là-dedans ?

Nous sommes journalistes, on vous pose des questions.

Oui oui, il y a plein de journalistes qui se posent des questions depuis longtemps, en général, ils ont trouvé des réponses dans les rapports. Je ne dirai pas de mémoire ce qu’on a fait de 7,75% en 2003. Objectivement. Je vous ai demandé quand vous étiez au téléphone si vous vouliez que je prépare des documents, vous m’avez répondu non, je crains que ma mémoire ne soit un peu juste pour répondre 10 ans après.

C’est possible de nous les envoyer par mail ?

Mais les réponses, vous les avez !

Non, ils n’ont pas la réponse…

Ils, je sais pas, nous, en face de chaque observation, vous avez une réponse, il n’y en aura pas d’autre. Ils ont tous les moyens d’exiger des réponses complémentaires, a priori, s’ils l’ont pas fait c’est que voilà.

Nicolas Hazard (directeur de cabinet de Jean-Marc Borello) amène le rapport de JCLT (daté de 2009), qui répond sur l’organisation.

Vous devriez avoir des réponses, ça devrait répondre à la question que vous posez. La prise en charge des questions supports par le GIE, puisque c’est ce que vous vouliez savoir, permet à l’association…

Le GIE n’était pas la question en particulier.

« Le souci d’une gestion exemplaire permet de se concentrer sur le cœur de métier. » Il n’y a pas grand chose sur l’immobilier.

Comment choisissez-vous les citations extraites de certains de ces rapports qui figurent sur votre site ?

On choisit ce qu’il y a de mieux, vous faites pas ça vous ? Pour publier, vous prenez les plus mauvais de vos articles ?

C’est différent, nous ne sommes pas inspectés.

Je suis inspecté par des gens qui ont qualité pour m’inspecter et sûrement pas par des journalistes, qui d’ailleurs m’ont pas dit pour quel journal ils travaillaient, qui ne m’ont pas présenté leur carte de presse.

Nous lui expliquons que nous nous sommes présentées pour prendre rendez-vous et sortons nos cartes de presse.

Je vais pas commenter des rapports d’inspection, posez-moi des questions, si vous voulez une interview, posez-moi des questions claires, et je vous répondrai clairement. Des questions sur un rapport qui a 11 ans alors qu’il y en a eu trois depuis.

On va passer aux ressources humaines. Nous avons reçu le témoignage d’un ex-salarié, un historique du groupe. Dont on va peut-être vous lire des passages [Il s'agit d'un ancien cadre du groupe SOS qui, de manière détaillée, dénonce des fonctionnements opaques et pointe des pratiques associées à du harcèlement moral, NDLR].

Mais vous faites comme vous voulez, la presse est libre.

Nous lui lisons des citations.

Quelle est votre réaction ?

Vous voulez que je réponde ? 4000 salariés, avec un turn over, si la question, c’est ce que pense les salariés de leur entreprise, le plus simple c’est de leur demander. Maintenant, comme je ne sais pas qui parle, j’ai un peu de mal à vous répondre.

On ne peut pas citer la personne.

Ça devient une dénonciation anonyme, à tendance calomnieuse.

C’est bien pour cela qu’on vous demande de réagir.

Je crois d’ailleurs que vous avez dû interroger d’autres salariés qui ont répondu autre chose. J’ai été appelé par un garçon qui a été un peu étonné par votre manière de faire son entretien, en gros il y a déjà quelques semaines voire quelques mois, qui m’a écrit qu’il avait constaté votre déception de voir qu’il n’avait rien à dire sur le groupe SOS, c’est comme ça que je l’ai classé en lui disant que ce n’était pas très grave et je l’ai oublié.

Mais un journaliste, c’est quelqu’un qui pose de vraies questions, qu’est-ce que vous suspectez. Il y a un monsieur, à propos de l’immobilier, qui a suspecté quelque chose, je vais vous donner un scoop, un élu de Paris qui a suspecté notre filiale immobilière de permettre l’enrichissement de l’association. Il a été condamné au pénal en première instance, il était élu parisien, il a fait appel, il a été condamné en seconde instance. Enrichir une association, c’est enrichir personne, comme vous le savez. C’est un ancien du Front national, c’est d’ailleurs de là ou de Minute que sont venues les attaques en général, alors au moins ça permet de clarifier les choses.

Vous connaissez une entreprise où il n’y a pas un salarié qui n’a pas été licencié et mécontent ? C’est quoi cette histoire ? Ces méthodes ?

Nous avons un témoignage et…

Il est quasi anonyme.

Il n’est pas anonyme. Dans le cadre de notre travail, nous n’allons pas citer cette source qui a demandé à ne pas être cité. On vous apporte son témoignage on vous demande de réagir.

Et vous appelez comment une source qui refuse d’être citée ?

La protection des sources est un droit reconnu.

Oui, évidemment, et demain, je pourrais écrire qu’une source m’a prévenu que votre enquête était purement à charge, dans le souci de nuire dès le départ, que vous avez traité un certain nombre d’interlocuteurs de manière peu convenable d’après leurs dires, et je vous dirais, c’est une source anonyme.

Qu’est-ce que vous appelez peu convenable ?

Peu convenable, c’est une source anonyme, et que l’enquête était faite à charge pour chercher je ne sais trop quoi. Pas très clean. Bon ben je ne vous recevrai plus. Je pense même que j’ai eu tort de vous recevoir.


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  1. La première association du Groupe SOS fondée avec Régine en 1984 s’appelle SOS Drogue International []

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